Italie : la bourgeoisie à l’offensive, le gouvernement à la manœuvre24/10/20152015Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2015/10/171.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Italie : la bourgeoisie à l’offensive, le gouvernement à la manœuvre

Réunis pour leur assemblée annuelle l’été dernier, les patrons de la Confindustria, l’équivalent italien du Medef, ont déclaré leur satisfaction quant aux mesures prises par le gouvernement. Mais après que leur président, Giorgio Squinzi, se fut exclamé  « Les mesures de ce gouvernement réalisent les rêves des industriels , le patronat a exprimé de nouveaux souhaits. En effet pourquoi s’arrêter en si bon chemin  Après toute une série d’attaques contre les travailleurs, il affirme maintenant la nécessité de « revoir le modèle contractuel, afin de lier étroitement la rétribution et la productivité , ajoutant  « Il faut innover dans l’organisation du travail au sein de nos entreprises et, pour cela, établir des règles complètement nouvelles en termes de contrats collectifs. 

En clair, les patrons réclament que ce qu’ils pratiquent déjà à coups de dérogations devienne la loi générale, permettant de les libérer des contrats collectifs et de « négocier », c’est-à-dire d’imposer, entreprise par entreprise, les conditions de travail et de salaire qu’ils désirent.

Renzi : l’homme providentiel de la bourgeoisie

Celui qui réalise les rêves de Squinzi, Matteo Renzi, est à la tête du gouvernement depuis un an et demi. Politicien du Parti démocrate, le parti de centre gauche, il s’est fait élire sur son image d’homme jeune et dynamique, revendiquant le sobriquet de « rottamatore », littéralement « démolisseur », et promettant d’envoyer à la casse les vieux politiciens et leur immobilisme. Il est vrai qu’il n’a pas perdu de temps : au nom du changement et même de la justice sociale envers les jeunes travailleurs, il a concocté sa réforme du travail, affublée, modernité oblige, d’un nom anglais, le Jobs Act. Elle s’ajoute à celles que ses prédécesseurs, qu’ils soient issus de regroupements de gauche comme Prodi, de droite comme Berlusconi ou abrités derrière l’étiquette « technique » comme Monti, avaient déjà fait passer pour reculer l’âge de la retraite, légaliser le recours à toutes sortes de contrats précaires, ou encore réduire à pratiquement rien l’article 18 du Statut des travailleurs, qui garantissait la réintégration des travailleurs licenciés sans cause valable.

En février dernier, au moment où paraissaient les premiers décrets d’application du Jobs Act, Renzi s’enthousiasmait : « Les vieux tabous sont enfin dépassés et nous offrons aux jeunes des perspectives d’avenir. La loi s’oppose enfin à la précarité. » La lutte contre la précarité est en effet la justification de Renzi à l’une des mesures phares du Jobs Act, le « contrat à droits croissants ». Cette nouvelle version du contrat à durée indéterminée permet en réalité au patron de congédier le salarié à n’importe quel moment pendant trois ans, contre une indemnité ridicule. La seule partie « croissante » des droits de ce contrat, ce sont les indemnités plus élevées en cas de licenciement injustifié, en fonction du temps passé dans l’entreprise. Mais elles ne peuvent de toute façon pas dépasser 24 mensualités ! Et bien entendu, des exemptions de charges sociales sont prévues pour remercier les patrons qui auront la bonté d’embaucher des salariés avec ce nouveau contrat.

Le refrain n’est pas différent de celui qu’on entend de toutes parts : il faut permettre au patronat de licencier encore plus facilement pour qu’il embauche et supprimer les garanties dont jouissaient les travailleurs auparavant pour que les jeunes sortent de la précarité. Bien évidemment, la réalité est tout autre : la généralisation de la précarité pour l’ensemble des travailleurs n’aboutit qu’à augmenter les bénéfices des patrons, certainement pas l’emploi. D’après les statistiques officielles, le chômage des jeunes, en augmentation constante depuis 2009, a d’ailleurs atteint 43 % en juin dernier.

Des années de reculs pour la classe ouvrière

Le rouleau compresseur qui remet en cause leurs droits l’un après l’autre contribue à la démoralisation des travailleurs. D’autant plus qu’en Italie comme dans de nombreux pays, dont la France, les attaques les plus violentes de ces dernières années ont été portées par des gouvernements de gauche. Le « chantier de démolition » de tous les droits conquis par les travailleurs au cours des grandes luttes précédentes a été entrepris par des coalitions gouvernementales dirigées par la gauche, avec par exemple la suppression de l’échelle mobile des salaires, les premières attaques contre les retraites, l’introduction des premiers contrats précaires, etc.

