- Accueil
- Lutte ouvrière n°2954
- Ukraine : une population sacrifiée, y compris par ses dirigeants
Dans le monde
Ukraine
une population sacrifiée, y compris par ses dirigeants
Fin février 2022, lorsque les chars russes menaçaient Kiev, Zelensky, un ancien acteur à succès, a su tenir le rôle du petit David face au géant Goliath, et incarner la résistance nationale.
Mais, une fois passés les premiers temps d’une union sacrée, des couches de plus en plus larges de la population ont pu se convaincre que le régime, qui n’avait cessé de s’en prendre aux couches laborieuses avant la guerre, restait celui des privilégiés, et d’eux seuls.
Périodiquement éclatent des affaires qui révèlent la pourriture du régime. Cela va, bien sûr, des passe-droits qui ont permis aux riches de quitter le pays pour échapper à la conscription aux pots-de-vin aux élus et aux officiers pour échapper au front. La routine, en quelque sorte.
À un niveau plus élevé, il y a, par exemple dans la région de Kharkiv, la seconde ville du pays, la révélation de colossaux détournements de fonds par des entrepreneurs que favorise l’administration. Alors que la région est soumise à d’intenses bombardements, « étrangement » son budget de réfection des routes a été multiplié par huit depuis 2024. Sans appel d’offres et sans autre raison apparente que de livrer des routes neuves aux chenilles des chars et aux bombes de l’adversaire. Mais cela oblige à les reconstruire, et donc à passer commande à des groupes de BTP qui réalisent ainsi d’énormes profits de guerre. Dans l’oblast de Donetsk, au cœur des combats depuis 2014, le même budget routier a été multiplié par… douze cette année.
Quant aux très, très riches, les oligarques, ils vivent en général à l’étranger, bien à l’abri, et, même si on n’en connaît pas toujours les détails, on sait qu’ils se sont arrangés, avec la complicité des plus hautes sphères de l’État, pour capter une bonne partie de « l’aide » occidentale à l’Ukraine. Du coup, même quand une partie des usines et équipements de l’époque soviétique sur lesquels ils ont fait main basse a été détruite ou se retrouve sous contrôle de la Russie, ils ont réussi à arrondir leur fortune. Et ils espèrent bien continuer à le faire si, un jour, les canons se taisent.
Devant l’étendue de pareils scandales, Zelensky a dû, l’an dernier, limoger tous les responsables régionaux de la « Reconstruction ». Avec l’efficacité que l’on constate…
Pour la même raison, Zelensky éjecte régulièrement ses généraux les plus haut placés. Il lui faut bien reporter sur d’autres la responsabilité des échecs militaires. Il doit essayer de faire croire qu’il est un rempart contre la corruption. En effet, elle flambe dans le monde de la hiérarchie militaire, ce qui choque d’autant plus que la population, dont le niveau de vie s’est effondré, est appelée à donner sa vie « pour la patrie ».
Il y a un an ou deux, les courageuses femmes, mères et sœurs de soldats qui manifestaient pour qu’ils ne restent pas au front jusqu’à leur mort, semblaient bien isolées. Aujourd’hui, le mouvement informel de lutte contre la « busification » (l’envoi en bus à l’armée d’hommes enlevés dans la rue par les brigades territoriales de recrutement militaire) touche toutes les villes. Presque chaque jour, des vidéos montrent des « recruteurs » attaqués dans la rue par des passants indignés qui tentent de libérer leurs proies. Le phénomène a pris une telle ampleur que les autorités le dénoncent comme du « terrorisme », et promettent de lourdes peines à ces « terroristes » de rue.
Il y a officiellement, et sans doute plus, 140 000 déserteurs qui vivent et essayent de travailler tout en se cachant. Mais ils ne pourraient pas le faire s’ils ne bénéficiaient pas du soutien d’une foule de gens.