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Article du mensuel

Interventions des groupes invités

Nous publions ci-dessous de larges extraits des interventions des groupes invités. Nos lecteurs peuvent retrouver leurs organes de presse respectifs sur Internet (voir en quatrième de couverture, ou à partir du site de l’Union communiste internationaliste https://www.union-communiste.org/fr).

Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)

La situation générale des travailleurs et des couches populaires continue de s’aggraver aux Antilles. Comme dans l’Hexagone, mais en pire.

Le chômage oscille entre 18 % et 25 % et le coût de la vie demeure toujours élevé. Plus de 12 % par rapport à la France. Le Monde (21 novembre) donne une idée de la situation sociale en partant des problèmes de santé de la population : « Pour réduire l’obésité, le surpoids ou le diabète qui frappent de façon disproportionnée les régions ultramarines, il faut s’attaquer aux inégalités sociales qui rongent ces territoires […]. La prévalence des maladies chroniques liées à l’alimentation est beaucoup plus forte dans les départements et régions d’outre-mer que la moyenne nationale et touche des territoires où les structures de soins sont déficitaires. L’hypertension artérielle concerne de 39 % à 45 % des habitants de Guadeloupe-Martinique […]. La prévalence du diabète atteint 10 % en Martinique, 11 % en Guadeloupe et 14 % à La Réunion, contre une moyenne nationale de 5 %.

Dans les régions ultramarines, la prévalence de ces maladies est, encore plus qu’ailleurs, corrélée à la catégorie socio-économique. “J’ai été frappée par des écarts sociaux de prévalence sur ces territoires où les inégalités sont très fortes”, note Caroline Méjean, épidémiologiste de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a dirigé ces travaux. »

Le service public de l’eau n’est pas fait pour arranger les choses. Il est particulièrement défaillant en Guadeloupe, où des milliers d’usagers sont privés d’eau régulière et saine au robinet. Les exemples d’eau dite potable, mais en réalité souillée, et contenant ou ayant contenu du chlordécone, ce pesticide nocif, rendent les gens très méfiants, malgré les avis dits rassurants de l’ARS.

Une grande partie de la population dans les deux îles achète maintenant de l’eau minérale, tout en payant sa facture d’eau distribuée, quand elle est distribuée, ce qui équivaut à payer une taxe supplémentaire sur l’eau. Ceux qui ne peuvent pas acheter de l’eau minérale boivent de l’eau malsaine.

Les services publics d’État ou communaux se dégradent toujours plus. Quasiment toutes les villes, les communautés de communes et les communes sont endettées. Fort-de-France est quinzième dans le classement des 20 villes les plus endettées de France.

Les attaques et les menaces contre les salaires sont permanentes, dans le privé comme dans le public. La cour régionale des comptes exerce une pression permanente pour la suppression de la prime de vie chère en raison des déficits publics des collectivités. Il n’y a pour le moment aucune décision à ce sujet. Mais la menace est récurrente.

Il y a des déficits ? Donc ce sont les travailleurs qui doivent réduire leur salaire. Comme s’ils étaient responsables des déficits !

Donc, prétendument pas d’argent pour les travailleurs et les pauvres, mais il y en a toujours pour les patrons. C’est ainsi que, pour compenser la fin du CICE de Hollande, les dernières dispositions pour le grand patronat d’outre-mer prévoient de fortes exonérations de cotisations sociales patronales. Pour eux, le gouvernement a inventé la compétitivité simple, la compétitivité renforcée, la clause de vulnérabilité, la clause de revoyure.

Dans les autres îles de la Caraïbe, la pauvreté encore plus grande de la population pousse de plus en plus de gens à émigrer. Ces derniers temps, la misère, l’insécurité dues aux gangs armés font prendre tous les risques aux émigrés d’Haïti qui fuient cet enfer par les circuits clandestins. Et la mer des Caraïbes est souvent leur cimetière. C’est leur Méditerranée à eux !

Depuis quelque temps il y a aussi une immigration accrue en provenance de République dominicaine et du Venezuela, de gens fuyant la misère et l’instabilité politique. Ils subissent aux Antilles, comme tous les immigrés du monde, mépris, vexations et xénophobie. Les services de l’État les traitent avec le plus grand mépris.

Les élections européennes et municipales

Eh bien c’est sur ce terreau de pauvreté générale et d’immigration pauvre que poussent le Rassemblement national et sa démagogie anti-immigrés. Ce parti d’extrême droite est arrivé en tête des élections européennes en Guadeloupe avec 23,71 % des voix et en seconde position en Martinique avec 16,31 % des voix. C’est un phénomène nouveau aux Antilles. Pendant longtemps, le Front national y réalisa des scores très minoritaires. Le temps où des manifestations pouvaient interdire à Jean-Marie Le Pen l’accès aux aéroports de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre semble révolu. L’argument du racisme du Rassemblement national et des Le Pen ne convainc plus.

Les résultats de la liste Lutte ouvrière – contre le grand capital le camp des travailleurs aux Antilles, aux élections européennes ont baissé de moitié en pourcentage : 5,58 % en moyenne au lieu de 10,53 % en 2014 dans les deux îles. Le très fort taux d’abstention nous donne toujours un bon résultat en pourcentage, mais nous constatons quand même qu’en nombre de voix nous nous maintenons bon an, mal an : 2 635 voix en Martinique et 1 714 en Guadeloupe. Au total 4 349 voix.

Aux élections municipales de mars 2020, nous nous présenterons dans trois villes : à Fort-de-France, qui concentre à elle seule presque le quart de la population de la Martinique et bon nombre de travailleurs ; et en Guadeloupe aux Abymes, la plus grande ville en nombre d’habitants et la plus ouvrière, et à Capesterre-Belle-Eau, la ville où sont concentrés le plus grand nombre d’ouvriers agricoles de la banane.

Voilà pour les élections.

Les luttes

Fort heureusement, les luttes ouvrières sont bien plus réconfortantes que ne le sont la situation générale et les résultats électoraux.

La plupart des syndicats ont appelé à la grève et à la mobilisation le 5 décembre, comme dans l’Hexagone, contre le plan retraites de Macron et contre la menace de suppression de la prime de vie chère. On a compté 2 300 personnes à la manifestation des syndicats à Pointe-à-Pitre. Elles ont répondu à l’appel de l’ensemble des syndicats, sauf le syndicat nationaliste UGTG qui n’appelait pas. On a compté un millier d’enseignants de la FSU. Il n’y a pas eu d’appel à la grève reconductible pour l’instant. À Fort-de-France, l’ensemble des syndicats, sauf les syndicats nationalistes qui n’appelaient pas, ont regroupé 3 200 personnes. La CGTM a appelé à la grève reconductible.

Au cours de l’année, même s’il n’y a pas eu de grandes luttes générales et offensives, les luttes des travailleurs et de la population montrent qu’il existe une minorité combative de la classe ouvrière qui ne lâche pas prise. Que plus de 3 000 personnes manifestent à Pointe-à-Pitre en soutien aux employés en grève du CHU, par deux fois en plein mois d’août, période de vacances, montre bien la capacité de mobilisation des travailleurs et de la population. Rapporté à la France, ce serait environ 500 000 manifestants à Paris en plein mois d’août. Cette grève du CHU de Guadeloupe est partie d’une grève des agents des Urgences, comme il y en eut plus de 230 dans toute la France, et pour les mêmes raisons : épuisement du personnel, manque de médecins, manque de matériels. C’est une situation ancienne, mais qui a été aggravée par l’incendie qui eut lieu en fin novembre 2017 au CHU de Pointe-à-Pitre.

Il n’a pas été possible de faire reculer la direction. Un peu au SAMU. Mais surtout les camarades du CHU ont posé haut et fort les problèmes, soutenus par la population. Ils ont pu s’exprimer sur leurs conditions de travail, sur la situation du CHU pour l’ensemble de la population. Ils ont remporté une victoire morale.

À la rentrée, lors de la manifestation du 24 septembre à Fort-de-France, 600 travailleurs se sont retrouvés dans les rues. Cette journée, comme en France, fut une réussite, notamment contre la réforme des retraites du gouvernement.

En remontant le cours de l’année, une autre grève a compté pour les travailleurs et la population, celle de Carrefour-Milénis. Elle a duré 80 jours, du 12 novembre 2018 au 11 février 2019. Il y eut un comité d’organisation de la grève élu, avec le soutien des syndicats. Les AG des grévistes avaient lieu quotidiennement. Cette grève fut largement soutenue moralement et matériellement par la population. Des meetings de soutien furent organisés par les syndicats et les organisations politiques sur le piquet de grève, ainsi que deux manifestations de rue. Lors de la deuxiè­me manifestation de rue, les manifestants, en majorité des travailleurs d’autres entreprises, ont ouvert les rideaux métalliques fermés par la direction et ont occupé le magasin jusqu’à ce que le préfet et les patrons fixent une date de négociation à la demande des grévistes et des syndicats. Les grévistes ont pu faire reculer la direction dans ses attaques contre leurs salaires.

Ils ont repris le travail avec le sentiment d’avoir remporté une victoire contre les riches békés du groupe Despointes, le deuxième groupe de la grande distribution aux Antilles après le groupe Bernard Hayot.

La vengeance patronale après les grèves.

Nous constatons un état d’esprit et des actes revanchards encore plus forts que d’habitude de la part des patrons, surtout après les grèves. C’est le cas à carrefour-Milénis, c’est le cas depuis la fin de la grande grève des travailleurs de la banane en 2017. Dans plusieurs grandes plantations, il y a une vague de licenciements, et les procès aux Prud'hommes se succèdent. Un des plus importants patrons de la banane a intenté deux procès pour diffamation à notre camarade Jean-Marie Nomertin, secrétaire général de la CGTG et porte-parole de Combat ouvrier en Guadeloupe. Au procès en appel, une bonne centaine de travailleurs et de militants se sont retrouvés dans la salle d’audience et ont manifesté devant le tribunal de Basse-Terre. Jean-Marie a été relaxé en appel.

Le 22 novembre, ce même patron a assigné à nouveau notre camarade et aussi son avocat, ainsi que Delphine Ernotte, directrice de France Télévisions. Car, selon ce patron, Jean-Marie Nomertin et son avocat l’auraient qualifié publiquement d’esclavagiste noir sur les ondes de France Télévisions. Ce qualificatif est pourtant utilisé depuis longtemps dans la population ouvrière. L’audience a été renvoyée au 14 février. Un nouveau meeting avec plus d’une centaine de travailleurs s’est tenu devant le palais de justice de Basse-Terre ce 22 novembre.

Après la grève du CHU, plusieurs grévistes ont été convoqués pour interrogatoire au commissariat.

À la suite de la grève des travailleurs de la collectivité territoriale de Martinique, le dirigeant syndical de la CDMT (Centrale démocratique martiniquaise du travail) a aussi été convoqué au commissariat de Fort-de-France.

