Discussion sur les textes d’orientation20/03/20162016Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2016/03/174.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Discussion sur les textes d’orientation

Nous publions ci-dessous des extraits des discussions sur les textes d’orientation adoptés par le congrès.

La crise de l’économie capitaliste

La crise de l’économie capitaliste, la forme qu’elle revêt, son rythme, ont une influence déterminante aussi bien sur la situation internationale que sur la situation intérieure. Ce lien est parfois immédiatement perceptible ; parfois les conséquences de tel ou tel soubresaut de la crise ne se manifestent qu’à plus long terme.

Un camarade a trouvé contradictoire que l’on puisse dire que la crise est inhérente au capitalisme, alors que dans le texte on date son début des années 1970. Cela n’est pas contradictoire car, si le capitalisme connaît des crises depuis toujours, en tout cas depuis les débuts de sa mainmise sur l’économie mondiale, disons depuis la révolution industrielle il y a deux siècles, cela ne signifie pas que l’économie soit en crise en permanence.

Le développement de l’économie capitaliste est rythmé depuis ses débuts par des crises cycliques. Au temps de Marx en particulier, il était admis, ou plus exactement constaté, qu’à peu près tous les dix ans l’activité économique chutait plus ou moins gravement, pour reprendre au bout d’un certain temps. La crise pouvait concerner un nombre de secteurs limité, le bâtiment par exemple, les chemins de fer, ou elle pouvait être plus générale, c’est-à-dire concernant plusieurs secteurs.

La crise était – et est toujours – l’expression d’une réalité fondamentale de l’économie capitaliste. C’est une économie basée sur la propriété privée des moyens de production et les décisions économiques résultent des décisions d’une multitude de capitalistes ou de groupes capitalistes qui, poussés par la recherche du profit individuel, investissent, achètent des instruments de production, des matières premières, embauchent des ouvriers à exploiter et se mettent à produire, non pas en fonction des besoins mais en fonction des besoins solvables, c’est-à-dire en fonction du marché.

L’économie n’étant pas planifiée, ces décisions sont des décisions individuelles en concurrence les unes avec les autres, et personne ne sait par avance si le marché est capable d’absorber ou pas tout ce qu’on produit. On le saurait, d’ailleurs, que ça ne changerait pas grand-chose parce que, même sans élargissement du marché en général, un capitaliste peut toujours espérer piquer la part de marché des autres.

C’est une économie anarchique. L’équilibre entre ce qu’on a produit et les besoins solvables ne s’établit qu’après coup. Aucun producteur individuel de paires de chaussures, de voitures ou de boîtes de cassoulet ne sait par avance si le marché est capable d’absorber sa production. Il ne l’apprend qu’au moment où, en vendant, il se rend compte que personne ne peut acheter sa camelote, soit parce que c’est trop cher pour ce que c’est, soit parce que les clients préfèrent acheter autre chose, ou que les fabricants sont trop nombreux à avoir fabriqué la même chose.

La crise se manifeste donc par la fermeture d’un certain nombre d’usines, par la dévalorisation des capitaux qui avaient été investis, par le licenciement d’un certain nombre de travailleurs, par l’accroissement du chômage et par une baisse des prix.

Quand nous parlons du rôle régulateur des crises, ce rôle se concrétise, encore une fois, après coup. Une fois les canards boiteux éliminés, lorsque la production chute à un tel point que la demande dépasse de nouveau l’offre, les capitaux se mettent de nouveau à s’investir dans des équipements, à embaucher. C’est ce qu’on appelle la reprise prolongée par un boom, c’est-à-dire par un emballement pour augmenter l’offre, jusqu’à ce que, pour reprendre l’expression marxiste, la capacité illimitée de produire se heurte de nouveau aux limites du marché.

Ce schéma général s’est complexifié au fil du temps. D’abord, par la multiplication des secteurs productifs eux-mêmes. Plus encore par l’évolution interne du capitalisme lui-même, marquée par l’émergence de grands monopoles, par la mainmise croissante de la finance sur la production, par l’impérialisme, par la mondialisation impérialiste. Nous ne reviendrons pas dessus, cela fait partie de notre culture marxiste.

