Espagne : radicale ou pas, la gauche désarme les travailleurs26/06/20222022Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2022/06/225.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Espagne : radicale ou pas, la gauche désarme les travailleurs

Depuis deux ans, la gauche qui se prétend radicale gouverne en coalition avec le Parti socialiste. Derrière les réformes sociales annoncées en grande pompe, la réalité de la crise empire les conditions de vie de millions de travailleurs. Une situation et une politique favorables à la montée des réactionnaires, comme l’ont montré les élections du 19 juin en Andalousie, région historiquement acquise aux socialistes, où la droite vient d’obtenir une majorité absolue écrasante et où l’extrême droite, avec Vox, continue de croître.

La recomposition de la gauche dans les années 2010

Le parlementarisme espagnol était marqué depuis la fin du franquisme par l’alternance gauche/droite, avec le Parti populaire (PP), qui regroupait les différences tendances de droite et d’extrême droite, et le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Le PSOE a montré pendant toutes ces années qu’il était un parti au service de la bourgeoisie, qui le lui a bien rendu puisque bon nombre de ses anciens ministres siègent dans les conseils d’administration de grandes entreprises. Felipe Gonzalez, Premier ministre socialiste de 1982 à 1996 avant d’aller s’asseoir au conseil d’administration de Gas Natural
Fenosa, n’est que l’exemple le plus connu. À partir de 2008, après des décennies de bipartisme, la crise économique et ses conséquences politiques ont rebattu les cartes.

Dans les années 2010, l’Espagne a connu plusieurs mouvements sociaux importants, qui ont entraîné des centaines de milliers de personnes. Les marées pour la défense des services publics, marée blanche pour les hôpitaux ou verte pour l’éducation, ou encore les marches de la dignité qui, avec pour slogan « Du pain, du travail, un toit », avaient rassemblé à Madrid des centaines de milliers de personnes, venues de toute l’Espagne. Le mouvement le plus marquant a été celui du 15M (en référence au 15 mai 2011, date de la première manifestation), qu’on a souvent appelé en France les Indignés : un mouvement d’assemblées sur les places publiques, où l’on discutait de tout, de cette société pourrie, sans issue, qui condamnait la jeunesse aux boulots précaires et au chômage. On s’en prenait aux politiciens corrompus, à la rapacité des banques qui jetaient des familles à la rue après avoir profité de la bulle immobilière. Dans ces assemblées et ces manifestations, toute une génération s’est politisée.

Podemos est né en 2014 avec le manifeste Changer la donne : transformer l’indignation en changement politique. Ses fondateurs, des universitaires, se proposaient d’être la voix et le prolongement de tous ces mouvements. Pablo Iglesias, professeur de sciences politiques passé par la Jeunesse communiste (JC), s’était fait un nom par des interventions dans des médias alternatifs, en particulier La Tuerka, où il tenait tête aux politiciens de droite et de gauche, à une époque où la droite au pouvoir s’attaquait avec brutalité, mois après mois, aux travailleurs, aux chômeurs et aux milieux populaires en général. Iglesias et les autres dirigeants de Podemos critiquaient la monarchie, le bipartisme, reprenaient à leur compte le slogan « PSOE-PP, c’est la même merde » et dénonçaient la corruption. Ils prétendaient faire de la politique autrement, changer la Constitution et donner un rôle accru aux citoyens. Aux citoyens, pas aux travailleurs. Ils s’en prenaient à la « caste », aux « élites » et non à la bourgeoisie. Avec cette stratégie, ils prétendaient partir « à l’assaut du ciel ». Et, tout comme Mélenchon en France, ils pouvaient dire que, oui, d’accord, les luttes étaient importantes, mais que l’essentiel, c’était de les mettre eux au pouvoir, puisque le 15M, finalement, n’avait pas apporté d’avancée majeure.

Dès le début de Podemos, il s’est trouvé des courants d’extrême gauche, en particulier le courant Anticapitalistas, le cousin espagnol du NPA, pour accompagner la construction de cette organisation et en assumer la gestion dans plusieurs endroits. Ils ont fourni au nouveau parti des militants, des cadres, une expérience d’organisation. C’est le cas de Miguel Urban et de Teresa Rodriguez, dirigeants d’Anticapitalistas, qui sont alors devenus des figures en vue de Podemos et élus au Parlement européen. Ils se sont fondus dans une organisation réformiste qui jetait aux orties la lutte de classe, en prétendant peser dans un sens radical pour que Podemos reste une expérience d’organisation par le bas et démocratique.

