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Article du mensuel
Cause animale, véganisme et antispécisme
La cause animale a le vent en poupe depuis une petite dizaine d’années en France, en particulier dans la petite bourgeoisie et dans la jeunesse. Nous en avons eu la démonstration tout récemment, au moment des élections européennes, avec les scores du Parti animaliste et d’Europe écologie – Les Verts. Le Parti animaliste, apparu sur la scène politique très récemment (2016), totalement boycotté par les médias pendant la campagne électorale et qui a dénoncé l’absence de ses bulletins de vote dans un certain nombre de bureaux de vote, a ainsi obtenu plus de 2 % des voix.
Si la cause animale est de plus en plus prise en considération, cela tient d’abord à l’écœurement et à la révolte devant les conditions ignobles d’élevage, de transport et d’abattage des animaux destinés à l’alimentation humaine, et nous ne pouvons que partager cette indignation. La sensibilité à la souffrance animale est aussi alimentée par les dernières découvertes scientifiques sur le comportement des animaux. Celles-ci font en effet avancer notre compréhension de ce que peuvent ressentir les animaux. Elles permettent de comprendre qu’ils peuvent souffrir, que les plus complexes d’entre eux peuvent avoir une conscience de soi, et même une conscience d’autrui, ainsi qu’une sensibilité à la souffrance d’autrui.
Les rapports entre les humains et les animaux sont déterminés par l’évolution biologique et sociale de l’espèce humaine. Ces rapports ont évolué au cours de l’histoire de l’humanité, de même que les idées sur les relations entre humains et animaux, qu’il s’agisse du simple sens commun, des conceptions religieuses ou philosophiques ou des connaissances scientifiques. La frontière entre humains et animaux a elle-même évolué. Les animaux-totems des peuples amérindiens et australiens, par exemple, étaient des animaux mythiques considérés comme les ancêtres du clan.
Les rapports entre humains et animaux : toute une histoire
Pendant des millénaires, la survie de l’espèce humaine a été permise par la pratique de la cueillette et de la chasse, en particulier la chasse de grands animaux organisée collectivement. Il est probable que les humains avaient alors une forme de respect pour ces animaux dont la chair assurait leur subsistance et dont bien d’autres constituants (fourrure, os, nerfs, etc.) servaient à tous les actes de la vie quotidienne. Ce que nous savons des groupes humains ayant conservé ce mode de vie jusqu’à une époque récente nous donne des indices allant dans ce sens. Par exemple, les San d’Afrique du Sud, des chasseurs-cueilleurs aujourd’hui relégués dans le désert du Kalahari, s’adressaient à chaque grand gibier pour lui expliquer qu’ils le remerciaient, qu’ils ne l’avaient tué que parce qu’ils en avaient besoin pour nourrir leur famille.
La généralisation de l’agriculture et de l’élevage à la plupart des communautés humaines lors de la révolution néolithique a considérablement changé les liens entre humains et animaux, avec la domestication de plusieurs espèces animales. Les humains se sont mis à s’occuper de leurs animaux domestiques, les ont protégés, mais ont aussi considéré que ces animaux devaient servir à leurs besoins : animaux de trait et de labour, fourniture de la laine, du cuir, des œufs et du lait, fourniture plus occasionnelle de la viande.
En Europe, jusqu’au 18e siècle, même les intellectuels les plus progressistes considéraient que les êtres humains n’avaient rien à voir avec les animaux, pensant que les humains seuls avaient une âme. Les premiers matérialistes, au 18e siècle, ont rétabli l’unité entre l’humanité et le reste du vivant en expliquant que la pensée pouvait émerger de la matière. Puis Darwin, au milieu du 19e siècle, a donné un fondement scientifique à cette vision unifiée du monde vivant et a permis de comprendre en quoi l’être humain faisait partie du règne animal, en expliquant la transformation des espèces par le moyen de la sélection naturelle. C’est dans ce contexte qu’à partir du 19e siècle, les premières lois sur la protection des animaux sont apparues.