La dernière en date des grandes crises, celle qui a précédé la nôtre, est évidemment la crise de 1929, qui déjà avait une tout autre envergure et de tout autres conséquences que les crises cycliques du 19e siècle. En 1929, il y avait plusieurs cycles à l’intérieur de la crise elle-même, c’est-à-dire avec plusieurs débuts de redémarrages suivis de chutes. Mais la vague de fond de la crise n’a été résorbée que par la Deuxième Guerre mondiale.

La crise actuelle a en effet débuté en gros dans les années 1970. Elle a débuté d’une autre manière que la crise de 1929. La crise de 1929 a commencé par un effondrement bancaire suivi d’un effondrement économique généralisé, bien plus ample que la crise de notre époque.

Pendant la première période de la Grande Dépression, entre 1929 et 1932, la production industrielle a reculé tous les ans de plus de 15 % en Allemagne et de près de 20 % aux États-Unis. Nous n’avons pas connu cela dans la crise actuelle, ou pas encore.

À partir de 1970, les États sont intervenus en injectant des quantités croissantes de liquidités dans l’économie, sous les formes les plus diverses, qui ont abouti à cette financiarisation croissante de l’économie. Cela fait un demi-siècle que cela dure. L’économie capitaliste a évité jusqu’à présent un effondrement brutal. Mais elle n’a jamais réussi à ouvrir une nouvelle phase de développement économique. Au point que, comme nous l’avons constaté dans le texte, comme on le dit même depuis plusieurs années, il ne s’agit même plus de crise cyclique au sens des crises du 19e siècle, mais d’une « crise séculaire », ou « longue dépression », comme l’appellent un certain nombre d’économistes bourgeois, d’une forme d’existence du capitalisme.

C’est à l’intérieur de cette évolution que l’économie a connu un soubresaut majeur en 2008 et qu’il y a tout lieu de craindre une nouvelle crise financière majeure à venir.

Un camarade s’est demandé : « quel sens donner au mot imminent lorsqu’on parle de ce krach financier dont la menace imminente inquiète tant les économistes bourgeois eux-mêmes ». Nous n’en savons rien, pas plus que les économistes bourgeois, que cette ignorance n’empêche pas d’éditer et de vendre ouvrage après ouvrage pour expliquer, chiffres et courbes à l’appui, ce qu’ils ne savent pas.

Nous constatons simplement les conséquences de cette financiarisation sur l’économie. D’abord sur l’exploitation des travailleurs. Les biais par lesquels passe l’aggravation de l’exploitation en raison de la financiarisation croissante sont multiples. Il serait difficile de les énumérer, mais disons que ces mécanismes multiples dérivent d’une même réalité.

Que les capitalistes prélèvent leur part de profit directement de l’exploitation des ouvriers de leur entreprise ou que ces profits viennent d’opérations financières, quelle que soit la forme que ces profits prennent, quels que soient les mécanismes par lesquels les capitalistes tapent dans la cagnotte totale de l’ensemble des plus-values de la société, c’est en dernier ressort l’ensemble des plus-values résultant de l’exploitation qui arrosent tous les capitalistes.

Cela signifie que l’économie capitaliste financiarisée, dans une période de chômage intense, où donc le nombre de travailleurs à exploiter stagne, voire diminue, pousse sans cesse à la surexploitation des travailleurs. La surexploitation des travailleurs se manifeste aussi bien par le blocage, voire le recul des salaires que par l’allongement de la durée du travail et l’aggravation de son intensité. Tout cela est facilité par le chômage, mais l’aggrave en même temps. À ce propos, voici un extrait récent du journal Les Échos : « Aux États-Unis, les milliardaires financiers (hedge funds, capital-investissement, banques…) représentent 27 % du nombre des milliardaires américains, contre 10 % en 1996, d’après une étude de Caroline Feund et Sarah Oliver, du Peterson Institute for International Economics. » En d’autres termes, si on veut devenir milliardaire, il vaut mieux s’adonner aux opérations financières, à la spéculation, que d’investir dans n’importe quelle production, y compris ce qu’on désigne sous le nom de « nouvelle économie », les Google, les Amazon et autres Facebook qui passent pourtant pour des secteurs qui marchent.