S’y ajoute la disparition des militants politiques se réclamant des intérêts du monde du travail. Le Parti communiste n’avait certes pas attendu de se débarrasser de son étiquette « communiste » en se transformant en Parti démocrate de gauche, puis en Parti démocrate tout court (PD), pour trahir les intérêts de la classe ouvrière. Mais après son autodestruction et la quasi-disparition des militants communistes, il n’a été remplacé par aucune force un peu substantielle se réclamant de la classe ouvrière. Au contraire même, ces dernières années, même le petit parti de la Refondation communiste, formé par ceux qui n’avaient pas voulu abandonner cette référence, a choisi de se fondre toujours plus dans des coalitions plus larges, noyant son identité, cédant à l’air du temps antipolitique et à la mode de la « politique autrement », dont on ne sait guère ce qu’elle signifie, sinon le fait de ne pas se situer sur un terrain de classe.

Les perspectives et les objectifs de classe ne sont pas mieux portés par les directions syndicales. La CGIL, qui occupe la place qui est celle de la CGT en France, a certes organisé une journée de grève générale et de manifestation à l’automne 2014, contre le Jobs Act. Et elle avait fait en sorte qu’elle soit un succès, les militants relayant l’appel dans les entreprises et le syndicat affrétant cars et trains spéciaux pour faire venir à Rome les dizaines de milliers de militants qui souhaitaient se faire entendre et voir.

Mais si la journée montrait le rôle que peuvent jouer les militants de la CGIL, elle montrait aussi les limites politiques dans lesquelles sa direction se situe. Convoquée alors que les dispositions du Jobs Act étaient pratiquement adoptées et placée sous le mot d’ordre ambigu « Pour le travail », elle était surtout l’occasion pour Susanna Camusso, la dirigeante du syndicat, de dénoncer le fait que le gouvernement de Renzi soit passé en force, sans rechercher le dialogue social et l’accord de la CGIL. Elle en profitait également pour mettre en avant ses propositions pour une politique d’investissements industriels, sa vision des atouts de l’Italie… Sur le fond, la CGIL se place ainsi sur le même terrain que Renzi, sur le terrain de la bourgeoisie, en revendiquant des « solutions » qui seraient moins dures aux travailleurs mais tout aussi efficaces pour le patronat. On était loin des objectifs qui auraient pu permettre à la fraction des travailleurs la moins démoralisée par la situation de se sentir confortée dans sa volonté de s’opposer au Jobs Act et aux attaques continuelles du patronat.

Dans cette « Italie qui repart », pour reprendre l’expression favorite de Renzi, la bourgeoisie est à la fête et la classe ouvrière subit un recul après l’autre. Ce qui ne veut pas dire que les travailleurs restent sans réactions et ne tentent rien pour s’opposer aux attaques. De manière plus ou moins spontanée, avec ou sans les appareils syndicaux, des mobilisations, des mouvements de mécontentement, voire des mouvements de grève se produisent, y compris dans les secteurs les plus précaires de la classe ouvrière. C’est le cas, par exemple, des travailleurs de la logistique, le plus souvent immigrés, embauchés sous contrats précaires, payés au lance-pierre par des entreprises sous-traitantes, qui ont mené une longue lutte pour obtenir des salaires et des conditions de travail décents et ont eu à s’imposer à des patrons voyous.

Ces réactions, venant souvent de secteurs isolés et de travailleurs qui se battent le dos au mur, ne suffisent évidemment pas à inverser le rapport de force actuel. Il faudrait pour cela des mobilisations à une tout autre échelle. Pour l’heure, le mécontentement accumulé dans les classes populaires se traduit surtout en amertume et en découragement. Les dernières élections régionales, en mai dernier, ont vu le PD, le parti de Renzi, s’effondrer et l’abstention atteindre des records puisqu’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé. Dans certaines régions, la Ligue du Nord, le parti d’extrême droite qui joue sur le même registre anti-immigrés que le Front national en France et des formations semblables en Europe, a fait une percée.

Quelles perspectives pour les travailleurs ?

Dans leur document politique adopté cette année, nos camarades de l’Union communiste internationaliste qui éditent en Italie le journal L’Internazionale tirent de la situation sociale et politique les conclusions suivantes :

« La nécessaire riposte ouvrière aux attaques conjointes du patronat et du gouvernement se heurte à une série de facteurs concrets. Le premier est le chômage de masse et son pouvoir de chantage et d’intimidation. Mais la soumission des bureaucraties syndicales aux intérêts du capitalisme pèse tout autant. Ceux qui devraient représenter les travailleurs et en défendre les intérêts sont en réalité une des entraves majeures à leur riposte. Il est donc urgent de former une nouvelle génération de cadres et de dirigeants du mouvement ouvrier, qui redonnent à la classe ouvrière confiance dans ses propres forces, la fierté de son identité de classe et un horizon vers lequel se tourner. Cette nécessité nous amène, encore une fois, sur le terrain de la politique et du parti.

