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- Lutte ouvrière n°2856
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Article du journal
Mayotte – Comores
un fossé creusé par la France
Le gouvernement justifie la destruction des bidonvilles et l’expulsion de milliers de Comoriens de Mayotte en disant qu’ils y sont en situation irrégulière. Mais cette irrégularité, c’est l’impérialisme français qui, pour conserver un point d’appui dans cette région du monde, l’a créée de toute pièce.
Mayotte est la première des quatre îles qui furent colonisées par la France en 1841. Anjouan, à 70 kilomètres à l’est de Mayotte, visible selon le temps et l’heure, Mohéli et Grande Comore quelques dizaines de kilomètres plus loin, ont intégré l’empire colonial français en 1886 comme des protectorats sous la direction du gouverneur de Mayotte tandis que Mayotte gardait son statut de colonie.
Dès le début, l’impérialisme français prit soin de cultiver la division entre Mayotte et les trois autres îles. Il amena à Mayotte jusqu’aux années 1960 argent, emplois, administration, au détriment des autres îles. En 1961, en pleine vague de décolonisation, l’État français concéda à la petite bourgeoisie des Comores une large autonomie pour préparer l’indépendance mais, en parallèle, il préparait les esprits des Mahorais, les habitants de Mayotte, à la sécession. En 1966, la capitale administrative de l’archipel fut transférée de Dzaoudzi, à Mayotte, à Moroni sur Grande Comore. Du jour au lendemain, ce fut le marasme à Mayotte. Les emplois liés à l’administration, la moitié des emplois, étaient partis, il y avait pénurie dans les magasins, à l’hôpital… Et les Mahorais eurent à faire face à l’arrogance des nouveaux fonctionnaires, après des dizaines d’années de traitement de faveur. Le gouvernement français, qui s’appuyait sur des réseaux d’extrême droite pour organiser la lutte pour « Mayotte française » contre les indépendantistes locaux, voulait donner ainsi aux Mahorais un avant-goût de ce qui les attendait s’ils suivaient les Comoriens dans l’indépendance.
En 1972, Pierre Messmer, secrétaire d’État de Pompidou aux DOM-TOM, assurait aux leaders mahorais que « Mayotte, française depuis 130 ans, peut le rester autant d’années si elle le désire ». Les résultats du référendum de 1974 furent sans surprise : 94 % des électeurs des quatre îles votèrent pour l’indépendance. Cependant, alors que 99 % des Grands Comoriens, des Anjouanais et des Mohéliens avaient voté pour l’indépendance, à Mayotte 65 % votèrent contre. Pour enfoncer le coin, le gouvernement français organisa un deuxième référendum, île par île. Les indépendantistes locaux étant partis ou ayant été physiquement réduits au silence, les Mahorais restants votèrent à 98,8 % pour demeurer dans la République française.
Chaque année, de 1976 à 1994, les Comores ont revendiqué auprès de l’ONU le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien. Chaque année, l’Assemblée générale de l’ONU a condamné la France, affirmant illégale la sécession, mais ça n’a fait ni chaud ni froid à l’impérialisme français. Pendant ces mêmes vingt années, les Comores devinrent le terrain de jeu des barbouzes et des diplomates français, paralysant toute possibilité de remettre en cause la séparation de Mayotte et empêchant aussi tout développement économique.
Ainsi, depuis 1975, les Comoriens ont dû subir vingt-trois coups d’État ou tentatives de coup d’État. Quatre présidents en exercice ont été assassinés, deux ont été déportés ou exfiltrés. En 1978, le Français Bob Denard et ses mercenaires renversèrent le régime en place. Pendant onze ans, jusqu’à l’assassinat du président en exercice et leur exfiltration par les services français en 1989, ces mercenaires accomplirent la sale besogne de la Françafrique, réprimant les opposants, éliminant les leaders politiques, contrôlant l’économie, n’oubliant pas de se servir au passage. Ainsi, pendant plus de vingt ans, l’impérialisme français n’eut rien à craindre pour sa position dans la région.
Depuis, l’État français a continué à creuser le fossé entre Mayotte et les Comores. Dans cet ensemble où auparavant la circulation était libre, un visa est obligatoire depuis 1995. Les contrôles et les expulsions se sont multipliés. Le bras de mer séparant Anjouan de Mayotte est devenu un cimetière pour des milliers de Comoriens ayant voulu fuir la misère sur des bateaux de fortune, les kwassa kwassa, cherchant à esquiver les patrouilles de gendarmerie.
Dans la dernière période, l’impérialisme français a renforcé ses liens avec Mayotte, lui donnant, en 2011, le statut de département. Mayotte hérita ainsi des quelques installations nécessaires à la présence de l’impérialisme et de ses soldats et de quelques infrastructures et budgets, bien insuffisants. Bien que la pauvreté frappe plus des trois-quarts des 300 000 habitants, elle est un havre pour les familles qui crèvent de misère dans les autres îles de l’archipel. Les prétendus immigrés, ceux qui, avec tant de Mahorais, peuplent les bidonvilles, ne le sont que parce que l’impérialisme a creusé un fossé entre les îles et entre leurs habitants.