Les animaux désormais soumis à la loi du profit
Depuis le milieu du 19e siècle, les rapports entre humains et animaux sont soumis, comme tout le reste de la société et de son environnement, à la pression du profit capitaliste. Après la fin de la guerre de Sécession aux États-Unis et le massacre des Indiens des plaines, les capitalistes américains ont choisi de prendre le contrôle du secteur de la production de viande. Dans ce grand pays vidé de ses habitants d’origine, où de vastes espaces pouvaient être consacrés à la pâture des troupeaux et à la culture des céréales destinées à leur alimentation, c’était en effet un secteur prometteur de profits importants.
Les innovations techniques, en particulier le chemin de fer et les wagons réfrigérés, permettaient de mettre en place une production centralisée et à échelle industrielle de la viande. Le même modèle de production s’est imposé plus tard à l’Europe (il n’a atteint la France qu’après la Seconde Guerre mondiale). Le reste du monde a été obligé d’organiser sa production agricole en fonction des besoins de cette industrie de la viande installée dans les pays impérialistes : les productions vivrières locales ont cédé la place aux grandes cultures d’exportation, en partie utilisées pour l’alimentation animale.
Dès le début, les capitalistes de la viande ont mené une lutte de classe féroce. Le roman La Jungle, écrit par Upton Sinclair en 1906, en donne une description qui glace le sang. Ils ont imposé aux ouvriers de leurs abattoirs un travail à la chaîne destructeur, qui a d’ailleurs été copié par les capitalistes de l’automobile. Dans ses mémoires, Henry Ford explique que, pour mettre au point son système automatisé, il a été inspiré par sa visite de l’un de ces abattoirs industriels.
Les capitalistes de la viande se sont aussi imposés aux paysans, devenus leurs auxiliaires, ayant totalement perdu la maîtrise de leur production. Remarquons que cela a entraîné une profonde modification des relations entre les éleveurs et leur bétail, qui est devenu du capital : aujourd’hui en France, à raison d’une moyenne de 1 400 euros par vache laitière, un troupeau de 70 vaches représente environ 100 000 euros. Des sociétés financières proposent aux particuliers d’investir dans la vache avec la promesse d’une rentabilité de 4 % à 5 %.
La souffrance animale dans l’industrie de la viande
À la déshumanisation du travail humain par la course au profit correspond ce que l’on pourrait appeler la « désanimalisation » du bétail servant de matière première à l’industrie de la viande. Défendre la cause animale, chercher en particulier à ce que les souffrances des animaux menés à l’abattoir soient réduites, voire supprimées, qui ne le souhaite pas ? Ceux qui militent sur ce terrain ont toute notre considération.
Tel est le cas de Temple Grandin, une femme autiste et scientifique, professeure de sciences animales à l’université d’État du Colorado. Elle ne met pas en cause la domestication et l’élevage des animaux dans le but de consommer leur viande, mais elle milite pour leur offrir une meilleure vie et une mort sans douleur. Dans les années 1970, elle a mis au point une installation de conduite des vaches à l’abattoir, dont la forme et les dimensions sont conçues pour ne pas les stresser avant la mise à mort : cette installation respecte la tendance naturelle des bovins à suivre des courbes, les fait passer par des couloirs aux murs suffisamment hauts pour qu’ils ne voient pas les ouvriers autour d’eux, au sol revêtu de matériaux antidérapants pour éviter qu’ils glissent et chutent. Ce type d’installation a fait ses preuves et équipe désormais un bon nombre d’abattoirs industriels à travers le monde.