Nous avons saisi l’occasion des procès dans la banane pour dénoncer les conditions de travail sur les plantations. Nous avons aussi dénoncé à nouveau les conséquences des méfaits du chlordécone, de l’herbicide paraquat et des pesticides sur la santé et même la vie des ouvriers agricoles.

À propos du chlordécone

Sur le scandale du chlordécone, deux importantes manifestations de protestation se sont déroulées à Fort-de-France, le 14 avril et le 18 octobre. Une manifestation d’associations antillaises a eu lieu à Paris aussi le 23 novembre. Plusieurs actions de blocage sont aussi menées régulièrement en Martinique par des associations de protestataires, proches des milieux nationalistes, devant les grandes surfaces appartenant aux riches békés, notamment celles du plus riche d’entre eux, Bernard Hayot. Samedi 23 novembre, dans la commune du Robert, des heurts musclés ont opposé gendarmes et manifestants. Ils réclament des indemnisations à l’État et à ces riches békés, responsables de l’importation du chlordécone aux Antilles et des dégâts considérables qu’il provoque.

La commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone a rendu ses conclusions. La responsabilité de l’État, clairement évoquée, est évidente puisqu’il a autorisé un produit connu pour sa dangerosité. Il a aussi accordé des dérogations pour son utilisation aux Antilles, alors qu’il était interdit dans l’Hexagone. Mais l’État l’a fait sous la pression du lobby bananier dirigé par les riches békés qui ont la haute main sur cette production.

Aujourd’hui, ce pesticide a contaminé fortement les sols, les rivières, les littoraux, l’eau que l’on boit, les légumes racines, les hommes, avec un accroissement des cancers, avec des retards de développement chez les nouveau-nés. Et on découvre régulièrement d’autres effets néfastes.

Un aspect de la politique du gouvernement pour l’outre-mer

Face à la situation générale, le gouvernement fixe ce qu’il appelle « la trajectoire 5 points zéro pour l’outre-mer », c’est à dire : zéro carbone ; zéro déchet ; zéro polluant agricole ; zéro exclusion ; zéro vulnérabilité. Alors ça, si ce n’est pas prendre les gens pour des imbéciles, qu’est-ce que c’est ?

Les notables antillais globalement jouent le jeu et il n’y a pas de véritable opposition à sa politique aux Antilles. Dans ce milieu, une autre question revient souvent dans les débats, c’est celle du statut politique local. Mais elle est loin pour l’instant des préoccupations de la population. L’article paru dans la dernière Lutte de classe (no 203), vous en dit plus sur cette question.

États-Unis

Le niveau de vie des travailleurs à la baisse

Tout au long de l’année dernière, la population des États-Unis a été bombardée de nouveaux rapports sur la supposée bonne santé de l’économie. On nous dit que nous connaissons la plus longue expansion économique de l’histoire des États-Unis et que le chômage est au plus bas.

Mais ce bavardage satisfait n’a pas grand-chose à voir avec la réalité vécue par la plupart des travailleurs, qui luttent pour payer leurs factures et pour acheter les biens les plus indispensables.

Pour s’en rendre compte, jetons un coup d’œil à la situation des retraités. Leur pension mensuelle est en moyenne de 1 470 dollars. Pour une grande partie d’entre eux, c’est leur seule ressource. Et elle ne permet même pas de payer le loyer dans la plupart des grandes villes. Par exemple, à Los Angeles, quelqu’un qui cherche un appartement à louer découvre que les propriétaires demandent 2 500 dollars par mois pour un F3. Louer une simple chambre dans une maison ou dans un appartement coûte plus de 1 000 dollars par mois. Aussi, une fois qu’ils ont loué une telle chambre, la plupart des retraités ne peuvent payer les frais médicaux, les factures de gaz et d’eau ou d’électricité, la nourriture, les transports et tout le reste.

Les visiteurs étrangers me disent toujours leur surprise de voir ici autant de personnes âgées travailler dans les fast-foods ou dans des supermarchés. Les nécessités économiques obligent de nombreux anciens à continuer à travailler bien au-delà de l’âge de la retraite.

Le niveau de vie des travailleurs est partout à la baisse. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les jeunes travailleurs. La plupart n’ont pas un travail fixe avec des horaires réguliers. Ils sont intérimaires, travaillent à temps partiel, ou en tant que travailleurs prétendument indépendants. Ce sont des boulots mal payés, sans horaire fixe, et pas du tout stables. Les discours béats sur l’économie des États-Unis ne s’appliquent pas à la situation de la plupart des travailleurs.

Les scandales autour de Trump et les démocrates

Aujourd’hui, la vie politique aux États-Unis est dominée par Donald Trump. Ses affirmations manifestement fausses et ses commentaires absurdes qui se succèdent sans arrêt constituent le cadre des débats et dominent le discours politique comme on ne l’avait jamais vu auparavant.

Malgré un tintamarre quotidien de scandales, d’enquêtes et de menaces de mise en accusation et de destitution, Trump a gardé une solide base de soutien. Certes, il s’agit d’une minorité de la population, mais cette minorité lui reste fidèle. La base la plus solide de Trump, ce sont les chrétiens intégristes qui sont depuis longtemps la principale base électorale du Parti républicain. Ce sont surtout des Blancs qui vivent dans des régions rurales ou semi-rurales, des petites villes ou des banlieues lointaines. Ils sont fermement à droite, opposés aux droits des femmes et au droit à l’avortement, et sont souvent xénophobes et racistes. À côté de cela, la démagogie de Trump lui a aussi attiré le soutien de beaucoup de travailleurs blancs, en particulier dans les régions rurales confrontées aux fermetures d’usines, au chômage et aux très bas salaires. Démoralisés par une situation économique désastreuse et par la décomposition sociale, beaucoup sont amers et en colère contre les deux partis principaux : les républicains et les démocrates. Bien des travailleurs blancs qui ont soutenu Trump en 2016 avaient voté Obama en 2008 et en 2012, car il semblait offrir quelque chose de différent. Le fait que Trump a été attaqué dès le premier jour de son mandat n’a fait que confirmer leurs pires soupçons et les a amenés à continuer à se cramponner à Trump.

Trump ayant maintenu sa base électorale, les responsables républicains qui se sont d’abord présentés à la primaire républicaine ne peuvent se payer le luxe de s’opposer à lui, même s’ils grognent contre lui en privé. C’est la raison pour laquelle, jusqu’à maintenant, ils se sont systématiquement opposés à sa mise en accusation et à sa destitution.

Les démocrates ont eu bien du mal à se positionner par rapport à Trump. Ils veulent se présenter comme le parti de la diversité et de la tolérance. Dans la lutte interne au Parti démocrate pour désigner le candidat du parti à l’élection présidentielle de novembre 2020, les deux douzaines de postulants illustrent cette diversité. Il y a des femmes, des hommes, des Blancs, des Noirs, des Hispaniques, des homos, des hétéros, des jeunes, des vieux, des écolos, etc. Néanmoins, les quatre candidats qui sont en tête dans les sondages et qui récoltent le plus de dons pour leur campagne sont, comme d’habitude, des Blancs, et pour trois d’entre eux des hommes.

Les démocrates s’adressent principalement à la petite bourgeoisie, aux étudiants et à quelques secteurs plus aisés de la population. Lors des élections de novembre 2018, cette stratégie a payé. Des petits bourgeois, vivant dans les banlieues aisées, qui votent surtout pour les républicains d’habitude, ont été tellement choqués par Trump qu’ils ont franchi le pas et voté pour les candidats démocrates. Cela a permis aux démocrates de contrôler la Chambre des représentants.

Le grand réservoir de dégoût envers Trump vient de la population noire. Et comme d’habitude les démocrates pensent que le vote noir leur est acquis et qu’il leur suffit de parler de « diversité ».

Il en va de même en ce qui concerne l’attitude des démocrates envers le vote des travailleurs syndiqués, blancs, noirs ou hispaniques : les démocrates considèrent que le soutien de la bureaucratie syndicale leur est acquis. Leurs deux douzaines de candidats à la présidentielle ne parlent pas des préoccupations quotidiennes des travailleurs, blancs et noirs, ni des pauvres. La prétendue gauche du parti, représentée par Elizabeth Warren et Bernie Sanders dans ces élections, sont peut-être allés voir les piquets de grève de General Motors, mais seulement pour parler du grand système de soins qu’ils proposent, et dont beaucoup de travailleurs craignent qu’il s’agisse d’une nouvelle attaque contre leur couverture médicale, quelle qu’elle soit. Cela a laissé beaucoup de gens ordinaires indifférents envers les candidats à la présidentielle du Parti démocrate et cela a créé une ouverture pour la démagogie de Trump.

Dans quatre États clés, qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre et qui, dans le Midwest, ont une large population ouvrière, de récents sondages montrent que Trump est au coude-à-coude avec les principaux candidats démocrates. Obama l’avait emporté dans ces États-là en 2008 et en 2012, mais Trump les avait conquis en 2016. Si Trump gagne encore dans ces États en 2020, il pourrait ne pas remporter la majorité des votes et quand même remporter l’élection, comme en 2016.

Autour de General Motors, une mobilisation ouvrière marquante

L’an dernier, les travailleurs ne se sont lancés que dans quelques luttes dispersées pour riposter aux attaques continuelles menées contre la classe ouvrière. Mais une de ces luttes a été importante : la grève de 40 jours des ouvriers de General Motors. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, il n’y avait pas eu de grève de plus d’un jour ou deux, étendue à tout un constructeur automobile, depuis 1976. On peut dire sans se tromper que la plupart des travailleurs de General Motors qui ont fait grève n’avaient jamais fait grève auparavant. Quand la grève a démarré, les travailleurs ne savaient pas trop ce qui arrivait, mais au fur et à mesure que cela durait ils semblaient de plus en plus déterminés à tenir. Et lors du vote final sur l’accord négocié avec la direction, il y eut près de 40 % de non, ces grévistes voulant continuer la grève.

Chez les autres constructeurs automobiles, les travailleurs disaient « Leur lutte, c’est notre lutte ». Dans la région de Detroit où nous sommes présents, on a vu des travailleurs de Ford, de Chrysler, des usines de pièces détachées, venir aux piquets de grève, souvent apporter de la nourriture ou de l’argent pour les grévistes. Des enseignants, des hospitaliers, des travailleurs municipaux ou des salariés de l’État ont également rejoint les piquets de grève. Le fait que certains relèvent la tête a touché beaucoup de travailleurs. Bien sûr, ceux qui sont venus aux piquets n’étaient pas très nombreux, mais il est remarquable qu’il y en a eu pas mal qui sont ensuite retournés dans leur propre usine en parler autour d’eux et ont amené des collègues avec eux. Ils ne se sont pas mis eux-mêmes en grève, ils sont venus sur leur temps libre, mais ils étaient très nombreux à sentir que c’était leur grève à eux aussi.

Mais les travailleurs de chez Ford et Chrysler s’intéressaient à la grève au point d’aller sur les piquets si quelqu’un le leur proposait. Et, arrivés sur les piquets, ils étaient contents de parler avec les grévistes, chose qu’ils n’avaient jamais faite auparavant.