Nous insistons cependant dans le texte sur le fait qu’il n’y a pas deux catégories de la bourgeoisie, une bourgeoisie financière et une bourgeoisie industrielle. C’est le même capital, entre les mains de la même grande bourgeoisie, qui change de forme en fonction des opportunités et l’expression « financiarisation de l’économie » exprime le fait que la finance rapporte plus que l’activité productive. Cette prépondérance de la finance exprime le parasitisme croissant du grand capital.

Une camarade trouve que l’expression du paragraphe 3 affirmant que « les sociétés d’assurance, dont les plus importantes sont aussi des grands groupes financiers, lorgnent vers la Sécurité sociale » n’est pas assez forte, car la privatisation de la Sécu est déjà largement en cours. C’est tout à fait juste. Mais rien que le fait de dire que c’est en cours, c’est dire aussi que cela continuera et peut encore empirer. En France, nous ne sommes pas encore dans la même situation qu’aux États-Unis, où il n’y a quasiment rien pour un travailleur pour s’assurer contre la maladie ou pour préparer sa retraite, sinon d’en passer par des sociétés privées.

Mais le plus important à retenir, c’est que la dynamique de la pénétration des capitaux privés dans le secteur public est un phénomène absolument général, et avec ses rythmes variables, qui concerne tous les secteurs. Il faut réaliser qu’il s’agit d’une dynamique. Si on ose utiliser la comparaison, le colonialisme représentait en son temps, c’est-à-dire à la fin du 19e siècle, la dynamique du grand capital à une certaine époque de l’impérialisme. Aujourd’hui, le grand capital ne part même pas à la conquête de nouveaux territoires, ce qui amenait à l’époque coloniale tout de même quelques retombées sur l’économie productive (construction de ports ou de voies ferrées, plantations de coton ou d’hévéa). L’objet des conquêtes du capital financier d’aujourd’hui, ce sont les hôpitaux, les chemins de fer, la protection sociale, ce qu’il reste du secteur public. Prenons l’exemple du chemin de fer : de nos jours le grand capital ne pénètre pas dans ce secteur en construisant de nouvelles lignes et de nouveaux réseaux – encore que Bolloré en Afrique… – mais en privatisant le capital lui-même, tout en démantelant des réseaux et des lignes. Le parasitisme du grand capital affaiblit et ruine l’économie productive.

Autre aspect de la financiarisation : le capital financiarisé ne se contente pas d’accéder à la plus-value globale par l’exploitation directe. L’accroissement de la dette publique partout fait que ce sont les États qui prélèvent sur la population de quoi payer aux banques les intérêts qu’elles exigent. D’où la politique d’austérité menée, avec plus ou moins de rigueur, dans tous les États, y compris les plus riches.

Une partie des économistes, en particulier de gauche, reprochent à juste raison à ces politiques d’austérité de diminuer par là même la capacité de consommation solvable et donc de constituer un obstacle à la reprise. Eh oui, c’est ainsi, mais le grand capital est ainsi, il veut le beurre et l’argent du beurre.

C’est le même grand capital qui profite, via le système bancaire, des intérêts financiers, mais qui profiterait en même temps d’une reprise de la consommation et donc de la production. C’est contradictoire mais c’est ainsi. Les capitalistes qui licencient diminuent par là même la capacité de consommation des travailleurs devenus chômeurs. Mais cela n’empêcherait aucun capitaliste ou groupe capitaliste individuel de procéder à des licenciements si tel est l’intérêt de leur entreprise.