Temple Grandin a déclaré à propos des vaches conduites à l’abattoir : « Je sais que la nature est cruelle, j’ai vraiment pas envie de mourir étripée par une meute de lions et je préférerais mourir dans un abattoir si c’était fait humainement. On élève les vaches pour nous et on leur doit un minimum de respect [...]. J’ai touché la première vache avant qu’on l’étourdisse ; quelques secondes après, elle n’allait plus être qu’un morceau de viande, mais l’espace d’un instant, c’était encore un être vivant. Elle était calme, et puis elle est partie. »[1]
Mais il en va de la considération pour les animaux comme de celle pour les êtres humains, ce n’est pas, et ne sera jamais, une préoccupation de l’industrie agro-alimentaire capitaliste. Ceux qui militent sur ce terrain mènent un combat légitime, respectable mais vain ! Comment imaginer en effet que les capitalistes du secteur agro-industriel acceptent de réduire leurs marges par souci de la souffrance animale, alors que toute l’organisation sociale actuelle, devenue pourrissante, pousse à la recherche du profit le plus rapide, de la rentabilité financière ? Comment imaginer que les États iraient mettre les moyens nécessaires pour mieux surveiller les conditions dans lesquelles ces animaux sont élevés puis abattus, alors qu’ils dépensent toute leur énergie à rogner les budgets publics, à s’attaquer à tous les services publics, y compris aux services vétérinaires qui pourraient justement jouer ce rôle ?
Les vrais responsables, les capitalistes
Parmi ceux qui militent sur le terrain de la cause animale, il en est qui véhiculent des idées profondément réactionnaires en ne dénonçant pas les vrais responsables que sont les industriels et l’économie capitaliste, en ne faisant pas la différence entre les ouvriers des abattoirs et leurs patrons quant à leurs responsabilités dans les mauvais traitements des animaux.
L’association L214 par exemple, qui filme des vidéos choc dans les abattoirs, floute les ouvriers apparaissant dans ces vidéos, mais désigne tout de même à la vindicte publique les ouvriers ayant maltraité les animaux, ne leur laissant pas la possibilité d’expliquer les conditions de travail exécrables qui les ont conduits à ces comportements. Tel est le cas d’un ouvrier d’un abattoir de porcs qui frappait les cochons n’avançant pas assez vite dans le couloir qui les menait à l’abattage. Il avait expliqué après coup, parce que d’autres que L214 lui avaient donné la parole, qu’il avait un quota de cochons à faire passer, qu’il demandait depuis longtemps à son patron de supprimer le tournant à angle droit dans le couloir emprunté par les cochons, parce que ceux-ci ne parvenaient pas à le prendre correctement, et que le patron refusait cet aménagement pour des questions d’économies !
Le but affiché par L214 est d’« amener les consommateurs à adopter une attitude d’achat responsable, au mieux en se passant de produits d’origine animale, au minimum en réduisant leur consommation de tels produits et en refusant ceux issus des élevages intensifs ». Le comportement individuel est une chose, chacun est évidemment libre de consommer ce qu’il veut, tant qu’il en a les moyens, y compris les végans, qui refusent de manger et d’utiliser tout produit d’origine animale et considèrent qu’ainsi, ils ne sont pas complices de ce qui participe de la souffrance animale. Mais militer, vouloir convaincre sur ce terrain en est une autre. Ne pas désigner la responsabilité capitaliste, noyer le poisson, rendre tout un chacun responsable en tant que consommateur, cela est profondément rétrograde.
Tous coupables selon les antispécistes
Beaucoup de végans justifient leurs choix de consommation par l’antispécisme : ce terme, apparu dans les années 1970, est construit sur le modèle de l’antiracisme. Ses défenseurs s’opposent à ce qu’ils appellent le « spécisme » : l’idéologie qui soutiendrait qu’il existe une hiérarchie entre les espèces animales et que l’homme se situe au sommet de celles-ci, de même que le racisme théorise l’idée qu’il y aurait plusieurs races humaines et que la race blanche serait supérieure aux autres.