Le plus remarquable dans cette grève, outre le fait qu’elle a existé, est l’objectif des grévistes : revenir sur les changements qui ont transformé l’industrie automobile en une gigantesque entreprise de salariés précaires, ou de travailleurs payés selon des grilles de salaire de plus en plus défavorables selon la date d’embauche. Des ouvriers sur la même chaîne, faisant le même travail, sont payés nettement moins, d’autant moins qu’ils ont été embauchés récemment. Il était intéressant de parler sur les piquets avec les vieux ouvriers qui disaient qu’ils allaient bientôt être à la retraite, et que donc cela ne changeait rien pour eux, mais qu’il ne fallait pas que les jeunes soient embauchés avec un salaire réduit de moitié pour faire le même travail, ou qu’ils soient obligés de travailler sans avoir jamais l’espoir d’un travail régulier.

Depuis que la grève de GM a pris fin, les médias se sont livrés à une véritable campagne pour affirmer que les travailleurs y ont plus perdu que gagné. Cela n’a manifestement pas eu un grand impact sur les grévistes de GM, qui font leurs propres calculs et savent bien que les 11 000 dollars de prime à la signature de l’accord compensent, et au-delà, ce qu’ils ont perdu en 40 jours de grève. Mais cette propagande était destinée à tous les autres travailleurs, pour doucher leur excitation devant cette grève.

Workers’Fight (Grande-Bretagne)

Le mauvais feuilleton du Brexit

Nous vivons certainement une époque intéressante, à moins que ce soit une époque de farce. Ce que l’on appelle les élections du Brexit se tiendront dans quatre jours. Ce sont les troisièmes législatives et le cinquième scrutin national en cinq ans, en incluant les législatives de 2015 et le référendum sur le Brexit de 2016. Bien sûr, cet interminable bazar politicien est avant tout lié à ce référendum et à sa surenchère xénophobe. Après que le vote en faveur du Brexit l’eut emporté de peu et contre toute attente, la complexité d’arracher la Grande-Bretagne à une Union européenne (UE) à laquelle elle appartient depuis 40 ans a tourné au cauchemar. La date de départ de l’Union a déjà été retardée quatre fois, car le gouvernement a échoué dans chacune de ses tentatives d’obtenir du Parlement qu’il adopte l’accord de divorce négocié avec l’UE. Tout cela est dû au fait que, lors des élections de 2017, les conservateurs n’ont obtenu que 317 sièges sur 650. Pour emporter le moindre vote au Parlement, le gouvernement avait besoin de passer un accord avec les 10 députés des Unionistes démocrates d’Irlande du Nord. Mais il lui fallait aussi le soutien de tous les députés conservateurs. Et, du fait des divisions sur le Brexit qui existaient dans les rangs de son propre parti, il a perdu des voix qui comptent. Cette arithmétique parlementaire a conduit à la chute de la précédente Première ministre, Theresa May. Par trois fois, l’accord qu’elle avait négocié avec l’UE pour que le Brexit ait lieu le 29 mars fut repoussé par le Parlement. De sorte qu’une nouvelle date fut fixée au 31 octobre, et elle démissionna.

En juillet, Boris Johnson, sosie de Trump et champion du Brexit, devint Premier ministre en promettant un départ de l’UE pour le 31 octobre de cette année, « que ça passe ou que ça casse ». Mais il mit un point d’honneur à ne reprendre les négociations avec l’UE qu’au tout dernier moment, en insistant sur le fait qu’il lui fallait user de la menace d’un « Brexit dur », c’est-à-dire d’un départ sans accord, au cas où l’Union n’accepterait pas ses exigences. Les députés hostiles au Brexit ripostèrent en proposant une loi interdisant un Brexit sans accord de divorce. Ce à quoi Johnson répondit en les accusant d’avoir voté la reddition de la Grande-Bretagne à l’Union. Et lorsque 21 députés de son parti votèrent en faveur de cette loi, Johnson les exclut, affaiblissant d’autant sa position au Parlement. Au cas où, à la fin octobre, Johnson n’aurait pas trouvé d’accord avec l’Union, cette nouvelle loi l’obligeait à demander une extension du processus du Brexit jusqu’au 31 janvier 2020. Ce à quoi Johnson répondit qu’il « préférerait crever dans un fossé » plutôt que de retarder le Brexit au-delà du 31 octobre. Sur quoi Johnson suspendit le Parlement pour l’empêcher de s’en prendre de nouveau à son gouvernement, désormais bien faible. Cette tactique se retourna contre lui lorsque la Cour suprême déclara cette suspension illégale, l’obligeant à rouvrir le Parlement. À ce moment-là, il ne restait plus que quelques jours avant le 31 octobre. Les députés décidèrent alors de suspendre le processus du Brexit, cette fois parce qu’il ne restait plus assez de temps pour débattre du projet d’accord de divorce présenté par Johnson. Ainsi, il ne restait plus qu’une sortie possible à cette impasse : la tenue d’élections anticipées.

Manœuvres politiciennes et attaques antiouvrières

Voici donc la situation où nous nous trouvons aujourd’hui. Ayant perdu du crédit après les trois dernières années d’avatars du Brexit, les principaux partis politiques en sont à multiplier les promesses, les accusations et les mensonges, en guise de préparation du scrutin de jeudi 12 décembre. Le Parti conservateur de Johnson est en tête des sondages d’opinion grâce à sa promesse de « boucler le Brexit ». Son parti attaque Corbyn en le présentant comme un « dangereux marxiste » et comme un « antisémite », parce qu’il a eu le mérite de prendre position pour le peuple palestinien, contre l’État d’Israël.

Cette campagne électorale est marquée par l’amertume et la calomnie et elle se déroule sur le fond d’une sérieuse détérioration des conditions de vie de la classe ouvrière. Celles-ci ont été aggravées par les réductions budgétaires. Le salaire moyen réel est toujours en dessous de son niveau de 2008.

14,3 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 22 % de la population, dont 4,6 millions d’enfants. La crise du logement continue à s’aggraver et on estime que 726 SDF sont morts dans la rue l’an dernier. Les conditions de travail continuent également à se détériorer. Dans l’industrie automobile, le Brexit a servi à imposer aux travailleurs des suppressions d’emplois permanents et temporaires, plus de précarité et plus de divisions entre salariés faisant le même travail. Au cours des trois dernières années, 106 000 emplois ont disparu dans la grande distribution. Une grande chaîne de supermarchés, Asda, la filiale britannique du géant américain Walmart, impose une aggravation des conditions de travail de ses salariés sous peine de licenciement. Royal Mail, le service postal privatisé, veut imposer des conditions de travail inspirées de celles d’Amazon et supprimer 20 000 postes. 97 % des 120 000 travailleurs qui ont participé à une récente consultation ont voté pour la grève, mais le patron a obtenu un jugement en référé contre la grève. Néanmoins, il y a encore toutes chances qu’elle ait lieu, même si elle est repoussée après Noël.

Quant aux élections anticipées, de nombreux travailleurs disent qu’ils ne voteront pas. La pagaille du Brexit a aidé à dissiper bien des illusions. Cela étant, il se trouve aussi des travailleurs pour apprécier les renationalisations promises par les travaillistes, bien qu’ils se donnent 7 à 10 ans pour les faire. Cela dit, dans l’état actuel des choses, nous ne pouvons dire ce qui sortira de ces élections ou du Brexit. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la situation sociale s’aggrave et qu’il y a plus de colère parmi les travailleurs.

Lutte ouvrière/Arbeidersstrijd (Belgique)

Une incertitude politique

L’actualité en Belgique est aussi marquée par l’incertitude.

Nous avons voté, il y a sept mois. Les cinq gouvernements régionaux et communautaires ont fini par se mettre en place au bout de quelques mois, et ont commencé leurs politiques d’austérité. Mais les partis politiques ne se sont toujours pas mis d’accord pour former un gouvernement fédéral, c’est-à-dire le gouvernement de l’ensemble de la Belgique.

Le gouvernement fédéral reste donc en « affaires courantes », ou plutôt en affaires fuyantes. Car tous les ministres importants sont partis, soit vers l’Europe, soit vers les gouvernements régionaux, qui leur semblent plus prometteurs pour leur carrière. C’est comme ça qu’on a maintenant pour la première fois une femme Première ministre. C’est bien connu, les postes dévalorisés, c’est pour les femmes !

La situation actuelle est d’abord le résultat de six réformes de l’État, qui ont découpé le pays toujours plus. Au point qu’aujourd’hui on ne regarde plus la même télévision, on ne va pas dans les mêmes écoles et elles sont organisées séparément, c’est même à des conditions différentes qu’on obtient son permis de conduire, selon la région dans laquelle on habite…

Le plus gros de la Sécurité sociale, avec les pensions, reste cependant au fédéral… Mais elle est dans le collimateur des nationalistes.

Démagogie régionaliste

La guéguerre communautaire a toujours servi à masquer la lutte des classes et à mettre sur le dos de l’autre communauté les causes de la misère grandissante du monde du travail. Ce n’étaient pas les patrons qui étaient responsables du chômage et des bas salaires, mais « les autres », les Flamands ou les Wallons, suivant le côté où l’on se trouve de la frontière linguistique. Et chaque fois qu’une responsabilité de l’État fédéral a été régionalisée, cela allait de pair avec des restrictions budgétaires.

Ça marchait bien (pour la bourgeoisie) tant que les mêmes familles politiques, socialistes, sociaux-chrétiens, libéraux et puis écolos, se relayaient au pouvoir des deux côtés du pays.

Mais la crise est passée par là. Et les petits monstres que l’agitation nationaliste a fait naître ont grandi, aidés aussi par la droitisation générale qui a gagné toute l’Europe. En Flandre, les nationalistes et l’extrême droite sont devenus les deux principaux partis. Ils y réunissent plus de 43 % des voix.

Combinaisons politiciennes

En Wallonie, le tableau est différent : l’extrême droite reste divisée. Les six listes de l’extrême droite n’ont récolté ensemble que 8 % des voix.

Le PS reste en tête, mais le PTB, un parti d’extrême gauche d’origine maoïste qui se présente comme la « gauche véritable », lui prend des électeurs. Avec plus de 16 % des voix, le PTB a désormais des élus dans toutes les grandes villes où le PS est fort, ainsi qu’au Parlement wallon et au Parlement fédéral.

Ce sont donc le PS wallon et la N-VA (Nouvelle alliance flamande) qui ont la main pour former un gouvernement fédéral. Mais un compromis entre eux qui ne les discréditerait pas auprès de leurs électeurs respectifs est difficilement envisageable.

Alors une coalition à six ou huit partis est envisagée, mais loin d’être réalisée. Et elle aurait une très courte majorité au gouvernement fédéral. Elle se passerait de la N-VA… ce qui ne pourra que renforcer électoralement la N-VA et le Vlaams Belang (Intérêt flamand, extrême droite indépendantiste). La recherche d’une future majorité politique sera donc encore plus difficile, la formation d’un gouvernement fédéral encore plus problématique, et la nécessité de pousser la scission de la Belgique encore plus loin encore plus évidente pour les nationalistes.

