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- Lutte ouvrière n°2712
- 10 juillet 1940 : le vote des pleins pouvoirs à Pétain
Article du journal
10 juillet 1940
le vote des pleins pouvoirs à Pétain
Le 10 juillet 1940, par 569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions, les députés et sénateurs français rassemblés à Vichy votaient les pleins pouvoirs à Pétain. Ils approuvaient la fin de la République, accordant quasiment tous les pouvoirs à un vieux maréchal réactionnaire.
Ces parlementaires mettaient ainsi aux commandes des hommes non seulement prêts à organiser la collaboration avec le régime nazi victorieux, mais qui affichaient leur volonté de supprimer les libertés publiques, qui feraient la chasse aux opposants, réviseraient les naturalisations obtenues depuis 1927 et déporteraient les Juifs vers les camps de la mort.
Les députés avaient été élus en 1936, dont une bonne partie sur le programme du Front populaire qui promettait le pain, la paix et la liberté. Quatre ans après, 90 des 126 parlementaires socialistes et 170 élus radicaux sur 197 votèrent pour la mise en place d’un régime d’extrême droite, les 72 députés communistes ayant été démis auparavant en janvier 1940.
En quatre ans la politique des gouvernements issus de l’assemblée élue en 1936, à majorité communiste, socialiste et radicale, aboutissait à l’intronisation de Pétain. Une grande partie de la classe politique se retrouvait unie pour offrir à la droite réactionnaire les moyens d’achever « la gueuse » comme elle appelait la République, et renforçait la bourgeoisie française dans sa lutte contre le monde ouvrier face auquel elle avait dû reculer quatre ans plus tôt.
L’arrivée au pouvoir de Pétain était le point d’orgue d’une évolution de plus en plus réactionnaire de la vie politique en France. À peine l’assemblée élue en 1936, les dirigeants des partis socialiste et communiste avaient mis tout leur poids pour arrêter la vague de grève et d’occupation d’usines de mai-juin 1936. Utilisant son crédit de parti se réclamant de la Révolution russe, le Parti communiste avait sauvé la mise à la bourgeoisie qui risquait de tout perdre. C’était une trahison majeure du mouvement ouvrier.
Bien d’autres trahisons avaient suivi, accompagnant la contre-offensive patronale. En 1937, Léon Blum encore chef du gouvernement avait laissé sa police tirer sur des manifestants rassemblés à Clichy contre un rassemblement d’extrême droite, faisant cinq morts. Ses successeurs au pouvoir avaient mis d’autant plus facilement en pièces les avancées obtenues par les grévistes de 1936, faisant disparaître les 40 heures hebdomadaires, rétablissant le salaire aux pièces et la semaine de six jours de travail. Face aux réactions ouvrières les patrons avaient multiplié les sanctions, les licenciements et les listes noires de militants.
Pendant ces années de crise qui précédaient la guerre, la classe politique, quelles que soient ses nuances, avait ainsi aidé la bourgeoisie à aggraver l’exploitation, et au besoin à briser les résistances. Les partis ouvriers avaient contribué à démoraliser le mouvement ouvrier.
La guerre accéléra le basculement vers la droite de la vie politique française. Le Parti communiste ayant apporté son soutien à la signature par l’URSS du pacte germano-soviétique le 23 août 1939, il vit sa presse interdite. Malgré le fait que les députés communistes aient voté les crédits de guerre le 2 septembre, la dissolution du PC fut décrétée par le gouvernement le 26 septembre 1939. 3 400 militants communistes furent mis en prison puis envoyés dans des camps. Ceux qui continuèrent à militer durent souvent passer dans la clandestinité. Les syndicats sous leur influence furent dissous et les fonctionnaires adhérents du parti révoqués. Tout cela ouvrait la voie à l’arrivée au pouvoir de Pétain.
En mai 1940, neuf mois après la déclaration de guerre, les troupes allemandes balayèrent en quelques semaines les troupes françaises, occupant une partie importante du territoire. L’état-major en déroute et le gouvernement en fuite laissaient la population à l’abandon, 8 millions de personnes fuyant l’avancée des troupes allemandes.
Pour la bourgeoisie française il fallait trouver une solution pour continuer à faire ses affaires, sauvegarder si possible son emprise sur l’empire colonial, quitte à trouver un accord avec la puissance victorieuse. Le gouvernement et avec lui l’essentiel de la classe politique de la Troisième République, tenaient à maintenir un appareil d’État même croupion afin, comme le formulait le général Weygand, de « garder quelques troupes pour préserver l’ordre public qui peut être gravement menacé demain ». Ce rôle fut endossé par le maréchal Pétain dont l’auréole de vainqueur de Verdun servit à enrober l’affaire. Le 16 juin il était appelé à former un gouvernement où deux socialistes trouvèrent place sans difficulté.
Moins d’une semaine plus tard l’armistice était signé. S’il prévoyait la division du territoire et des clauses militaires contraignantes, il laissait aux autorités françaises le soin d’organiser le pouvoir à leur façon. Le choix de mettre en place une dictature réactionnaire, antiouvrière et antisémite fut ainsi celui du personnel dirigeant de la Troisième République, l’appareil d’État quasiment inchangé se mettant à son service.
En collaborant à l’arrivée au pouvoir de Pétain, les parlementaires des partis de gauche ne firent pas que se suicider politiquement. Ils livrèrent consciemment les classes populaires à celui qui avait réprimé les mutineries de 1917, mené une campagne sanglante contre Abd El-Krim pour maintenir le Maroc dans le giron colonial français, et qui était devenu ministre du gouvernement Doumergue à l’occasion des émeutes d’extrême droite de février 1934.
La politique des partis du Front populaire avait brisé l’élan ouvrier qui seul aurait pu mettre un coup d’arrêt révolutionnaire à la marche à la guerre. En accompagnant le sauvetage économique et politique de la bourgeoisie française et de ses profits aux dépens du monde ouvrier, leurs dirigeants avaient fait le lit de l’extrême droite, avant de donner une caution parlementaire à la mise en place de la dictature.