Un camarade s’est demandé : « Comment se fait-il qu’il n’y a pas plus d’inflation avec toute cette monnaie en circulation ? » Il s’agit de l’inflation dans les pays impérialistes d’Europe ou des États-Unis, c’est-à-dire dans les pays où se concentrent les plus grandes masses de capitaux. Car un grand nombre de pays sous-développés ou semi-développés, du Brésil ou de l’Argentine à la Turquie, en passant par la Russie, connaissent bien l’inflation.

Mais c’est dans les pays les plus riches, où se produit l’essentiel de l’accumulation du capital, que toute cette masse d’argent jetée dans l’économie, au lieu d’aller vers le secteur productif et de provoquer une hausse des prix des produits matériels ou des services, va vers les opérations financières, et l’inflation n’est pas celle de ces produits et biens matériels mais celle des produits financiers eux-mêmes.

À cheval enfin sur le texte sur la crise économique et celui sur la situation internationale, la question est revenue dans plusieurs assemblées locales, à propos de la comparaison entre la grande crise de 1929 et la crise présente : tout cela va-t-il déboucher sur la guerre ?

Alors, il faut se comprendre. Pour les Syriens, les Irakiens, la question ne se pose pas, on a la réponse avec les bombardements, la ruine des villes, un nombre de victimes par kilomètre carré qui avoisine ce qu’ont vécu bien des pays pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Et puis posons la question sous un autre angle : pour les pays d’Europe occidentale, la Deuxième Guerre mondiale a commencé en 1939. Et plus précisément par l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes le 1er septembre. Mais si l’on pose la question aux habitants de Mandchourie, de Corée ou, plus proches de nous, d’Ethiopie, elle a commencé plusieurs années auparavant.

La seule chose que nous pouvons dire, c’est qu’à la différence de la grande crise de 1929, même si ces multiples guerres locales actuelles débouchent sur une guerre généralisée qui finira forcément mondialisée, on ne voit pas aujourd’hui les futurs blocs, en tout cas pas de la même manière qu’on pouvait le voir entre les deux guerres.

Quand nous disons « on », il s’agit de Trotsky, qui non seulement avait affirmé, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, que c’était le début du processus qui mènerait à la tentative de revanche de l’impérialisme allemand contre les traités de Versailles, du Trianon, etc., mais avait même prévu la date approximative de la guerre à un an près, tout simplement en calculant le temps nécessaire à l’Allemagne pour se réarmer.

À propos du texte sur la situation internationale

L’Europe, la crise des migrants et ses conséquences

Commençons par l’Europe, ou plus exactement par les contrecoups de la crise des migrants. Un camarade constate que la Croatie ne fait pas partie de l’espace Schengen, qu’on ne peut donc pas écrire que les barbelés entre la Hongrie et la Croatie « signent le certificat de décès des accords de Schengen ».

Mais si ! Ce n’est pas une question de géographie mais une question politique. Tout ce mouvement qui a vu, en quelques mois, les frontières se relever, même à l’intérieur de l’Union européenne, a commencé par les barbelés érigés entre la Serbie et la Hongrie par le gouvernement Orban. Bien sûr, la Serbie ne fait pas partie de l’Union européenne, et Orban était tout à fait dans la logique encore des accords de Schengen, qui est que la suppression des frontières à l’intérieur de l’Union a comme contrecoup leur renforcement vers l’extérieur. Il n’empêche que déjà ces premiers barbelés n’étaient pas seulement faits pour « protéger » la Hongrie, où d’ailleurs les migrants n’avaient nulle envie de rester, et pour cause, mais pour protéger l’Autriche et plus encore l’Allemagne.

Ces premiers barbelés ont déclenché pendant quelques semaines un tas de critiques des dirigeants européens vis-à-vis d’Orban. Et puis d’autres ont suivi, non seulement aux limites de l’Union européenne, mais même à l’intérieur. Et aujourd’hui le très réactionnaire Orban peut se vanter d’avoir donné l’exemple à toute l’Europe.