Ce n’est pas ce que souhaite la majorité de la population, et encore moins celle des travailleurs, ni en Flandre, ni en Wallonie.

Mais tant que la classe ouvrière ne relève pas la tête et ne retrouve pas une conscience de classe et une combativité suffisantes, les politiciens peuvent continuer leur œuvre de division.

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

En Allemagne, c’est le Parti social-démocrate (SPD) qui tient son congrès ce week-end. Il se donne un nouveau chef de parti, pour la troisième fois en trois ans. À chaque fois, le nouveau a été présenté comme l’espoir, censé apparaître plus à gauche, plus critique de la grande coalition et capable de reconquérir l’électorat populaire perdu. En vain : chaque nouvelle élection confirme son déclin inéluctable. Lors des dernières élections régionales cet automne en Saxe et en Thuringe, il n’obtenait plus que 8 % des voix environ. Et d’ailleurs son actuel « virage à gauche », à côté de quelques revendications comme l’augmentation du smic, consiste en particulier à réclamer un grand programme d’investissements par l’État de 45 milliards d’euros par an… ce que revendique aussi le patronat, notamment pour répondre « à la menace de récession ».

Profits et plans massifs de licenciements

De son côté, le patronat intensifie ses attaques. Depuis le début de l’année, nombre d’entreprises, dont les plus grandes, multiplient les annonces de fermetures de sites et de plans de licenciements. Pour ne citer que quelques exemples des derniers mois, dans la sidérurgie ThyssenKrupp a annoncé 6 000 licenciements, dans le commerce Karstadt 2 000, dans la chimie Bayer 12 000 et BASF 6 000, dans le secteur bancaire la Deutsche Bank 18 000 et la Commerzbank 4 000.

Les attaques sont particulièrement dures dans l’automobile. Les trois plus grands constructeurs, BMW, Daimler et Volkswagen, ont annoncé au total 60 000 suppressions d’emplois d’ici trois ans rien qu’en Allemagne. Chez les fournisseurs et sous-traitants, il ne se passe pas une semaine sans l’annonce d’une nouvelle usine qui ferme, pendant que pour les autres c’est chômage partiel et réduction de salaires.

Il va sans dire que pour les patrons les années fastes continuent : Daimler et BMW par exemple ont encore fait plus de sept milliards de profit net chacun. Bon nombre d’entreprises ont cependant enregistré une toute petite baisse de leurs profits par rapport à 2017. Cela suffit pour les rendre encore plus agressifs. Il y a l’incertitude quant à l’évolution de l’économie mondiale en général, et de la situation économique en Chine en particulier, dont les liens avec l’industrie allemande sont particulièrement étroits. Volkswagen par exemple vend désormais la moitié de ses voitures en Chine.

Baisses de salaire et chantage à la fermeture

Une entreprise de la métallurgie de 400 travailleurs dans la région de la Ruhr est également concernée. En juillet, le groupe américain auquel elle appartient a annoncé la fermeture de trois sites en Allemagne, pour augmenter sa marge de profit. Quatre mois plus tard, deux des sites sont déjà fermés, tandis que pour le plus grand site, à Essen, ils semblent préparer une fermeture en plusieurs étapes.

Au moment de l’annonce de la fermeture, la direction avait fait venir une dizaine de vigiles, par peur que les travailleurs ne cassent des machines ou ne se lancent dans des actions spontanées. Mais en fait, le syndicat fut bien plus efficace que tout personnel de sécurité. Alors qu’au moins une minorité des travailleurs se demandait comment réagir, les syndicalistes expliquèrent qu’il faudrait d’abord essayer de négocier avec les patrons aux États-Unis, et que pour cela il faudrait surtout leur montrer qu’ils étaient de bons travailleurs, fiables. Puis, pendant trois mois, rien. Sous différents prétextes, on poussa les travailleurs à attendre passivement. Tout cela pour finalement, d’un jour à l’autre, organiser un vote où les travailleurs pouvaient choisir entre deux options : soit ils votaient pour le licenciement de la moitié du personnel et plusieurs centaines d’euros de réduction de salaire, soit ils votaient… pour la fermeture de l’usine. 40 % des travailleurs ont refusé ce chantage et se sont abstenus de voter. Mais ils ne se voient pas se battre, encore moins sans les syndicats.

L’écologie, prétexte à de nouvelles attaques

Une bonne partie de ces attaques patronales, notamment dans l’automobile, ainsi que des attaques gouvernementales, ont pris un déguisement : celui de la soi-disant lutte contre le changement climatique. Il faut dire que le mouvement de la jeunesse Fridays for future a été très suivi en Allemagne et particulièrement tenace. Pendant six mois, des dizaines, puis des centaines de milliers de jeunes ont manifesté tous les vendredis matin, exprimant leurs craintes quant à l’évolution de l’état de la planète. Au point culminant en septembre, il y avait 1,4 million de manifestants, avec d’un côté de la colère contre la logique du profit et l’envie de changer collectivement tout « le système », de l’autre côté des idées individualistes sur le thème « à chacun de changer de comportement ».

Puis le mouvement a été politiquement récupéré par les Verts, et finalement par quasiment l’ensemble des partis. Les partis de la grande coalition ont essayé d’enrayer leur déclin électoral en naviguant sur la vague écologiste. Depuis des mois, ils ne parlent quasiment plus de rien d’autre. Sur le plan électoral, cela ne les a guère aidés. Mais ils en ont profité pour faire passer un paquet de lois prétendument pour le climat, qui augmentent la note de chauffage et d’essence pour les classes populaires, pendant qu’on arrose le patronat de la somme astronomique de 50 milliards d’euros en quatre ans. Et, de Die Linke jusqu’à la droite la plus réactionnaire en Bavière, des patrons aux syndicats, tous vont dans le même sens, faisant naître une ambiance type union sacrée pour lutter contre l’ennemi commun, le changement climatique.

Une union sacrée antiouvrière qui profite à l’extrême droite

Il n’y a qu’un seul parti pour s’opposer à cette politique et qui apparaît du coup comme le seul défenseur des travailleurs et des déshérités : c’est l’AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne), l’extrême droite. À la manière d’un Trump, l’AfD veut laisser les patrons polluer comme bon leur semble, postulant que cela renforcerait la compétitivité de l’industrie allemande et garantirait ainsi l’emploi. Un exemple qui illustre bien cette dynamique est l’arrêt de l’extraction du lignite (une variété de charbon) en Rhénanie et surtout dans une grande région de l’Est.

Sous prétexte que l’extraction sera interdite en 2035, les trusts de l’énergie ont annoncé des licenciements tout de suite. Lors des dernières élections cet automne, tous les partis sauf l’AfD ont expliqué aux travailleurs que ce sacrifice serait nécessaire pour sauver le climat, mais que, grâce aux subventions étatiques, ils trouveraient sûrement tous un nouvel emploi. L’AfD en revanche revendiquait la poursuite de l’activité minière, et apparaissait donc comme le seul défenseur des salariés. Cela a contribué à son succès électoral. Dans bon nombre de communes touchées par la question du lignite, l’AfD a obtenu dans les 40 % des voix.

Il faut dire que le syndicat de ce secteur, l’IG BCE, les a bien aidés. À plusieurs reprises, il a mobilisé pour repousser la fin de l’extraction du lignite et réclamer des subventions pour les patrons. Et il n’a pas hésité à accueillir un cortège de l’AfD dans une manifestation en Rhénanie – du jamais vu dans une manifestation syndicale – tellement syndicat et extrême droite étaient sur la même longueur d’onde de vouloir « sauver l’industrie allemande du fanatisme écologique ». Et il y a deux semaines, quand des militants écologistes ont organisé des manifestations un peu musclées contre la poursuite de l’extraction de lignite en Allemagne de l’Est, patronat et syndicat ont organisé ensemble un événement contre les écologistes, en harmonie avec bien des politiciens locaux, dont ceux de l’AfD étaient les plus virulents. Des groupes néonazis de la région faisaient également campagne, et un groupe de policiers s’est fièrement photographié devant un tag des néonazis contre les écologistes.

Mais l’extrême droite ne progresse pas à l’Est seulement. Dans un arrondissement de la ville d’Essen par exemple, il existe une soi-disant « milice citoyenne ». Elle est composée de hooligans-bikers d’extrême droite, qui depuis vingt mois maintenant sont cinquante à cent à patrouiller tous les jeudis dans les quartiers. Sous prétexte d’« assurer la sécurité et de protéger les femmes des immigrés violeurs et criminels », ils essaient de régner par la peur. Il y a un milieu associatif qui organise des contre-manifestations tous les jeudis, et ils sont les cibles principales de ces nervis qui n’hésitent pas à menacer, à cogner et même une fois à tirer dans les vitres de son centre culturel. Beaucoup de travailleurs de cet arrondissement semblent ne pas se rendre compte du danger concret de l’extrême droite. Ils prennent pour argent comptant l’idée de la sécurité et se disent que, si les politiciens disent tant de mal de cette milice, c’est qu’elle doit avoir quelque chose de bien.

Ce qui a récemment également marqué l’ambiance, ce sont les répercussions de la guerre de la Turquie en Syrie du nord, qui a créé de grosses tensions entre Turcs et Kurdes de Turquie et de Syrie. Dans plusieurs villes, des petits groupes de nationalistes turcs ont attaqué des manifestations de Kurdes protestant contre la guerre, déclenchant des bagarres.

Mobilisations pour le logement

Pour terminer sur quelque chose de plus sympathique, il y a eu cette année un mouvement contre l’explosion des loyers à Berlin, avec plusieurs milliers de manifestants qui revendiquaient la socialisation des grands trusts du logement. Cette revendication, qui n’est pas née par hasard en Allemagne de l’Est, avec un passé différent sur ce plan-là, a permis nombre de discussions. Car, pour la première fois depuis de longues années, des ouvriers discutaient du sens des expropriations et de la possibilité de leur réalisation, et beaucoup de jeunes ouvriers découvraient l’idée même.

Plus généralement, en raison de la situation générale, le mouvement pour le climat, les guerres, la crise, la montée de l’extrême droite, etc., un peu plus de travailleurs et de jeunes se posent des questions de fond quant à l’avenir de la société et sont un peu plus ouverts à l’idée d’une transformation révolutionnaire.

Voz Obrera (Espagne)

Une « sortie de crise » dont ne bénéficient pas les travailleurs

La situation économique et sociale ne s’améliore pas en Espagne depuis 2007, quoi qu’en disent les porte-parole de la bourgeoisie et ses politiciens, qui martèlent que nous sommes sortis de la crise. En ­réalité, 85 % des personnes qui reçoivent l’aide de la Croix-Rouge sont des travailleurs pauvres, qui n’arrivent pas à finir le mois ; et 26 % d’entre eux ne parviennent pas à s’alimenter correctement. La crise continue et accroît la pauvreté. En observant la répartition du revenu national, on voit bien que la part des revenus du travail diminue et que celle du capital augmente.