Les antispécistes affirment que le spécisme sert de justification à l’exploitation des animaux, aux mauvais traitements qu’on leur fait subir. Et ils en appellent à un changement des mentalités qui irait plus loin, en quelque sorte, que l’humanisme : qui appliquerait les mêmes principes moraux à tout individu sensible, qu’il soit un être humain ou un autre animal. Finalement, pour les antispécistes, le consommateur de viande, l’ouvrier de l’agro-alimentaire, l’artisan boucher, l’industriel de la viande, le propriétaire du laboratoire pharmaceutique pratiquant l’expérimentation animale, voire le torero ou le chasseur, tous sont coupables à égalité, et devraient abandonner leur mentalité spéciste pour que les animaux soient enfin libérés. Ces idées antispécistes sont réactionnaires à deux niveaux : cela revient, d’une part, à nier l’évolution des rapports entre humains et animaux, d’autre part, à nier la lutte de classe.
Le développement actuel de ces idées n’est pas dû au hasard : il survient dans un contexte de crise de plus en plus aiguë du système capitaliste. Les injustices et les aberrations frappent des milieux de plus en plus larges, y compris les milieux petits-bourgeois, qui peuvent avoir l’impression qu’ils ne parviennent plus à tirer leur épingle du jeu, que le système les écrase eux aussi, mais qui sont incapables de remettre en cause l’ordre social. Inévitablement, dans une période où le mouvement ouvrier est désorganisé, semble impuissant et n’offre pas de perspectives à ceux qui contestent la société, cette contestation, sans aucune base de classe, ne peut qu’évoluer vers des conceptions individualistes.
L’émancipation sociale et la fin de l’exploitation semblent être devenues des objectifs inatteignables, sans parler de l’idéal communiste ! On constate alors que les mouvements de contestation ayant une certaine popularité aujourd’hui s’attaquent en quelque sorte à un moins gros morceau, font de nécessité vertu : on ne se préoccupe plus de contester l’exploitation de l’homme par l’homme, une exploitation qui est au cœur du système capitaliste, qui assure sa richesse, et qui ne peut être combattue qu’en s’attaquant au système capitaliste lui-même.
La mode végane, nouvelle source de profit
Le capitalisme s’adapte sans difficulté à la nouvelle mode végane, et même surfe dessus pour en tirer du profit. Le marché des produits alimentaires végétaux de substitution, destiné à tous ceux qui veulent réduire leur consommation de viande, est encore un marché « de niche », comme disent les spécialistes : en 2016, 4 % des consommateurs se déclaraient végans selon une étude de l’institut de sondage Harris. Mais ce marché pèse déjà 380 millions d’euros en France pour l’année 2018, et il est en hausse : + 24 % pour 2018 et + 60 % en prévision d’ici 2021.
En système capitaliste, cela signifie que l’on peut faire de l’argent en investissant dans ce nouveau marché. Bill Gates l’a bien compris, qui place des millions de dollars dans la mise au point de viande artificielle à partir de cellules-souches. Les capitalistes du secteur agro-alimentaire s’y mettent aussi depuis quelques années. Les grands distributeurs proposent désormais leurs familles de produits végans : la gamme Veggie chez Carrefour, Envie de Veggie chez Auchan, Le Végétal chez Monoprix, etc. Les industriels de la viande adaptent leurs lignes de production pour proposer des saucisses ou des steaks végétaux, c’est le cas de Herta ou de Fleury-Michon. Danone, lui, a racheté la société WhiteWave en 2017 pour plus de 12 milliards de dollars. WhiteWave possède la marque Alpro, spécialisée dans les boissons d’origine végétale, et la marque Silk, pour les laits végétaux. Avec cette opération, Danone espère compenser la légère perte de vitesse de ses produits à base de lait.
Un autre géant de l’agro-industrie, Nestlé, s’est positionné sur le secteur et est devenu en 18 mois le leader des plats préparés à base de végétal, avec près de 30 % de parts de marché. Remarquons qu’avec cette arrivée des gros capitalistes sur le marché végan, les acteurs historiques, comme Triballat (marque Sojasun) ou Nutrition et Santé (marque Cereal), ont brutalement été rétrogradés à des positions d’outsiders. Leur part de marché est passée de 68 % à 26 % des ventes. Mais ça aussi, c’est le capitalisme : quand le marché devient porteur, les gros mangent les petits.