Il s’agit d’une régression, même par rapport à bien avant Schengen. Bien avant que les accords de Schengen soient signés, on pouvait passer de l’Allemagne à l’Autriche, ou de la France à la Belgique sans avoir affaire ni aux douaniers, ni aux policiers. Et si les 500 millions d’Européens peuvent encore « librement » circuler, avec les contrôles policiers rétablis – certes pour les migrants –, c’est que ce n’est plus si librement que cela. Demandez par exemple aux frontaliers s’ils considèrent que les fermetures de frontières ne concernent que les migrants. Demandez même aux transporteurs routiers…

L’unification de l’Europe a permis à des multinationales, notamment celles de l’automobile, de disperser leur production entre plusieurs pays, en liant dans un même processus de production des usines dont certaines peuvent se trouver en Slovaquie ou en Tchéquie et d’autres en Espagne ; avec une noria de camions qui vont des unes aux autres. Cette noria de camions travaille en flux tendu pour limiter le coût du ­stockage. Alors, les temps d’attente pour des camions représentent des faux frais qui n’arrangent pas les affaires des entreprises concernées. Eh oui, il est difficile de fermer les frontières uniquement aux migrants et aux sans-papiers. Les contrôles embêtent tout le monde. Si les accords de Schengen permettaient une certaine circulation non seulement des marchandises mais aussi des personnes, ce n’est pas seulement par bonté d’âme du côté de la bourgeoisie, mais parce que, pour transporter des marchandises, il faut bien des hommes qui se déplacent.

Le Moyen-Orient

Pour ce qui est du Moyen Orient, un camarade se demande, à propos « d’une intervention russe concertée avec les USA » : « A-t-on des éléments concrets de cette concertation ? » Les éléments concrets, ce sont les bombes qui tombent sur la Syrie. Nous ne savons évidemment pas si cette coopération entre les puissances impérialistes (principalement les États-Unis) et la Russie a donné lieu à des négociations ou à des concertations entre états-majors dûment signés et dûment tamponnés, mais ils existent dans les faits. Que par la même occasion la Russie cherche à défendre ses propres intérêts d’État et cherche à avancer ses pions, c’est certain. Mais l’un n’empêche pas l’autre.

Et c’est là qu’il y a une certaine continuité entre la politique extérieure de la Russie d’aujourd’hui et celle de feu l’URSS : la bureaucratie a une vieille tradition de collaborer au maintien de l’ordre impérialiste mondial tout en tentant, avec plus ou moins de succès, de participer à ce qu’un autre camarade appelle « le partage du gâteau syrien ».

La Chine et le prolétariat mondial

Dans le dernier chapitre du texte sur la situation internationale, intitulé « Le prolétariat et la crise de la direction prolétarienne », nous abordons cette question à travers l’exemple de la Chine. Le choix a intrigué un certain nombre de camarades. Un d’entre eux l’a formulé en disant que : « Même si on ne l’affirme pas, on présente la Chine comme le prochain terrain révolutionnaire. Mais d’autres pays possèdent aussi une classe ouvrière importante et sont agités par des mouvements sociaux importants. Alors pourquoi focaliser sur la Chine ? » « Pourquoi en Chine et pas ailleurs ? » se demande un autre camarade.

Nous n’avions certainement pas l’intention de faire des prévisions car, à tous les coups, on se tromperait. D’ailleurs le paragraphe commence par l’affirmation : « En Chine, au Brésil, en Inde, au Bangladesh, ou bien plus près en Europe, en Turquie, dans tous ces pays dits émergents où s’est renforcé un prolétariat jeune et souvent combatif… » C’est dire que nous ne focalisons pas spécialement sur la Chine, en tout cas pas pour affirmer qu’elle sera « le prochain terrain révolutionnaire ». Nous n’en savons rien.