L’offensive patronale s’accentue et l’extrême droite conquiert des positions, s’installe dans les institutions. Pour les travailleurs, la situation reste critique. Pedro Sanchez a bien, tambour battant, augmenté le salaire minimum à 900 euros, mais l’hémorragie de licenciements continue. Des milliers de travailleurs ont été mis à la porte cette année, victimes des plans de licenciements des grandes entreprises et des multinationales. Pour les sept premiers mois de l’année, le nombre de travailleurs touchés par l’équivalent des PSE se monte à 44 745, soit 40 % de plus qu’à la même période en 2018. Les licencieurs sont, entre autres, les supermarchés Dia, le groupe Abengoa, Nissan, Ford… On est donc loin d’un redémarrage économique. Tout récemment, un plan de 6 600 licenciements temporaires (du chômage technique sans aucune indemnité) a été annoncé à SEAT, une entreprise qui a fait 254 millions d’euros de bénéfices l’an passé.

Dans ces conditions, les emplois créés sont rares, précaires, souvent saisonniers. Le nombre officiel des chômeurs tourne autour de 3 millions, soit presque 15 % de la population active ; les aides sociales sont attribuées au compte-gouttes et l’on voit des personnes âgées décéder avant de toucher celles auxquelles elles ont droit. Avec des pensions très basses, bien des retraités n’y arrivent pas, et on nous parle sans arrêt de repousser l’âge de départ, qui est déjà de 67 ans. Que feront Pedro Sanchez et Pablo Iglesias s’ils forment un gouvernement ? L’une de leurs promesses était de ne pas toucher aux retraites, une promesse qui, vu les pensions de misère, ne devrait pas coûter très cher.

Les services publics se dégradent à tous les niveaux. La santé, l’éducation et les services sociaux sont les plus touchés. À l’époque du gouvernement Rajoy, la réforme du travail a permis aux patrons de licencier sans dépenser un centime, aux frais de l’État ; une loi a été adoptée pour fixer un plafond aux dépenses en services publics, et elle est maintenant utilisée pour faire du chantage aux travailleurs et privatiser leurs services. De même, dans le public, on ne peut plus embaucher qu’à hauteur de 8 % des départs à la retraite, ce qui ouvre grand la porte à la vente des entreprises et services publics restants.

Si, pendant les années 1960 (c’est-à-dire sous le franquisme), l’État a nationalisé les entreprises qui faisaient faillite et créé des entreprises publiques, à partir des années 1980, les socialistes et la droite ont privatisé les banques et les caisses d’épargne, liquidé l’industrie nationale de l’énergie et des communications en privatisant la Telefonica, Iberia, Repsol… Vers 1985, il existait au total 130 entreprises publiques et autour de 850 contrôlées indirectement par l’État, sans compter celles des régions et des municipalités. À peine quinze ans plus tard, elles étaient privatisées ou partiellement privatisées. On voit que, nationalisation ou privatisation, il s’agit toujours d’aider les capitalistes à maintenir leurs profits, en privatisant les secteurs qui rapportent et en socialisant les pertes. Ainsi, à Séville, la mairie socialiste (soutenue par Podemos) utilise cette arme du plafond de dépenses pour menacer les agents, stopper les embauches et privatiser des lignes de bus.

Cette année, les mobilisations ont été moins nombreuses et moins intenses, même si on continue à défendre la santé, l’éducation et les retraites. Ces dernières semaines, des rassemblements ont été appelés par les syndicats majoritaires (Commissions ouvrières et UGT) contre les licenciements de travailleurs malades autorisés par la dernière réforme de Rajoy – que Pedro Sanchez n’a voulu ni abroger ni amender.

Jeu d’alliances à gauche et montée de l’extrême droite

Du point de vue politique, ce sont les élections (à répétition) et le conflit en Catalogne qui ont marqué l’année. Nous en sommes donc à quatre élections législatives en quatre ans. À croire qu’on aime ça ! Mais, dans un climat de découragement et d’apathie à gauche, l’abstention est montée à 30 %, un peu plus que les fois précédentes. Le PSOE reste devant, même s’il a perdu des voix, avec 29 % des suffrages, ce qui l’oblige à passer des accords pour gouverner. Bref, on en est toujours au même point.

Avec 21 %, le Parti populaire (PP, droite) a lui aussi perdu des voix, tout comme Podemos qui plafonne à 11 %. C’est surtout Ciudadanos, la « nouvelle » droite si prometteuse apparue en Catalogne il y a quelques années, qui a pris une claque avec ses 7 %, d’où des démissions en cascade parmi ses cadres. Certes, ce n’est pas une grande perte ; mais une partie des voix perdues par Ciudadanos l’ont été au profit de Vox, l’extrême droite décomplexée, qui a obtenu 16 % et s’est imposée comme troisième force politique du pays. Pour beaucoup de gens, surtout à gauche, ça a été un choc. Ils n’en reviennent pas qu’il y ait désormais 52 députés de Vox.

On ne sait toujours pas si Pedro Sanchez va réussir à former son gouvernement ou si on ira voter une cinquième fois… Les votes sont très divisés, Pedro Sanchez n’a pas assez avec juste Podemos, malgré un accord signé en moins de 24 heures… alors qu’ils ont lanterné leurs électeurs après les élections d’avril dernier, et que c’est justement faute d’un accord entre eux qu’on a dû retourner voter. À présent, du fait de la loi électorale, Podemos entre au gouvernement au moment où le parti a obtenu le pire résultat de son histoire, car à chaque élection il a perdu un peu plus de voix.

Les embrassades de Pedro Sanchez et Pablo Iglesias ont donc provoqué de la colère : non seulement on aurait pu s’économiser un quatrième vote, mais surtout l’extrême droite a maintenant une tribune parlementaire pour ses idées. De quoi normaliser un peu plus la présence de ceux qui, auparavant, n’osaient pas s’exprimer à visage découvert. À Madrid par exemple, la nouvelle municipalité de droite a détruit les plaques portant les noms des fusillés victimes du franquisme au cimetière de l’Almudena.

Ce qu’on sait, c’est que Sanchez ne gouvernera pas pour les classes populaires. Il y a longtemps que le PSOE n’est socialiste et ouvrier que de nom. Reste à voir quel rôle jouera Pablo Iglesias dans ce gouvernement (s’il se forme)… Beaucoup risquent d’être déçus et les espoirs placés dans un gouvernement socialiste-Podemos pourraient se payer cher, car l’extrême droite se nourrit précisément de la démoralisation que répand cette gauche de gouvernement, qui n’a même pas été capable, jusqu’ici, d’abroger la réforme du travail de Rajoy. Nous n’avons donc aucune illusion.

En Espagne, la crise avait suscité des réactions : le mouvement du 15M (les « indignés »), les Marches de la dignité dans tout le pays, les « marées » blanches ou vertes défendant la santé et l’éducation, la lutte contre les licenciements… Mais personne n’a donné à cette énergie, à ces mouvements, une direction de classe. D’autres perspectives se sont imposées : le réformisme de Podemos, les manœuvres du nationalisme catalan et espagnol, et pour finir on offre une tribune à l’extrême droite. Voilà pourquoi soutenir ce possible gouvernement avec Podemos, ce serait se lier aux socialistes, à leurs manœuvres et à leurs attaques antiouvrières. Des élections municipales et régionales ont aussi eu lieu. Pour résumer, les socialistes ont remporté une majorité de régions, mais le jeu des alliances fait qu’ils ne gouvernent pas à chaque fois. La droite a remporté une victoire à Madrid malgré ses mauvais résultats, grâce à des alliances ; et Podemos a pris une veste.

En Andalousie, maintenant c’est la droite qui gouverne : une alliance entre PP, Ciudadanos et Vox. C’est la première fois que l’Andalousie est gouvernée par la droite, après 40 ans d’hégémonie socialiste. Pour le moment, l’exécutif régional brouille les pistes et les coups ne sont pas encore tombés, mais on s’attend à des coupes budgétaires dans l’éducation et la santé, projetées depuis longtemps.

L’abstention a été très élevée dans ces élections andalouses, vu la croissance exponentielle du discrédit des socialistes ces dernières années. Le dernier scandale en date vient de se conclure par des peines dures (prison et perte de droits civiques) à l’encontre de dirigeants historiques du PSOE andalou, qui se sont comportés comme des chefs de clan. Les socialistes ont détourné de l’argent public pour aider les entreprises soi-disant en difficulté à licencier, distribuant aussi des aides aux travailleurs licenciés. Ils ont monté un vrai réseau clientéliste, basé sur la reconnaissance du ventre de la part des patrons et l’achat de la paix sociale du côté des travailleurs.

La Catalogne dirigée par les catalanistes

Dans tout le pays, et tout particulièrement en Catalogne, les élections ont été marquées par la publication avant le vote des peines retenues contre les leaders nationalistes catalans : des peines de prison pour avoir organisé un référendum et proclamé une pseudo-république catalane. La sentence a provoqué des émeutes, avec un bilan de 600 blessés, plus de 100 personnes arrêtées et 28 emprisonnées.

Dans les urnes, la formation indépendantiste ERC (Gauche républicaine catalane) s’est imposée, doublant les socialistes de trois sièges. Comme le chef du parti est en prison, c’est le n° 2 Gabriel Rufian qui s’est fendu d’une déclaration disant que le mouvement catalaniste détruirait le fascisme. C’est ce que croient beaucoup de jeunes Catalans : pour eux, ils luttent contre la monarchie, contre le régime issu de la transition postfranquiste, qui les a conduits à une crise sans issue, sans aucun avenir pour la jeunesse, en plus de l’oppression nationale. Dans ce contexte, les manœuvres politiciennes des uns et des autres visent surtout à négocier. Les nationalistes et indépendantistes catalans ont besoin de faire miroiter à leurs électeurs l’espoir d’un dialogue et d’un référendum d’autodétermination ; les socialistes, eux, ont besoin du soutien des catalanistes pour gouverner avec Podemos.

S’il est vrai que la Catalogne a été durement frappée par la crise, les politiques d’austérité y ont été mises en place par les politiciens catalanistes, avant même que Madrid le leur demande. La région demeure cependant l’une des plus riches d’Espagne, et le reste du pays a du mal à comprendre cette volonté d’indépendance précisément dans cette période de vaches maigres, y voyant une preuve d’égoïsme et de manque de solidarité vis-à-vis des régions plus pauvres. Le nationalisme catalan mène à de véritables absurdités, par exemple des formations de gauche qui soutiennent que les gens vivront mieux dans une Catalogne souveraine, alors que c’est l’indépendantiste Torra qui, depuis l’exécutif régional, les fait matraquer par sa police quand ils descendent dans la rue…

Lutte ouvrière (La Réunion)

Le mouvement des gilets jaunes a fortement marqué la fin de l’an dernier. Nous avions rapporté ici à la fois son importance et ses limites. L’anniversaire ce 17 novembre a été marqué par deux rassemblements, au nord et au sud, d’une centaine de manifestants qui ont souligné que rien n’a été obtenu des revendications avancées.