Désormais, le marché végan est devenu une nouvelle activité industrielle rentable. Le capitalisme est en train de « digérer » le véganisme, comme il a digéré bien des modes précédentes qui pouvaient apparaître comme contestataires. Car il est capable de tout digérer sauf la révolution prolétarienne ! Avec tout ce qui ne le remet pas en cause, il y a toujours moyen de faire des affaires.
Les marxistes, soucieux de la protection de la nature
Au cours de son histoire, l’humanité a progressivement accru son emprise sur la nature, et cela lui donne des responsabilités. Nous, marxistes, sommes profondément imprégnés de cette conscience des responsabilités de l’humanité vis-à-vis du monde qui l’entoure. Comme le disait Marx en son temps, les êtres humains ne sont « que des usufruitiers qui doivent administrer [la Terre, c’est-à-dire la nature et les animaux qu’elle contient] en bons pères de famille, afin de transmettre aux générations futures un bien amélioré ».
Mais cette nécessité se heurte à l’organisation sociale dominée par le système capitaliste. Basé sur la propriété privée et la concurrence, il est incapable de donner ne serait-ce qu’un début de solution aux problèmes fondamentaux de l’humanité et de son environnement, comme ceux de l’alimentation de la population mondiale et de la gestion des ressources de la planète.
La solution ne pourra être trouvée que par une société affranchie de l’exploitation et de la recherche de profit, et qui organisera la production seulement en fonction de la satisfaction des besoins des êtres humains, du respect de la nature et des animaux. Comment les hommes d’une société communiste organiseront-ils la production de nourriture ? Continueront-ils à produire et à manger de la viande ? Se contenteront-ils de produits végétaux, abandonneront-ils même complètement l’agriculture et l’élevage et choisiront-ils de se nourrir de produits synthétiques ? Nous ne savons pas comment évolueront les rapports entre humains et animaux sous le communisme. La seule chose que nous pouvons affirmer avec certitude est que ce sera complètement différent d’aujourd’hui, et que nous sommes totalement incapables d’imaginer ce que ça pourra être !
Le programme révolutionnaire et la cause animale
À Lutte ouvrière, si nous sommes, comme bien des femmes et des hommes, soucieux de la souffrance animale, nous n’en faisons pas notre combat. Nous sommes en désaccord avec les organisations se réclamant du marxisme qui ont pris à leur compte le militantisme pour la cause animale, et qui expliquent que « les marxistes et les partisans de la libération animale devraient unir leurs forces pour un projet révolutionnaire et véritablement civilisateur : la libération des humains, des animaux et de la nature ». Nous citons là une phrase extraite d’un texte disponible sur le site du NPA, écrit par une organisation allemande, L’alliance pour le marxisme et la libération animale, et relayé par la tendance Claire du NPA[2]. Ce texte a pour but, d’une part de convaincre les antispécistes qu’ils doivent être marxistes, d’autre part d’expliquer pourquoi le marxisme doit être antispéciste.
La revue Contretemps, créée par Daniel Bensaïd en 2001 et relayée par le NPA, reprend aussi les propos d’une antispéciste, Agnese Pignataro, dans un long texte intitulé « La question animale : un débat à ouvrir dans le mouvement anticapitaliste »[3]. Chez cette auteure, le choix de l’antispécisme s’accompagne d’une critique des conceptions de Marx, en particulier de sa conception du travail, qualifiée de « stéréotype typiquement masculin ». Une conception qui, selon l’auteure, serait extrêmement réductrice, ne prendrait pas en compte tous les types de travail, comme le travail domestique des femmes ou celui des animaux, et ne serait donc pas judicieuse pour réfléchir à la différence entre humains et autres animaux. Cette critique revient à ne plus réfléchir en termes de classes sociales et de travail générateur de profits, mais en termes d’individus, ouvriers, femmes, animaux, également opprimés. L’exploitation capitaliste devient une oppression parmi les autres.