Regardons le “monde de la politique” : les vieux partis qui se référaient, au moins formellement, à la tradition du mouvement ouvrier, PCI et PSI, sont morts depuis longtemps. Le Parti démocrate, le PD, a été transformé encore un peu plus par Renzi en une sorte de comité électoral incolore. Pour Renzi, le PD est le Parti de la nation, une définition plus significative qu’il n’y paraît. […]

Hors du Parti de la nation au pouvoir, on trouve des organisations plus ou moins extrémistes comme celle du Mouvement cinq étoiles de Grillo ou comme la Ligue de Salvini. S’il semble improbable qu’ils deviennent des partis de gouvernement, ils sont utiles à tous les pouvoirs tant qu’ils réussissent à canaliser le mécontentement populaire dans des impasses. La propagande raciste et anti-immigrés de la Ligue de Salvini représente un danger d’autant plus grand que les effets sociaux de la crise poussent de plus en plus souvent à des épisodes de “guerre des pauvres”, accompagnés d’actes de violence contre les immigrés.

À tout cela s’ajoute la corruption persistante, illégale ou légalisée des politiciens et hauts bureaucrates, obstinés et arrogants dans la défense de leurs privilèges. Si c’est là l’« l’offre politique » présentée aujourd’hui à l’électorat ouvrier, il ne faut pas s’étonner de l’importante augmentation des abstentions à chaque tour de scrutin. L’idée même d’organisation au sein d’un parti politique est irrémédiablement compromise aux yeux de la jeunesse ouvrière. On jette l’enfant avec l’eau du bain ; avec la pourriture de la politique bourgeoise, on rejette la politique en général ou au moins la politique de parti.

C’est une tendance qu’il faut combattre car la classe ouvrière a ses propres intérêts et a besoin d’une politique pour les défendre et les faire avancer. La crise met à l’ordre du jour, pour les travailleurs et pour les classes les plus pauvres, une politique opposée à celle des partisans et des serviteurs du capitalisme italien et international, une politique communiste.

À la misère, on ne peut répondre que par des mesures radicales nécessaires, comme le partage du travail entre tous à parité de salaire, ou comme l’institution d’un salaire minimum légal qui permette une vie décente. La politique nécessaire à la classe ouvrière doit aussi s’exprimer sur l’immigration, en encourageant la fraternisation entre travailleurs de tous les pays, en cherchant et en construisant des occasions de lutte et d’organisation communes. […]

Un monde de revendications, de projets, d’objectifs peut prendre corps à partir du capital politique issu de la tradition marxiste. Mais l’action politique d’une classe exploitée a besoin de continuité, elle a besoin d’instruments pour mener des batailles et pour capitaliser les expériences qui en résultent, elle a besoin d’hommes qui fassent leurs, tant par l’étude que par la lutte, ces expériences et celles des générations passées, elle a besoin d’un travail de propagande permanent pour atteindre les couches les plus larges de travailleurs et de la population. […]

Voilà pourquoi il faut un parti de la classe ouvrière et voilà pourquoi ce parti doit se baser sur ce qui a déjà été acquis dans l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire : la théorie et le programme des communistes.

Certes, pour qu’il se forme un grand parti communiste, reconnu comme sien par la majorité des travailleurs, il faut toute une série de facteurs et de véritables événements et expériences historiques. Reste le fait que ceux qui se reconnaissent dans cet objectif ne peuvent rester les bras ballants dans l’attente de ces grands événements. Au minimum, il y a la nécessité de convaincre un nombre plus large de personnes de cette nécessité. Une telle tâche exige déjà un certain niveau d’organisation et une régularité dans l’engagement militant. À cela on doit ajouter la nécessité, pour chacun des divers groupes de militants communistes révolutionnaires déjà existants et dispersés dans toute l’Italie, de trouver des moments de confrontation des idées et des pratiques militantes.

Les idées que nous défendons sont une fenêtre ouverte sur l’avenir de l’humanité. Mais les idées n’avancent pas seules, elles doivent être propagées, expliquées par des hommes en chair et en os, d’une génération à l’autre. Nous n’attendons pas que le marxisme survive grâce à quelque courant culturel ou à quelque professeur universitaire ! Ses principes et son contenu révolutionnaires ne peuvent être défendus et transmis que par des militants ouvriers, des militants communistes. »

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