Santé : la maladie de la financiarisation09/10/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/10/une_2932-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

Article du journal

Santé

la maladie de la financiarisation

Dans un rapport sur la financiarisation de la santé, des sénateurs constatent que le modèle d’un capitalisme traditionnel, avec des professionnels de santé propriétaires des structures médicales, est en train de céder la place à un capitalisme financiarisé, c’est-à-dire au contrôle de ces structures par de grands groupes financiers.

Différents scandales dans les Ehpad, les crèches, les centres dentaires, ophtalmologistes, de radiologie et les cliniques privées ont dévoilé l’ampleur de cette mainmise et ses conséquences. Ces nouveaux acteurs de la santé ont des noms qui commencent à être connus, tels UnipharmaII pour la pharmacie, Elsan, Ramsay Santé pour les cliniques ou Biogroup pour les laboratoires.

Une série de lois et de modifications réglementaires ont favorisé cette évolution depuis une vingtaine d’années. Les règles limitant l’ouverture du capital des structures de santé à des non-professionnels et à des financiers ont été globalement assouplies. En 2009, par exemple, l’obligation d’agrément pour créer un centre de santé a été supprimée. Officiellement, les centres médicaux où se regroupent des médecins généralistes ne peuvent pas générer de profit mais ils sont l’enjeu d’une concurrence féroce entre quelques grands groupes. Ces derniers cherchent à acquérir les cabinets des médecins qui prennent leur retraite, proposent des solutions aux jeunes médecins pour qu’ils puissent s’installer ou encore une aide pour la gestion, comme le font Ipso Santé créé en 2015 ou Ramsay Santé cité plus haut. Ces entreprises cherchent notamment à capter une clientèle par le contrôle de l’activité des médecins.

Les structures privées telles que les cliniques, les centres de radiologie ont des taux de rentabilité de plus de 20 %, bien supérieurs à ceux d’autres secteurs. C’est directement pour capter cette source de profit et l’accroître que les grands groupes ont commencé à s’y intéresser, répondant eux aussi à la politique de réduction des coûts de l’Assurance-maladie. Leurs investissements permettaient de regrouper des structures pour rationaliser certaines activités médicales ou administratives ou faciliter l’acquisition de matériel coûteux. De plus, la pénurie de professionnels, leur souhait de travailler en équipe, le coût de reprise d’un laboratoire de biologie ou de radiologie pour de nouveaux professionnels ont été autant d’opportunités saisies par ces financiers.

La profitabilité de ces centres s’appuie sur le remboursement des soins par la Sécurité sociale. Mais les financiers ont aussi développé des montages financiers complexes qui leur permettent d’orienter l’activité des professionnels vers les actes les plus lucratifs. Certaines sociétés sont en fait des entreprises commerciales qui utilisent la location de locaux, de matériels pour les centres d’imagerie et de radiologie ou encore des services de gestion pour profiter indirectement des financements par les cotisations sociales. L’opacité de leurs comptes cache parfois des fraudes, avec des actes fictifs et des doubles facturations. En 2023, l’Assurance-maladie a détecté 124 millions d’euros de fraudes sur l’Île-de-France en un an, essentiellement dues aux professionnels. Une partie des fonds d’investissement achètent ces structures à crédit pour les revendre quelques années plus tard en réalisant une plus- value. Mais les pouvoirs publics commencent aussi à craindre que les groupes financiers ferment des structures lorsqu’elles n’offrent pas la rentabilité promise.

Ce poids grandissant de la finance a non seulement des conséquences sur les professionnels et les patients mais il peut mettre l’Assurance-maladie en difficulté car celle-ci négocie désormais face à des puissances financières et non face à des professionnels de santé. Récemment, la grève des biologistes, c’est-à- dire la fermeture des laboratoires sur demande de leurs propriétaires de fonds d’investissement, a montré leur capacité de peser sur l’Assurance-maladie pour décider des tarifs. Après avoir représenté un avantage financier, leur mainmise peut conduire à une augmentation des coûts payés par la collectivité ou par les patients.

La situation est tellement préoccupante que le gouvernement commence à prendre des mesures pour tenter de limiter le pouvoir de ces groupes. La loi de Khattabi en 2023 a rétabli l’obligation d’agrément des centres dentaires ou ophtalmologiques et orthoptiques pour faciliter leur contrôle par la Sécurité sociale.

Mais une fois que la finance est présente au sein du capital des structures de santé, elle dicte ses règles et il devient difficile de l’en déloger quand on ne veut pas s’attaquer au système capitaliste lui-même.

Partager