Ce 5 décembre, ils se sont invités dans la journée de manifestation intersyndicale en prenant seuls l’initiative d’opérations escargot. Du coup, au grand dam des syndicalistes, il y a eu deux manifestations, dont une dans le sud regroupant un millier de manifestants qui n’ont pas pu rejoindre Saint-Denis. En tout il y avait 5 000 manifestants.

La réussite de la journée a poussé l’intersyndicale à appeler comme ici à un temps fort mardi.

Dans le courrier adressé aux militants par le secrétaire confédéral de la CGTR (Confédération générale du travail de La Réunion), on peut lire ceci :

« Loin d’être un mouvement corporatiste, ce sont des revendications et des attentes en termes d’urgence sociale, écologique, qui sourdent des profondeurs de la misère généralisée. Au-delà, c’est la condamnation du capitalisme qui nous mène à la ruine et à la guerre...

Les retraités malmenés, les exclus accablés, les jeunes délaissés, les chômeurs sacrifiés ; les salariés plus que jamais variable d’ajustement ; personne n’échappe à l’installation du “nouveau monde”, mais chacun de façon différente : pendant que les pauvres s’appauvrissent, les riches s’enrichissent. »

Situation sociale

Le mouvement des gilets jaunes avait mis une lumière crue sur ce que galérer veut dire.

Les chiffres de l’Insee, sans offrir la même clarté, montrent la tendance : le chômage augmente.

24 % en 2018, soit 170 000 chômeurs et précaires. Parmi eux 42 % des moins de 30 ans. Et on dénombre 55 % des femmes en recherche d’emploi, qui souvent abandonnent devant la difficulté.

La société se délite. La Réunion est dans le top 3 (avec la Guyane et la Corse) des violences conjugales et intrafamiliales. En 2018, le suicide est devenu la première cause de mortalité chez les jeunes.

La religiosité progresse plus vite que les idées communistes. Outre le catholicisme, l’hindouisme, deuxième religion à La Réunion, l’islamisme et bien d’autres sectes font le plein. En 2019, le premier temple boud­dhi­que tibétain de l’océan Indien a été inauguré à La Réunion car, paraît-il, le bouddhisme classique, si on peut dire, est devenu plus une tradition culturelle qu’une religion pour la population d’origine asiatique qui a intégré la religion catholique. Il n’y a pas que les temples de la consommation pour attirer les classes populaires !

Religion et nationalisme embrouillent la conscience. Mais heureusement que les travailleurs ne restent pas pieds et poings liés face aux attaques du gouvernement et du patronat.

Les travailleurs se défendent, dans le public comme dans le privé. Même si elles sont restées localisées, il y a eu tout au long de l’année des grèves pour les salaires, pour les conditions de travail et bien sûr contre les licenciements et les sanctions.

Dans les différents hôpitaux et les CHU de Saint-Denis et Saint-Pierre plusieurs mouvements ont rassemblé des centaines d’hospitaliers pour dénoncer l’insuffisance des effectifs, en particulier aux Urgences, l’épuisement des soignants au travail, mais aussi la suppression du service de chirurgie pédiatrique du sud et sa centralisation dans le nord ; dans les trésoreries, dont 9 doivent fermer ; dans les centres de distribution de La Poste de l’est et du sud contre les suppressions d’emplois, pour les embauches, contre les journées à rallonge.

Des travailleurs relèvent la tête

Les patrons imposent quotidiennement l’aggravation des conditions de travail et d’existence. Il arrive que les travailleurs n’acceptent plus les injustices et les humiliations.

C’est le cas des travailleuses d’une entreprise de l’aide à la personne d’un peu plus de 550 employées dispersées sur toute l’île. Dans cette entreprise financée par des fonds du conseil départemental, les deux gérants avaient été condamnés pour abus de biens sociaux... comme plusieurs autres patrons petits et grands qui piquent dans la caisse et se croient tout permis.

Des travailleuses ont relevé la tête et se sont acharnées à convaincre leurs camarades de la nécessité de s’organiser pour se défendre. Avec l’aide de l’union régionale CGTR-est elles ont déjoué les manœuvres de la direction et ont réussi à créer la surprise en devenant le premier syndicat de l’entreprise, avec 7 titulaires et 7 suppléantes au CSE, devant les deux syndicats propatronaux.

Ce 18 novembre, le patron des magasins M. Bricolage, qui n’est autre que le groupe antillais Hayot, a été condamné par le TGI pour non-respect du repos dominical suite à une plainte de la fédération commerce de la CGTR.

La direction de M. Bricolage a aussitôt fait appel et a mis en route une machine de dénigrement de la CGTR, qui a bien fonctionné dans la presse et sur les réseaux sociaux où se sont multipliées les menaces contre les militants. Pour faire monter la pression, le patron a commencé par fermer les magasins le dimanche matin, même là où le jugement autorise l’ouverture. Puis un reportage de RFO montrait des salariés volontaires et des étudiants perdant la possibilité de toucher une petite monnaie, comme on dit, et protestant contre l’atteinte à leur liberté de travailler. Pour finir, le patron a poussé une soixantaine de salariés et d’étudiants à aller manifester devant la préfecture.

Un événement qui a fait couler pas mal d’encre, c’est le rachat de Vindémia, le groupe de grande distribution appartenant à Casino, racheté justement par le groupe antillais Hayot au nez et à la barbe des capitalistes réunionnais.

Les gros zozos locaux de la grande distribution sont fort mécontents de cette concurrence.

L’un d’eux, François Caillé, un béké local, a pu se féliciter de l’intervention de toute la classe politique, de LR au PS en passant par le PLR (dissidence du PCR) et LFI. En effet ils sont ensemble montés au créneau en adressant un courrier à Macron pour l’alerter sur le danger de situation monopolistique qui guetterait La Réunion et pour lui demander d’intervenir.

Situation politique

Macron était à La Réunion les 23 et 24 octobre. Au cours de sa visite, il a annoncé l’exonération totale des cotisations sociales patronales jusqu’à deux fois le smic au lieu de 1,3 smic, l’attribution d’une prime annuelle de 15 000 euros pour toute embauche d’un CDI et de 7 000 euros pour l’embauche d’un CDD, et l’engagement de l’État que la subvention de 28 millions d’euros à la filière canne, donc essentiellement au groupe capitaliste Tereos, sera reconduite jusqu’en 2021.

Le message du patronat, comme le souhaitait Philibert, le patron des patrons des Dom, a donc été reçu cinq sur cinq par Macron.

Pour son déplacement en octobre, Macron a mobilisé une garde rapprochée de 1 500 policiers et gendarmes. Mais ils n’ont pu éviter que des jeunes dans le quartier populaire des Camélias l’apostrophent en déclarant qu’ils ne croyaient plus aux promesses des politiciens. C’était assez cocasse d’entendre alors Macron accuser les jeunes de « venir faire leur show », sous-entendu devant les caméras.

En ce qui concerne Macron, l’opinion qu’il est au service des riches et des patrons est largement partagée dans les classes populaires. Mais sur le plan politique cela s’est traduit jusqu’à présent par une augmentation de l’abstention et du vote Rassemblement national.

Quelques chiffres :

- Au premier tour de la présidentielle de 2017, Le Pen est arrivée en deuxième position derrière Mélenchon, avec 23,5 % des voix.

- Deux ans après, aux européennes de 2019, c’est le RN qui est arrivé en tête avec 31,2 %.

Pour information, à Mayotte, les effets de la crise et le poids de l’immigration ressentie comme une menace débouchent sur une progression encore plus spectaculaire en faveur de l’extrême droite : 1 257 voix aux européennes de 2014, 9 000 voix aux présidentielles de 2017 et 9 717 voix aux européennes de 2019, soit 46 %.

De droite ou de gauche, les membres de la caste politique réunionnaise sont aux manettes des affaires de la bourgeoisie depuis des décennies. Ils se sont illustrés par une remarquable capacité à renier une opinion défendue un temps contre un plat de lentilles cuisiné dans les cuisines électorales. En général ça s’appelle le retournement de veste, en créole réunionnais c’est le « mangé cochon ».

S’il y a concurrence pour la place à table, au fond ils partagent tous la même perspective d’un nationalisme local joint à une volonté de demeurer dans le giron métropolitain.

Fin octobre, le PCR a convoqué une conférence internationale placée sous le signe « de la nécessité de rupture avec le système capitaliste ». À cette conférence étaient invitées des délégations étrangères (Cuba, Inde, Madagascar, Comores, Afrique du Sud, Seychelles).

Mais de quelle rupture parle-t-il ? Il propose la fin des assemblées territoriales au profit d’une assemblée unique. Sur cette proposition il voit une convergence avec d’historiques politiciens de droite, voire avec des curés. C’est à tout ce beau monde que le PCR attribue un brevet de « rupture avec le système ».

Alors, rien d’étonnant à voir le PCR reprendre dans son journal Témoignages l’intégralité d’une réflexion de l’évêque de La Réunion, Gilbert Aubry, qui préconise la création d’une Conférence territoriale de l’action publique qui serait composée notamment des présidents du conseil régional et du conseil départemental et des présidents des intercommunalités.

Dans le passé, des dirigeants et des militants du PCR ont été confrontés à la répression de l’appareil d’État, ce qui a contribué à leur valoir un grand prestige dans les classes populaires. Mais il y a beau temps que ce capital a été dilapidé, précisément au fil des alliances électorales y compris avec leurs soi-disant pires ennemis.

Alors, à chaque élection ses combinaisons. Là ce sont les municipales et les régionales qui se préparent.

Il est difficile en quelques mots d’en résumer toutes les contorsions. Disons que les chassés-croisés des rassemblements donnent un léger tournis à l’électeur moyen.

Pour notre part, nous allons présenter une liste Lutte ouvrière à Saint-Benoît, où la grande union de la gauche est de retour, sans nous. Nous allons donner à nos proches toutes les raisons politiques de s’affirmer dans le camp des travailleurs et pas dans l’illusoire union des anti-Macron.

Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)

Quand on suit de loin la situation politique en Haïti en s’informant par la presse ou les réseaux sociaux, on peut penser que les classes pauvres sont dans les rues et se battent pour la satisfaction de leurs revendications à travers l’opération « pays lock ».

L’opération « pays lock »

C’est vrai que pendant toute l’année il y a eu des grèves en cascade des travailleurs de l’administration publique, qui réclamaient plusieurs mois d’arriérés et une augmentation des salaires face au renchérissement du coût de la vie. La presse locale s’en est fait très peu l’écho. Mais l’opération « pays lock », largement relayée dans la presse internationale et qui a paralysé quasiment toutes les activités du pays, est une tout autre chose. Tout d’abord, « lock » est un terme du créole haïtien emprunté à l’anglais pour dire bloquer, verrouiller, en parlant des portes par exemple. L’opération « pays lock » lancée par l’opposition politique visait donc à bloquer toutes les activités du pays pour exiger la démission du président Jovenel Moïse. L’opération « lock » consistait à bloquer d’abord les grands axes du transport public et privé par la violence de petits groupes dressant des barricades et postés dans des points stratégiques de la capitale et sur les routes nationales. Ils imposaient ainsi une paralysie du transport, dont dépendent les principales activités du pays. En effet quasiment rien n’a fonctionné. Les villes de province ne pouvaient pas approvisionner la capitale assiégée, et vice-versa. L’opposition réclamait des rues désertes, vides, pour pousser le président à la démission. Même des piétons étaient pris à partie, sous prétexte qu’ils se rendaient au travail.