Podemos et les communistes au gouvernement

En fait, c’est le contraire qui s’est passé. Depuis 2014 et la création de Podemos, ses dirigeants, au gré des différentes campagnes électorales, se sont efforcés de démontrer qu’ils allaient se comporter en gestionnaires loyaux du système, accumulant les signes d’adhésion au système politique. Ils ont repris à leur compte la « patrie » ou bien la Constitution de 1978, symbole d’une transition dirigée par les franquistes. Ils ont présenté aux élections législatives en 2015 un général de l’armée de l’air, ancien chef d’état-major et aujourd’hui secrétaire général de Podemos-Madrid. Ils sont vite apparus eux-mêmes comme des gestionnaires et des politiciens classiques, premièrement dans les villes gagnées lors des élections municipales de 2014 (Madrid, Barcelone, Valence, Cadix…) mais aussi dans les petits arrangements entre partis au moment de se répartir les postes aux élections. L’affaire de la maison avec piscine de Pablo Iglesias et Irene Montero, sa compagne et numéro deux de Podemos, est, bien que ridicule, représentative de leur attitude de politiciens petits-bourgeois, quittant les quartiers populaires du sud de Madrid pour la banlieue nord plus tranquille, afin de pouvoir se promener en montagne et envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles.

Podemos a rapidement obtenu quelques succès électoraux, avec notamment plus de cinq millions de voix en 2015 aux élections générales (20,7 %), pour ensuite baisser régulièrement malgré la création en 2016 d’une nouvelle coalition, Unidas Podemos, avec Izquierda Unida (la Gauche unie, qui était déjà un regroupement autour du Parti communiste). En 2019, ils étaient redescendus à trois millions de voix. Malgré cette baisse, Unidas Podemos a obtenu des postes dans le gouvernement formé en janvier 2020 par le socialiste Pedro Sanchez qui, sans eux, n’avait pas la majorité. Ils forment alors « le gouvernement le plus progressiste de l’histoire », comme ils aiment à le rappeler.

Le « gouvernement le plus progressiste de l’histoire » …

À la tête de ce gouvernement, Pedro Sanchez a été un serviteur fidèle de l’État bourgeois. Depuis quatre ans, il a fourni des milliards d’aide pour le patronat. Contre les migrants, il a mis ses pieds dans les pas de ses prédécesseurs : à Ceuta, enclave espagnole au nord du Maroc, il n’a pas hésité à envoyer l’armée pour repousser les migrants et protéger ainsi « l’intégrité de Ceuta en tant que partie de notre nation espagnole, sa sécurité et sa tranquillité »1. Les photos vues dans la presse de migrants les pieds dans l’eau, bloqués par les soldats avant d’accéder au rivage, ont beaucoup choqué. Au moment de la guerre en Ukraine, Sanchez a répondu à l’appel lui aussi, envoyant des armes, augmentant les budgets militaires et les commandes d’armes aux marchands de canons. Il n’est pas non plus revenu sur la tristement célèbre ley mordaza, la loi bâillon, mise en place par la droite en 2015, en réaction aux mobilisations du début des années 2010. Cette loi inique a donné, entre autres, plus de pouvoir à la police pour sanctionner les manifestants, les grévistes, etc. Manquer de respect à un policier, par exemple, peut entraîner une amende d’au moins 600 euros. Alors, Sanchez n’a pas du tout à rougir vis-à-vis de ses homologues européens.

Si Unidas Podemos a fait mine de prendre ses distances avec certains choix et certaines mesures prises par les socialistes, il leur a toujours été loyal. Un exemple parlant : dans les premières semaines de la guerre en Ukraine, les ministres et parlementaires de Podemos ont critiqué l’envoi d’armes et les discours belliqueux, mais cela n’avait aucune influence, et ils le savaient. En restant au gouvernement malgré ce désaccord, ils ont joué leur rôle d’allié minoritaire, d’aile gauche un peu critique, pour conserver au gouvernement de coalition le soutien de leur base, majoritairement opposée à l’escalade guerrière. C’est évidemment au PS que reviennent le poste de Premier ministre et l’essentiel du pouvoir. Cependant, Unidas Podemos a tout de même cinq ministères : le Travail, l’Égalité, la Consommation, les Droits sociaux et les Universités. La ministre du Travail, Yolanda Diaz (issue du Parti communiste), la plus en vue depuis que Pablo Iglesias lui a laissé la vice-présidence, s’exerce depuis deux ans à faire passer la moindre réforme comme une victoire ou une avancée historique pour les milieux populaires. Certes, les ministres d’Unidas Podemos ont défendu des lois progressistes, notamment pour les droits des femmes, poussés par les grosses mobilisations de ces dernières années contre les violences sexistes : augmentation du budget d’aide aux femmes agressées ou, plus récemment, la création des arrêts maladie pour règles douloureuses et une loi pour faciliter l’avortement. Mais de là à parler d’avancée historique…