Cependant, le prolétariat chinois est un des plus importants numériquement dans le monde, si ce n’est le plus important. De plus, c’est un des principaux pays du monde par sa place dans les relations internationales. Une révolution prolétarienne aurait certainement un tout autre impact sur l’évolution du monde qu’une révolution prolétarienne au Luxembourg, où pourtant il y a un prolétariat conséquent par rapport à la population. Et une révolution en Chine serait autrement plus importante même que dans la plupart des pays d’Europe. Et si le prolétariat parvenait au pouvoir, il aurait bien plus de chances de s’y maintenir que dans la plupart des autres pays du monde. Pour ne citer que cette comparaison : pendant la même période 1917-1919, le prolétariat a conquis le pouvoir en Russie, mais aussi en Hongrie. Mais ce n’est pas sans raison que c’est en Russie qu’il a pu se maintenir.

En dehors de la combativité ou de la conscience du prolétariat, en dehors de la compétence et de l’expérience de la direction prolétarienne, il y a bien d’autres facteurs qui interviennent, parmi lesquels la situation géographique du pays, sa taille, ses ressources, etc. Par ailleurs, comme on le rappelle dans le texte, la Chine semble être à un tournant. Depuis plusieurs années, elle a été en plein développement économique, avec ce que cela implique de croissance numérique rapide du prolétariat, de grands mouvements de population des campagnes vers les villes. Avec aussi un accroissement du niveau de vie des travailleurs, même s’il reste très loin du niveau de vie des pays développés. Si un retournement se dessine dans la situation économique du pays, si le tout jeune prolétariat chinois est frappé par des fermetures massives d’entreprises, par un recul vital de son niveau de vie, la situation est susceptible de susciter des réactions et peut-être de déboucher sur des développements révolutionnaires.

Mais, encore une fois, ce n’est pas une prévision. Non seulement il n’y aucune certitude que cela se produise ainsi en Chine, mais de plus cela peut se produire ainsi dans d’autres pays parmi ceux qu’on cite au début du paragraphe. Ce que l’on veut souligner en parlant de la Chine, c’est que le prolétariat chinois, qui a déjà eu une expérience révolutionnaire majeure dans les années 1925-1927, a infiniment plus de chances aujourd’hui qu’à cette époque. Nous ajoutons : « C’est là qu’il deviendra primordial que le prolétariat de Chine renoue avec le passé, c’est-à-dire avec l’expérience de ses frères de classe d’Angleterre, de France, d’Allemagne ou de Russie, et qu’il accède à la conscience politique indispensable pour disputer le pouvoir à la bourgeoisie et se donner le parti pour incarner cette conscience. »

D’où la question légitime d’un camarade qui affirme : « On insiste sur la nécessité pour le prolétariat chinois d’accéder à la conscience de classe. Comment y contribuer ? » Nous n’en savons évidemment rien. Et nous, qui sommes si loin de pouvoir toucher une fraction significative des 20 à 30 millions de prolétaires de France, nous aurions bien du mal à toucher l’immense prolétariat chinois. Mais la question ne se pose pas comme cela. Une reprise de la combativité dans le prolétariat en Chine entraînera inévitablement des conséquences dans toute la société, à commencer sans doute avec l’intelligentsia.

Il y a infiniment plus de chances que ce soit en Chine que naisse une génération de jeunes intellectuels ou de prolétaires qui cherchent à renouer avec le passé, avec l’expérience des pays développés d’Occident. Une génération qui ait envie de faire connaissance avec Marx, avec Lénine et peut-être avec Trotsky, et pas seulement dans les livres mais en contactant des organisations qui militent sur ce terrain.

Le monde devient de plus en plus un grand village et, s’il y a des gens qui cherchent, ils trouveront. Alors la seule façon pour nous de « contribuer à l’accession du prolétariat chinois à la conscience de classe », c’est avant tout d’exister et de faire notre travail. Et si c’est le cas, encore une fois, ce n’est pas nous qui les trouverons, ce sont eux qui nous trouveront.

À propos des textes sur la situation intérieure

Les principales discussions des assemblées préparatoires ont surtout tourné autour de formulations. Nous revenons ici sur les principales.