Toute tentative de briser le lock, ponctué parfois de grandes manifestations populaires, finit mal pour les briseurs, les troupes de choc surveillent de près leurs barricades, lancent des pierres et tirent parfois sur tout ce qui bouge. Très souvent, pour passer une barricade, il faut donner de l’argent, qu’on soit piéton ou automobiliste. En clair, la population, qui dans sa grande majorité vit du commerce informel au quotidien, est prise en otage, asphyxiée économiquement, subissant les effets de cette méthode antipopulaire utilisée par l’opposition, au mépris des classes pauvres.

Le président, dont la tête est réclamée à cor et à cri, n’a payé qu’une infime partie de la note. Traqué, il était confronté à de sérieux problèmes pour accéder au Palais et à sa résidence privée. Des barricades se dressaient partout devant son cortège. Il éteint désormais toutes ses sirènes pour ne pas être localisé lors de ses déplacements en catimini. Le président Jovenel Moïse donne l’impression d’un rat coincé dans un trou et traqué par des cohortes de chats.

Il a dû solliciter une aide d’urgence des USA, qui ont volé à son secours avec un contingent d’une dizaine de gardes du corps pour renforcer sa sécurité. En parlant des USA, ils ont eu le comportement inverse en 2004, quand ils s’étaient empressés de lâcher Aristide en le privant des gardes du corps américains, avant de l’embarquer dans un avion.

Par contre, l’addition de l’opération « pays lock » s’est révélée très salée pour les travailleurs de la zone industrielle et les classes populaires en général, dont les conditions de vie empirent de jour en jour avec l’envolée des prix, la chute de la monnaie locale et du pouvoir d’achat. Pendant le lock, la vitesse du renchérissement du coût de la vie est telle que les revenus sont peu de différents entre un chômeur et un travailleur.

Les terribles répercussions du lock pour les travailleurs

Aux guerres économiques, que se livrent chaque jour les classes riches contre la majorité de la population s’est greffé à travers l’opération « pays lock » un combat politique intense entre clans politiques rivaux, dont les répercussions sur les classes exploitées sont incommensurables.

Les troupes de choc de l’opposition s’en prennent régulièrement aux travailleurs à l’aller et au retour sur la zone industrielle. Ces derniers essuient des jets de pierres, des tessons de bouteille, subissent des bastonnades en règle, quand il ne s’agit pas de balles réelles carrément.

Un ouvrier a été abattu par balles alors qu’il se rendait au travail. Un autre, atteint d’une balle perdue en se rendant au travail, n’a eu que 15 jours de congé. Son patron, Charles Henry Backer, un ancien candidat à la présidence, n’a pas jugé nécessaire de couvrir les frais de son hospitalisation.

Et c’est en route vers la zone industrielle que beaucoup de jeunes femmes se font agresser physiquement, ce qui va jusqu’au viol. Soulignons que les femmes représentent plus de 80 % dans les usines d’assemblage en Haïti.

L’état-major de l’opération « pays lock » a gardé un silence complice sur la terreur que subissent les travailleurs pendant cette période. Autre exemple qui justifie le caractère anti-­ouvrier et réactionnaire de la direction de ce mouvement.

Les journées de manifestation et d’autres turbulences, comme le blocage des routes nationales, ont servi de prétexte à de nombreux patrons, petits et grands, pour procéder à des vagues de licenciements. Privés de revenus, ces travailleurs et leurs familles ont tout simplement basculé dans la misère la plus extrême. D’autres travailleurs ont été contraints d’accepter une réduction de leur salaire contre un licenciement sec.

Isolés, embrigadés dans leurs ghettos sous le contrôle des gangs armés et des troupes de choc de l’opposition sur les barricades, les habitants des quartiers pauvres meurent de faim et de soif. Les petites marchandes font faillite parce qu’elles ne peuvent pas s’approvisionner, ou tout simplement parce qu’elles n’arrivent pas à écouler leurs marchandises, les acheteurs habituels n’ayant pas d’argent. Des femmes enceintes accouchent dans les rues, parce que les véhicules qui les transportent ne peuvent pas traverser les barricades, où l’on réclame de fortes sommes d’argent contre un laisser-passer, et les barricades sont nombreuses. Le service public d’adduction d’eau dans les quartiers est dysfonctionnel depuis quelques années, les camions-citernes qui alimentent les quartiers populaires en eau ne peuvent pas circuler non plus. Parfois, même des ambulances sont refoulées à certains endroits où les bandits ne négocient que l’argent.

Il y a des moments de ravitaillement, le week-end par exemple. Les riches, la petite bourgeoisie aisée et les politiciens affluent dans les supermarchés et vident les rayons, mais les habitants des quartiers populaires continuent de crever chez eux. Voilà grosso modo ce que c’est que l’opération « pays lock ».

Toutefois, les travailleurs et les classes populaires, dans leur grande majorité, soutenaient passivement l’objectif de ce mouvement visant à renverser Jovenel Moïse, tellement ce dernier est haï pour ses nombreuses promesses non tenues, comme l’électricité 24 heures sur 24, la création massive d’emplois, la baisse du coût de la vie, etc.

C’est pourquoi certaines manifestations drainaient plusieurs dizaines de milliers de personnes, en majorité des chômeurs des bidonvilles en proie à la misère et aux problèmes de toutes sortes. Plus le mouvement prenait de l’ampleur, plus le chef de l’État était lâché par des institutions qui l’ont toujours soutenu, comme les Églises, les associations patronales, etc. Pendant deux mois, quasiment toutes les corporations du pays ont gagné les rues pour réclamer la démission du président. Même les policiers en ont profité, eux aussi, pour organiser deux manifestations, au grand dam de leurs supérieurs hiérarchiques, réclamant de meilleures conditions de travail et une valorisation de leurs salaires.

Mais cette agitation sociale s’est déroulée sur fond de découragement des travailleurs et de la grande majorité de la population, qui a payé un lourd tribut par l’aggravation de ses conditions de vie, par l’augmentation des braquages, des vols, des viols, des assassinats dans les quartiers.

Les classes pauvres assistent à la déconfiture progressive de l’État et à la dégradation accélérée de leurs conditions de vie. Les dirigeants axent toutes leurs actions sur le détournement des fonds publics au profit des classes possédantes et de leurs domestiques au pouvoir.

L’État, et donc la politique, restent les principaux pourvoyeurs d’emplois pour les partis politiques en surnombre et une bonne partie de la petite bourgeoisie intellectuelle ou présumée telle, dans un contexte de précarité généralisée, d’insécurité économique. On se retrouve ainsi et toujours avec deux groupes dans une lutte à mort. Ceux qui se sont emparés du pouvoir, souvent par la fraude et avec l’aide des États-Unis ; et ceux qui, hors du pouvoir, n’aspirent qu’à avoir accès à la mangeoire : l’opposition. On a ainsi ce jeu de chaises musicales dans toute l’histoire d’Haïti. La population abandonnée a elle-même développé toutes les stratégies pour survivre face au renchérissement du coût de la vie, à l’explosion du chômage, à la prolifération des gangs armés qui rançonnent, volent, violent et assassinent, souvent avec le soutien ou la complicité du pouvoir.

Après environ dix semaines de blocage de la quasi-totalité des activités du pays, le transport public et privé, le commerce formel et informel, l’administration ont repris progressivement dans un contexte fragile. Les portes de la majorité des établissements scolaires dans la capitale et dans certaines villes de province restent fermées.

Mais l’actualité politique reste dominée par le bras de fer entre les politiciens de l’opposition et le chef de l’État, Jovenel Moïse, qui profite de l’essoufflement du mouvement social pour jouer sa dernière carte en donnant un grand coup d’accélérateur à la répression dans les quartiers populaires.

Les organismes de défense des droits de l’homme dénoncent des exécutions sommaires dans plusieurs villes du pays, des massacres à Port-au-Prince dans les quartiers de Bel-Air, de Mariani notamment. Le pouvoir, via la police aidée des gangs, sévit contre les troupes de choc de l’opposition qui tenaient les barricades et constituaient le fer de lance de cette agitation sociale qui a duré plus de deux mois.

En marge de l’opération « pays lock », c’est la recrudescence de l’insécurité, du banditisme, la distribution massive d’armes aux gangs par le pouvoir, à qui il ne reste que les armes de la répression et de la corruption pour exister.

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (Côte d’Ivoire)

Sur la situation politique en Côte d’Ivoire, nous sommes dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle prévue fin 2020. Les marchandages entre les formations politiques ne sont pas encore terminés. Aucun candidat sérieux ne s’est encore ouvertement déclaré. Le retournement des alliances est toujours possible, comme dans le passé, tellement tous les prétendants et leurs partis se ressemblent et peuvent se mélanger, en fonction des circonstances et surtout des ambitions personnelles des uns et des autres.

Les principaux acteurs sont les mêmes. Il y a Alassane Ouattara, l’actuel président. Il y a le vieux Konan Bédié, avec toujours ses propos xénophobes et démagogiques. Il y a aussi Laurent Gbagbo, le précédent président déchu, et ceux qui se revendiquent de son héritage.

Il faut se souvenir que c’est la bataille entre ces trois crocodiles qui avaient mis le pays à feu et à sang. Chacun s’était appuyé sur son ethnie ou sur sa région pour se maintenir ou pour conquérir le pouvoir.

Ce sont les mêmes qui sont de nouveau en compétition. La crainte de voir de nouveau des affrontements sanglants n’est pas à écarter.

Pour illustrer un peu la crainte qu’un certain nombre de personnes ressentent, j’ai repris ici quelques paroles d’une vidéo mise en circulation par un artiste sur les réseaux sociaux, qui déclame : « On se frappe, on se tue pour quelqu’un qui ne nous connaît même pas… C’est fini ça ! Les politiciens ont créé leurs partis politiques pour nous blaguer. C’est nous on est bêtes… Ils font jamais palabres. C’est nous on se frappe, on se tue et on termine avec kalach… La guerre ne nous arrange pas… trouvez un terrain d’entente pour ne pas verser le sang… Nos dirigeants se sont divisés parce que chacun veut diriger… Si vous ne savez pas, tout ce qui s’est passé, c’est nous on a pris les pots cassés. Ils ont tué, ils ont violé… Les sacrifiés, c’est nous, on a donné nos poitrines et puis c’est eux qui bénéficient. »

Rien ne nous indique encore qu’ils ne nous remettent pas encore une fois le couvert.