En fait les mesures ont, au mieux, accompagné le recul social de notre période. En début d’année, Yolanda Diaz s’est faite la championne d’une nouvelle loi travail pour limiter les contrats précaires. Cette loi, annoncée en grande pompe, a bien provoqué l’augmentation du nombre de CDI. Des CDI d’un genre particulier puisqu’une grande partie sont des temps partiels. Mais aussi des CDI qui n’ont qu’une valeur très relative puisque, depuis les réformes de la droite, le CDI est un contrat pourri de plus, avec un licenciement facile et bon marché. Et, malgré les promesses d’Unidas Podemos, le gouvernement n’est pas revenu dessus.

Il en va de même de toutes ces réformes dites progressistes. Avec l’aggravation de la crise et l’offensive du patronat, ces mesures ne pèsent pas lourd. L’augmentation du smic à 1 000 euros en janvier dernier ne compense même pas l’inflation, qui dépasse certains mois les 8 %. L’avortement est facilité sur le papier, mais le nombre de centres de santé diminue et le personnel sanitaire est en sous-effectif croissant. Il en va de même pour les arrêts maladie en cas de règles douloureuses : avec un chômage à presque 14 %, la précarité et la pression des patrons pour éviter les arrêts, il faudra plus qu’une loi pour exercer ce droit. Il faudra l’imposer dans les ateliers et les bureaux, et s’organiser pour cela. Mais ce n’est pas la préoccupation de Podemos, au contraire. La réalité, c’est que la majorité des travailleurs ont vu ces dernières années leurs conditions de vie et de travail s’aggraver et que la gauche ne les a pas protégés de la crise.

Ainsi, face à l’envolée des prix de l’énergie, l’« exception ibérique » âprement négociée par Sanchez auprès de la Commission européenne à propos de la fixation des prix n’a eu qu’un effet minime sur la facture d’électricité des classes populaires. Il a fallu attendre des semaines puis, quand elle a été mise en place, le prix a bien baissé, sans toutefois retrouver ses niveaux d’avant la guerre en Ukraine ; et deux jours après, le prix recommençait à monter. Autant dire que les familles populaires vont continuer longtemps de lancer leur machine à laver en pleine nuit, aux heures où l’électricité est la moins chère.

La gauche contre les travailleurs

Le plus grand mal qu’a fait Podemos ne consiste pas dans sa gestion du système capitaliste, qui ne peut être qu’abject, destructeur et écrasant pour les exploités : c’est d’avoir désarmé politiquement les travailleurs face aux évolutions possibles de la crise économique et à ses conséquences politiques, en particulier la montée de l’extrême droite.

La gauche radicale et même les ministres communistes ont brouillé les consciences face aux nécessités de lutte pour se défendre dans la situation actuelle. Dans une interview au journal El Pais en janvier, Yolanda Diaz a même épaté un journaliste perplexe, qui ne comprenait pas comment sa réforme du travail pourrait être à la fois bénéfique aux salariés et aux patrons. La même ministre s’est employée à susciter des illusions concernant les négociations collectives, le dialogue social entre les syndicats et la CEOE (le Medef espagnol), donnant l’espoir qu’il pourrait en sortir quelque chose de bon pour les travailleurs.

Mais quand des travailleurs se sont battus face aux licenciements, aux fermetures d’usines et au chômage, comme à Cadix lors de la grève de la métallurgie à l’automne 2021, le gouvernement de gauche leur a envoyé les gaz lacrymogènes et un blindé de la police. Quant aux ministres de Podemos, ils se sont tus pendant les premiers jours de la grève, pour finir par soutenir les travailleurs avec des trémolos dans la voix au moment où les syndicats ont commencé à négocier dans leur dos et appelé à reprendre le travail, c’est-à-dire au moment où la force donnée aux travailleurs par la grève n’était plus là.