Dans le second texte, un camarade s’est demandé de qui on parlait quand on dit que « se limiter à dénoncer la politique gouvernementale sans dénoncer l’offensive du grand capital… représente une trahison des intérêts des travailleurs ».

De la gauche de la gauche évidemment, de Mélenchon mais aussi du PCF. La façon dont se positionnent des gens comme Mélenchon ou Pierre Laurent sur la loi El Khomri est significative. L’axe de Mélenchon est que « le gouvernement est nul » et il n’est jamais question pour lui d’attaquer le patronat et de mettre en cause ses responsabilités. En clair, cela signifie qu’il faut trouver une bonne politique et qu’il y en a une qui concilie les intérêts patronaux et ceux des travailleurs.

Cette discussion en recoupe une autre. Pourquoi insiste-t-on, au début du texte sur la situation intérieure, sur le fait qu’en gros, le démantèlement du Code du travail, c’est déjà fait, que le patronat fait de toute façon comme il veut ? Cela pourrait-il être interprété comme le fait de ne pas avoir à se battre, puisque la catastrophe est déjà là.

Il ne s’agit évidemment pas de dire que la lutte qui se mène soit perdue d’avance, ni que ce soit indifférent, qu’il n’y ait rien à défendre, et qu’il soit vain de se battre là-dessus. Évidemment­ non. Il faut expliquer qu’il faut se battre pour conserver ses droits sur le papier, qu’il faut se battre pour les faire appliquer et que, tant que la bourgeoisie ne sera pas renversée, il faudra se battre tous les jours si l’on ne veut pas perdre un pouce de terrain.

L’essentiel est de ne pas tomber dans le cinéma fait par les syndicalistes, par la gauche en général, qui portent aux nues le Code du travail et qui parlent des acquis comme s’ils étaient déconnectés de tout rapport de force et qu’ils étaient devenus intouchables par la grâce des luttes passées de la classe ouvrière.

Juste pour donner un exemple de ce genre de jargon, voici un extrait de l’interview de Gérard Filoche dans L’Humanité du 19 février : « Le Code du travail s’est construit depuis un siècle pour permettre de protéger les salariés contre les exigences des entreprises et de l’économie. C’est la casse de la grande tradition de reconnaissance du salariat comme moteur de production des richesses. » Toutes ces formulations masquent l’essentiel : la lutte de classe permanente entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, qui établit un certain rapport de force dont découle la condition ouvrière.

Le texte explique comment, par le rapport de force qu’il impose actuellement, le patronat parvient à contourner les lois sociales ; mais il y a eu le phénomène inverse ou symétrique. Bien des fois, la loi et le Code du travail sont venus sanctionner, après coup, le rapport de force favorable aux travailleurs. Par exemple, dans les périodes de plein emploi, dans les périodes où les travailleurs étaient en situation de s’organiser et de se battre plus facilement, la réduction du temps de travail a souvent précédé la loi. Cela a été par exemple le cas pour la quatrième et la cinquième semaines de congés payés, qui existaient dans de nombreuses entreprises avant la loi, ou encore pour le 13e mois de salaire.

Alors bien sûr nous sommes des militants de la lutte qui se développe contre la loi travail, nous dénonçons la démolition des droits des travailleurs, mais d’un point de vue politique et révolutionnaire, en sachant et en expliquant que, tant que les travailleurs n’ont pas renversé la classe capitaliste, rien ne leur sera jamais acquis.

Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845), Engels parlait ainsi des grèves qui se multipliaient dans les années 1840 : « Ces grèves ne sont, il est vrai, que des escarmouches d’avant-postes, parfois aussi des combats plus importants ; elles ne règlent rien définitivement. Elles sont l’école de guerre des ouvriers, où ils se préparent au grand combat désormais inéluctable. » Eh bien c’est dans cet esprit, avec cette préoccupation d’en faire une école de guerre pour les travailleurs que nous devons essayer d’intervenir.

