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- Lutte ouvrière n°2824
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Article du journal
“On croit mourir pour la patrie…”
Dès l’attaque de l’Ukraine par la Russie, fin février, les gouvernants occidentaux avaient dénoncé ceux qu’ils rendaient responsables de cette guerre : Poutine et ceux qu’ils appelaient « ses oligarques ».
Ces magnats du monde des affaires apprirent rapidement que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union européenne avaient décidé de geler leurs avoirs et de les interdire d’entrée de territoire.
La guerre se prolongeant, les listes s’allongèrent d’hommes du Kremlin et d’oligarques visés par ces sanctions.
Or, parmi les noms listés, on ne trouvait pas ceux d’oligarques très en vue, dont 13 des 37 qui entouraient Poutine au Kremlin le 24 février, quand il avait déclaré la guerre devant le pays et le monde entier. Parmi tout ce joli monde, un nom n’a cessé de briller par son absence dans les radars aux sanctions : celui de Vladimir Potanine.
Un oubli ? Ce serait étonnant pour l’homme dit le plus riche de Russie, avec une fortune personnelle estimée à 34 milliards d’euros, outre l’empire industriel et financier qu’il a commencé à bâtir en s’appropriant des entreprises étatisées à la fin de l’Union soviétique.
Seulement voilà, cet ancien du KGB décrit comme proche de Poutine, est aussi propriétaire de Nornickel, un géant mondial de ce métal dont les économies américaines et européennes ne peuvent pas se passer.
La même chose vaut pour l’aluminium, un autre métal stratégique pour l’économie mondiale dont la Russie est, avec la société Rusal, le plus gros producteur en dehors de la Chine.
Comme il n’était pas question pour les grands groupes européens et américains de se passer de nickel et d’aluminium, non seulement leurs États n’allaient pas chercher noise à Potanine et à ses pareils, mais ils ont tout fait pour faciliter les exportations russes de nickel et d’aluminium.
Ainsi, selon la base de données Comtrade des Nations unies qu’a examinée l’agence Reuters, les données officielles concernant les volumes importés d’aluminium et de nickel russes par l’Europe et l’Amérique ont augmenté de 70 % entre mars et juin de cette année. Cela correspond aux quatre mois qui ont suivi le début de l’invasion de l’Ukraine, des données plus récentes n’étant pas fournies. Le prix de ces métaux ayant explosé, suite à la crainte que la guerre ne provoque une rupture d’approvisionnement, la valeur totale de ces importations frise deux milliards de dollars. Ces milliards s’ajoutent à ceux que la Russie a retirés durant le même temps de ses exportations de gaz et de pétrole et qui, bien sûr, ont à leur façon contribué à « l’effort de guerre » de Poutine. Cela avec la bénédiction plus ou moins ouverte des grands groupes occidentaux de l’énergie et de la métallurgie, et celle plus hypocrite de leurs États.
Dans la même veine, on a appris que Potanine a aussi racheté à la Société générale, soucieuse d’afficher qu’elle se dégageait de Russie, sa filiale Rosbank… que le même Potanine avait jadis vendue à la Société Générale. Celle-ci le connaît donc bien. Au point de compter sur lui pour qu’il garde Rosbank au chaud d’ici à ce qu’elle puisse la reprendre ?
L’histoire ne le dit pas. Pas plus qu’elle ne dit ce qu’en penseraient les soldats que Poutine expédie combattre en Ukraine. Ou encore les Ukrainiens que Zelensky, ses oligarques et ses mentors de l’OTAN poussent à aller au front, risquer leur peau pour « la défense de la patrie ».
En tout cas, s’il se trouve en Ukraine ainsi qu’en Russie des militants socialistes, communistes, internationalistes et soucieux de défendre les intérêts des travailleurs, ils peuvent citer à ce propos ce qu’Anatole France disait en 1922, à propos de la Première Guerre mondiale : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels. »