La crise politique et l’extrême droite

Avant d’arriver au gouvernement, en décembre 2019, Pablo Iglesias avait dit que ce serait le gouvernement du « Oui, nous pouvons » et du « vaccin contre l’extrême droite »2. Lui-même a répondu par la suite à la première partie de la formule dans un de ses moments de sincérité : « Les propriétaires de banques et les grandes entreprises ont plus de pouvoir que moi, et personne n’a voté pour eux. »

Et pour la deuxième partie de sa formule, c’est aussi le contraire qui s’est passé. Depuis la crise et ses conséquences, mouvement indépendantiste en Catalogne et surtout montée de Podemos, la petite bourgeoisie réactionnaire enrage. La première traduction politique en a été la montée de Vox, ce nouveau parti d’extrême droite créé en 2013, composé d’anciens cadres du PP, nostalgiques assumés du franquisme, anticommunistes et racistes. Une partie des réactions de cette petite bourgeoisie haineuse, comme le boycott des produits catalans, confine au ridicule. D’autres sont plus graves. La haine du « rouge » comme au temps du franquisme s’est développée, ciblant en premier lieu Podemos et Pablo Iglesias, harcelé par des policiers en civil devant chez lui quand sa compagne et lui étaient ministres. En 2020, une conversation sur WhatsApp entre militaires à la retraite est rendue publique ; on y lit qu’il faudrait une « purge contre les rouges » ou bien fusiller « 26 millions de personnes ». Mais la pénétration des idées fascistes ne se limite pas aux généraux en retraite. Pendant la grève des métallos de Cadix, les manifestants racontaient avoir retrouvé sur les balles de flashballs des messages du genre « Viva Vox » ou bien « Viva España » et des photos de ces balles ont circulé sur les réseaux sociaux. La nostalgie du franquisme est assumée, comme lorsqu’en mai dernier un commandant de bataillon a emmené ses soldats en exercice à une messe sur les marches du monument à la gloire de Franco, au Valle de los Caidos.

L’électoralisme pour faire barrage à l’extrême droite

Face à ce réel danger, les ministres de Podemos n’ont pas d’autre perspective que de remettre une pièce dans la machine électorale, trouver la nouvelle combinaison de cette alliance des partis de gauche, refaire encore et toujours ce front populaire.

C’est un argument courant : une gauche unie électoralement, nombreuse au parlement, voire victorieuse, serait une garantie contre la montée de l’extrême droite. Comme si les groupes fascisants qui grandissent dans l’ombre de Le Pen ici en France, ou les noyaux de l’extrême droite espagnole présents et bien implantés dans l’armée, dans la police, dans les tribunaux, allaient rentrer dans leur coquille au lendemain d’une victoire électorale de la gauche ! C’est plutôt le contraire qui est probable : une victoire électorale de la gauche, radicale ou pas, aurait toutes les chances de susciter la colère des milieux les plus réactionnaires et de pousser certains excités à l’action, que ce soit contre les travailleurs immigrés, contre les militants LGBT et féministes ou contre les organisations ouvrières.

En fait, en désarmant politiquement la classe ouvrière, en lui faisant espérer un salut venu des urnes, les politiciens de gauche laissent la voix libre à Vox, qui est le seul parti issu de la crise politique des années 2010 à ne pas baisser dans les sondages et les résultats électoraux.

À titre d’exemple et d’avertissement, dans la campagne des élections régionales qui vient de s’achever en Andalousie (région la plus peuplée), la candidate de Vox a eu beau jeu de dénoncer sur les plateaux télé la gauche qui envoie un blindé contre les grévistes, pour se présenter ensuite comme la seule candidate défendant les travailleurs.

En 2019, déjà, Vox recueillait plus de voix que Podemos à l’échelle nationale.

On a pu voir au printemps 2021 ce que valait la gauche radicale face à l’extrême droite, à l’occasion des élections régionales à Madrid. La mieux placée pour les remporter était la candidate de la droite, Isabel Diaz Ayuso, figure nationale emblématique du PP grâce à son style à la Trump et à ses idées d’extrême droite. Pour lui faire barrage, Pablo Iglesias a démissionné de son poste de ministre et s’est engagé comme tête de liste dans la bataille. Il a lancé le slogan « Démocratie ou fascisme », ce à quoi Ayuso a répondu par « Communisme ou liberté ». Après la déroute de la gauche, Iglesias a abandonné le devant de la scène politique pour redevenir journaliste et polémiste. Autrement dit, après avoir appelé à voter contre la menace fasciste, il est retourné à sa vie d’intellectuel petit-bourgeois. Si les fascistes étaient vraiment sur le point d’entrer en action, il se pourrait que Pablo Iglesias, tout comme d’ailleurs les socialistes, en deviennent les cibles, en même temps que les militants révolutionnaires et bien des travailleurs qui ne fileraient pas droit. Les politiciens de gauche porteraient néanmoins la responsabilité d’avoir fait de la lutte contre l’extrême droite un problème électoral et non un problème de lutte de classe.