Venons-en au parallèle fait entre l’attraction exercée par les djihadistes et celle exercée, à d’autres périodes, par les mouvements progressistes ou révolutionnaires.

Le parallèle est peut-être mal formulé, en tout cas, il a été mal compris. Parce que la comparaison ne porte pas sur les jeunes, elle porte sur les périodes. Il ne s’agit pas de dire qu’il s’agit du même type de jeunes, mais de comprendre pourquoi la période actuelle fabrique ce genre de jeunes, quand d’autres périodes ont attiré des jeunes dans une direction tout opposée.

Parce que, oui, ce n’est pas le même type de jeunes. Les ressorts qui font que des jeunes se tournent vers le fondamentalisme sont très variés. Mais c’est un fait que les recruteurs de Daech s’accrochent à des jeunes paumés, mal dans leur peau, quand ils ne sont pas suicidaires, et qu’ils peuvent facilement manipuler comme peuvent le faire les sectes. Parmi leurs recrues il y a aussi beaucoup de petites frappes, des anciens caïds qui trouvent une reconversion possible, peut-être pour le pouvoir et le sentiment de domination que cela leur donne, à commencer par la domination sur les femmes. Peut-être, nous n’allons pas faire de la psychologie.

Mais ce que nous voulons dire c’est qu’il y a des périodes qui influencent la jeunesse dans certaines directions et qui transforment une fraction de la jeunesse dans un sens. Une fraction, parce que, même dans les périodes de montée du mouvement socialiste et même dans les périodes révolutionnaires, il y a toujours eu des jeunes qui restaient attirés par la pègre, le banditisme, l’individualisme le plus crasse, les idées réactionnaires. Pianitsky, dans ses mémoires intitulées Souvenirs d’un bolchevik, raconte comment son frère a été acheté et a fini comme tueur à la solde du patronat.

Mais lorsque le mouvement ouvrier était puissant, eh bien à 16 ans ce qui était naturel et évident, c’était d’être révolutionnaire. Et il ne faut pas négliger la force d’attraction et de transformation que les périodes de montée ouvrière ou de combats progressistes peuvent avoir, en particulier sur la jeunesse qui se cherche. Avant de devenir un des leaders de la lutte pour le pouvoir noir, Malcolm X était un petit délinquant, c’est en prison qu’il a découvert la force de cette lutte, qu’il a été impressionné et transformé par le courage et la force de conviction qui se dégageait des militants noirs. Alors est-ce qu’un Malcom X serait tombé aujourd’hui dans l’escarcelle des djihadistes ? Peut-être pas. Mais à l’époque, des jeunes qui ont fait le parcours de Malcom X, il y en avait des milliers, et nous nous disons qu’aujourd’hui, oui, un certain nombre pourraient basculer.

Encore une fois, c’est un problème de période, un problème de perspectives, de rapports de force aussi au niveau des idées. Et le recul, la quasi-disparition du mouvement ouvrier, le vide militant laisse le champ libre aux idées réactionnaires. Les jeunes qui ne se retrouvent pas dans la société actuelle, qui se sentent marginalisés et qui ne s’y voient pas d’avenir, et ils sont des dizaines de milliers, ne rencontrent plus de militants révolutionnaires, ils ne rencontrent plus les idées socialistes révolutionnaires, ils ne voient pas la force que recèlent les exploités, et pour cause : ils ne se battent quasiment plus. Mais ils voient les fanatiques de Daech qui sont en rupture totale avec la société, qui usent aussi d’un langage, si ce n’est anti-impérialiste, en tout cas contre l’Occident…

Ne faisons-nous pas un parallèle entre les travailleurs qui seraient susceptibles de voter pour nous et ceux qui louchent vers le FN ? Parce que c’est au fond le même mécanisme. C’est en grande partie notre faiblesse, la faiblesse du mouvement ouvrier révolutionnaire, qui laisse sans repères, sans perspectives une fraction importante des travailleurs qui subissent les préjugés ambiants.

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