Ceux qui se prétendent marxistes-antispécistes proposent d’inclure l’abolition de l’exploitation animale et la libération des « animaux non humains », comme ils disent, dans le programme révolutionnaire, au nom du fait que « ses principes d’émancipation et de solidarité ne peuvent se réaliser pleinement que s’ils s’appliquent à toutes les victimes du capitalisme, quelle que soit leur espèce ». Mais la seule émancipation qui peut être réelle et changer la société, c’est celle des salariés exploités. Le reste, c’est du vent !
Ces arrangements autour du programme révolutionnaire ne sont que du suivisme, avec l’illusion que faire des concessions aux dernières idées à la mode dans la petite bourgeoisie donnerait une meilleure audience aux idées révolutionnaires dans ce milieu. Cette attitude suiviste et opportuniste ne date pas d’hier. Au fil des années et des modes du moment, le programme révolutionnaire a été étoffé de différentes causes concernant diverses catégories opprimées : le féminisme, l’antiracisme, le soutien aux migrants ou même les droits des LGBT. Ces oppressions sont réelles et ces causes légitimes, mais les substituer de fait au combat pour le renversement du capitalisme, c’est finalement abandonner les idées communistes révolutionnaires et c’est ne plus croire au rôle de la classe ouvrière.
Renverser le système capitaliste, la mère de toutes les batailles
Le problème fondamental de la société, qui conditionne tout le reste, c’est la nécessité d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie. L’économie est en plein marasme, les conditions des travailleurs se dégradent partout, l’exploitation augmente, avec encore moins de considération pour les êtres humains et pour la nature. Qui sera capable de renverser le capitalisme ? Le prolétariat et lui seul. Quel instrument lui permettra d’aller au bout de son combat ? Le parti ouvrier communiste révolutionnaire. C’est cela, et seulement cela, le programme communiste révolutionnaire, le programme marxiste, le programme trotskiste. Tout le reste n’est que diversion !
À Lutte ouvrière, notre seule raison d’être, c’est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour amener la classe ouvrière à prendre conscience de sa force sociale et de ses intérêts propres. Au-delà des comportements individuels, la seule issue pour le monde du travail, c’est la lutte collective, c’est l’organisation en classe. Et nous avons pour préoccupation de faire progresser la conscience des travailleurs sur ce terrain-là aussi.
Nous sommes entrés dans une période où le capitalisme en putréfaction entraîne toute la société à la catastrophe. Les souffrances révoltantes infligées aux animaux destinés à l’abattoir ne sont qu’un exemple parmi bien d’autres atrocités, bien d’autres atteintes aux intérêts de l’humanité et du monde vivant tout entier. Le mouvement ouvrier est très affaibli, il faut reconstruire le parti communiste révolutionnaire dont la classe ouvrière, et finalement toute la société, ont un besoin vital pour sortir de l’impasse dans laquelle les a placées le système capitaliste. Reconstruire sur des ruines, alors que la plupart des gens se désintéressent de la politique, ne croient plus en la capacité du monde ouvrier de redresser la tête, ce n’est pas une mince affaire !
C’est pour toutes ces raisons qu’à Lutte ouvrière, nous refusons de nous revendiquer de l’antispécisme. Nous pouvons même dire que nous sommes « spécistes version travailleurs », dans le sens où nous mettons au cœur de nos choix politiques et de notre activité militante tout ce qui peut, et seulement ce qui peut, faire avancer la conscience ouvrière, le mouvement ouvrier.
[1] Film biographique Temple Grandin (2010) : https://www.dailymotion.com/video/xocrw7
[2] « 18 thèses sur le marxisme et la libération animale » (19 septembre 2018) : https://tendanceclaire.org/article.php?id=1431
[3] Revue Contretemps du 21 septembre 2009 : https://www.contretemps.eu/question-animale-debat-ouvrir-dans-mouvement-anticapitaliste/