Face à l’extrême droite, la gauche soi-disant radicale n’a rien de mieux à proposer que ce cocktail extrêmement dangereux pour la classe ouvrière : une politique qui déçoit les travailleurs et aggrave leur situation, un discrédit des organisations syndicales par un dialogue social creux, qui se répercute en discrédit de l’idée même d’organisations de classe, et le renforcement des réactionnaires. Donc affirmer que plus la gauche fait des voix aux élections, plus la menace de l’extrême droite s’éloigne, c’est au mieux une stupidité, au pire un mensonge conscient et lourd de dangers.

Aujourd’hui, Podemos a terminé sa mue pour rejoindre les partis traditionnels de la bourgeoisie. Cette organisation, qui avait su capitaliser sur des luttes sociales et sur le rejet de la classe politique, n’a jamais voulu s’appuyer sur l’enthousiasme qu’elle créait autrement que pour les élections. C’est donc rapidement devenu une organisation réactionnaire, un obstacle à la compréhension par les classes populaires des défis que pose le capitalisme pourrissant.

Le rôle des révolutionnaires

Et c’est là où une partie des révolutionnaires ajoute à la tromperie en peignant tel ou tel mouvement en rouge. En Espagne, c’est par exemple ce qu’a fait le groupe d’extrême gauche Anticapitalistas, avec sa figure Teresa Rodriguez. En étant complètement suivistes de la ligne réformiste de Podemos, ses militants n’ont pas du tout tiré le parti vers la gauche, par contre, ils ont bien contribué à envoyer dans le mur, à décevoir et à démoraliser ceux qui avaient cru en un prolongement politique des grandes mobilisations d’il y a dix ans. Quand ils se sont séparés de Podemos il y a un an, allégés d’une partie de leurs cadres qui avaient trouvé une maison bien chaude, ils ont continué à mener une politique opportuniste en misant sur le régionalisme andalou afin de gagner du poids dans les élections, contribuant de plus belle à désorienter les classes populaires.

Le rôle des révolutionnaires n’est pas de préférer telle ou telle combinaison d’union de la gauche, parce qu’elle serait plus ou moins radicale dans ses discours, ou plus ou moins large dans son spectre d’organisations. Il n’est certainement pas de rassurer les travailleurs en leur passant de la pommade et en leur vendant le rêve des jours heureux, dans une situation de crise profonde du capitalisme, où même le concept de réformisme n’a plus beaucoup de sens, parce qu’il n’a plus tellement de miettes pour se nourrir. Alors, radicale ou pas, la gauche finira par se dresser sur le chemin des travailleurs quand ils relèveront la tête et chercheront les moyens de se battre.

Rappelons qu’en Espagne en 1936-1937 le Front populaire, cette alliance électorale et gouvernementale de la gauche, a non seulement trahi les revendications des travailleurs, mais surtout s’est dressé militairement sur leur chemin quand ils ont voulu arracher ce que les élections ne leur donnaient pas, et quand le coup d’État militaire de Franco les a poussés à l’action révolutionnaire. Cette gauche-là, dirigée par le PC et autrement plus radicale que Podemos, a protégé l’ordre et la propriété en massacrant les ouvriers au nom de l’unité et en abandonnant toute la société à une dictature militaire sanguinaire.

Aujourd’hui, quand la gauche déploie les grands moyens pour embrouiller la conscience de classe, le rôle des révolutionnaires est au contraire de faire vivre cette conscience parmi les nôtres, les travailleurs, de la développer, de tout faire pour qu’elle s’incarne dans un parti ouvrier communiste révolutionnaire qui permette la victoire de la classe ouvrière, la seule capable de renverser le capitalisme.

23 juin 2022

1Déclaration officielle du 18 mai 2021, au moment de la crise avec le Maroc.

 

2Discours du 30 décembre 2019 au moment de la signature avec Pedro Sanchez d’un accord de programme pour un exécutif de coalition.

 

Partager