Sınıf Mücadelesi (Turquie)

Une claque pour le président

Un des événements politiques marquants en Turquie cette année a été les élections municipales de mars. En décembre dernier, les sondages prédisaient tous l’échec du parti du président Erdogan, l’AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur), ainsi que celui de son allié d’extrême droite, le MHP (Parti d’action nationaliste). On leur prédisait la perte de la majorité des grandes villes y compris Istanbul – avec ses 16 millions d’habitants – et la capitale Ankara. Erdogan a bien tenté de réagir en distribuant quelques miettes bien insuffisantes, les coffres étant vides. La seule option restante était d’agiter le drapeau national. Une grande campagne fut donc lancée : la sécurité de l’État turc était censée être menacée par les forces kurdes de la Syrie du nord, près de la frontière, organisées dans le PYD (Parti de l’Union démocratique), en fait la branche syrienne du PKK, considérée comme terroriste par Erdogan. Le gouvernement arguait que la récupération de ce territoire permettrait d’installer une partie des 3,6 millions de Syriens vivant en Turquie.

Avant la date des élections, des forces militaires furent donc concentrées dans cette perspective le long de la frontière. Erdogan annonça à deux reprises une intervention imminente, suspendue à cause du désaccord des États-Unis. La Russie, profitant de la situation, autorisa alors Erdogan à occuper le territoire d’Afrin qu’elle contrôlait. En janvier dernier, l’armée turque entrait donc à Afrin. Selon le gouvernement et les médias, ce n’était nullement une invasion : il s’agissait seulement de garantir la sécurité de la Turquie et de donner une leçon aux miliciens des YPG, la branche militaire du PYD. Il y en avait au plus pour quelques jours… puis l’armée turque se replierait.

Cela fait bientôt un an, et l’armée turque est toujours dans la ville d’Afrin et dans sa région. Cette expédition militaire n’a pas suffi à inverser la tendance et à garantir à Erdogan la victoire aux municipales de mars. Par contre, cela a réussi… à mettre en colère les États-Unis, déjà agacés par les achats à la Russie de missiles S-400.

Cette fois-ci, Trump a dépêché directement des ministres à Ankara, en février, afin de mettre les points sur les i. Depuis cette entrevue ultra-secrète de plus de trois heures, sans interprètes (le ministre turc en faisant office) ni retranscription ni enregistrement, Erdogan courbe l’échine devant Trump, même quand ce dernier publie des tweets odieux, menaçant par exemple de couler l’économie turque si le président turc n’obtempère pas.

Aux municipales, en mars, malgré les magouilles, les tricheries et la propagande éhontée de la plupart des médias, l’AKP d’Erdogan et son allié le MHP n’ont pas pu éviter une défaite radicale. Ils ont perdu toutes les grandes villes, y compris Istanbul. Faisant fi de la Constitution, ils ont annulé cette élection dont les résultats ne leur convenaient pas pour en refaire une trois mois plus tard, en juin. Mal leur en a pris car ils ont perdu encore plus clairement, avec 800 000 voix d’écart en juin contre 20 000 en mars.

Cette perte des grandes municipalités, et surtout celle d’Istanbul, était une claque politique pour Erdogan et sa bande, mais des entreprises amies de l’AKP ont ainsi perdu des marchés de millions de dollars et ont supprimé à la suite des milliers d’emplois (réels ou fictifs).

Une situation de catastrophe sociale

La situation économique et sociale s’est nettement aggravée en un an.

Un quart des 82 millions d’habitants n’arrivent plus à joindre les deux bouts, selon des statistiques ; plus de 4 millions seraient à la fois interdits de carte bancaire et traduits en justice pour dettes. En deux mois, depuis début octobre, la presse a relaté plusieurs suicides de membres d’une même famille, qui se sont tués parce qu’ils ne pouvaient plus faire face à leurs difficultés financières. À la suite de quoi l’État a envisagé d’interdire le cyanure…

Les faillites d’entreprises, à présent, ne se limitent plus aux petites sociétés. Certaines parmi les grandes annoncent aussi de réelles difficultés, comme Atlas Global, une grande société de transport aérien associée à Air France, qui a suspendu tous ses vols pendant deux semaines pour cause de difficultés financières.

Le chômage, même selon les chiffres officiels, serait à plus de 14 % ; mais selon le syndicat Disk ce serait plutôt autour de 18 %. Plus de 8 millions de personnes sont sans travail dont 30 % de jeunes ; nombre d’entre eux doivent de plus rembourser leurs emprunts étudiants.

En un an, les prix des produits de base ont augmenté de 30 % à 40 % et même 50 % pour le gaz et l’électricité. Malgré cela, le ministre de l’Économie, gendre d’Erdogan, est satisfait de l’état de l’économie et d’une inflation inférieure à 10 %, selon lui. Comme il faut assurer ses arrières, ceux qui contrediraient le ministre seraient considérés comme terroristes.

Un gouvernement qui s’enferre dans la répression

En effet, pour demeurer au pouvoir, Erdogan et son gouvernement comptent sur les menaces et sur la répression. La guerre contre leurs anciens associés gülenistes, les partisans de son ennemi intime et concurrent Fethüllah Gülen, se poursuit. Un des moyens consiste à les repérer par leur réseau de communication secret, Bylock, un système du type WhatsApp, créé par les gülénistes à leur propre usage. La semaine dernière, les services d’Erdogan disent avoir encore repéré plus de 25 000 gülénistes. Quasiment chaque semaine, plusieurs dizaines de personnes sont ainsi arrêtées dans les milieux de l’armée, de la police ou autres. Et la répression ne se limite pas à ces seuls milieux. Les militants kurdes, les opposants de gauche sont aussi à la merci d’une arrestation et d’une détention.

Ainsi dans les régions kurdes la plupart des maires élus sous l’étiquette du parti pro-kurde HDP ont été limogés arbitrairement par le gouvernement, et pour certains emprisonnés. La répression contre la presse continue. D’après les chiffres récents, 685 journalistes se sont vu retirer leur carte de presse et jeter en prison.

Ces arrestations continuent de remplir les prisons, qui débordent. Mais dans une région où les sucreries d’État viennent d’être fermées, cela a permis de rassurer les agriculteurs inquiets pour la vente de leurs betteraves. On leur a annoncé la relance de l’économie grâce à la construction d’une dizaine de prisons, ce qui entraînerait des dépenses de la part des visiteurs !

Avec la crise économique qui s’aggrave, les conditions de vie de la classe ouvrière et de la population pauvre se sont encore dégradées. Le résultat des municipales de mars a reflété en partie leur mécontentement et leur perte de confiance dans Erdogan. Pour autant, on ne sent pas encore venir une explosion sociale, même s’il existe quelques petites grèves et mouvements de protestation.

Il pourrait cependant y avoir prochainement des réactions et même un mouvement social lié aux négociations entre le Mess, l’organisation patronale de la métallurgie, et les syndicats. Ces négociations concernent plus d’un million et demi de travailleurs et doivent aboutir fin décembre.

Dans la situation inconfortable où se trouvent Erdogan et l’AKP après l’échec des municipales, Erdogan a continué à exploiter le sentiment nationaliste en jouant sur le prétendu besoin d’assurer la sécurité du territoire en installant une zone tampon au nord de la Syrie, au prétexte que cette zone était occupée par des forces armées kurdes soutenues par les États-Unis. Cette fois-ci, Erdogan a obtenu le feu vert de son « ami » Trump : en effet, l’intervention militaire arrangeait bien l’impérialisme américain, qui n’envisage absolument pas de reconnaître les droits des Kurdes. Ses anciens alliés kurdes ont dû se retirer vers le sud pour laisser la place à l’armée turque, au prix de centaines de morts et d’exactions commises par les milices alliées de la Turquie, souvent composées d’anciens djihadistes.

Erdogan a bien sûr profité de l’occasion pour faire appel à l’unité nationale, notamment en faisant approuver l’occupation de la zone par les partis d’opposition (y compris le CHP, Parti républicain du peuple, qui se dit social-démocrate) et pour en faire une grande cause nationale. Le sentiment antikurde n’a pas pour autant été vraiment exploité, ni par le pouvoir ni par l’opposition sociale-démocrate, qui recueille une bonne partie du vote kurde et en a besoin.

Manque de chance pour Erdogan, cette euphorie n’aura duré que quelques semaines et tous les problèmes économiques sont revenus à la surface. La dernière tentative de diversion a consisté à invectiver Macron en le disant « en état de mort cérébrale ». Mais plus sérieusement, avec l’occupation militaire de la Syrie, la Russie tente de se faire un allié de la Turquie pour se renforcer au Moyen-Orient, face au camp américain. Mais réciproquement, les États-Unis soutiennent l’économie turque, et donc Erdogan, en ouvrant le porte-monnaie. Trump a promis de faire passer le niveau annuel des échanges de 25 à 100 milliards de dollars. Cela permet, en tout cas momentanément, d’arrêter la chute de la livre turque malgré l’aggravation de la crise. Pour l’instant, Trump souhaite aider Erdogan à se maintenir en place, faute de solution de rechange.

Un climat de dictature

Quant à nous, nous subissons les conséquences de ce climat politique de plus en plus lourd. Le durcissement du régime, la répression, se font sentir à tout moment. Chaque jour il y a une nouvelle vague d’arrestations, frappant d’abord les gülenistes, que le pouvoir continue de traquer. Mais la répression frappe aussi les opposants de gauche, les nationalistes kurdes ou toute personne qui exprime trop ouvertement une opinion anti-Erdogan. Au point que tout le monde peut se sentir menacé d’arrestation.

Je peux donner un exemple concret de cet acharnement de la police : il y a deux semaines une sexagénaire, passant devant un stand de militants AKP à Istanbul, a protesté. Elle leur a dit « Vous nous avez ruinés, ça suffit maintenant ! » Puis elle a continué son chemin. Le soir même, en visite dans sa famille à 20 kilomètres de là, elle a été arrêtée par une quinzaine de policiers, et n’a été relâchée qu’à cause du scandale. Mais n’importe qui peut être suivi, arrêté sur dénonciation, au travail ou dans son quartier, dénoncé par un voisin désireux de se venger, sans la moindre enquête…

Dans ce climat, tous les militants de gauche ou d’extrême gauche se sentent menacés, car il arrive régulièrement que l’un ou l’autre soit arrêté et emprisonné pendant quelques jours, et la peur s’installe. Les collègues de travail ne se parlent pas, gardent leurs distances, et tout le monde se méfie de tout le monde. Internet, les réseaux sociaux et le téléphone sont étroitement surveillés par des policiers dédiés. Même la présidente du CHP (social-démocrate) d’Istanbul est l’objet d’un procès pour avoir, il y a six ans, publié en ligne des textes critiquant l’AKP !

L’Internazionale (Italie)

L’imbroglio politique actuel

La situation italienne du point de vue politique est vraiment difficile à expliquer en peu de temps. Disons que le gouvernement actuel est composé d’une coalition du centre-gauche et du mouvement Cinq Étoiles. Ce dernier était au gouvernement avec la Ligue, le parti de Salvini, jusqu’à l’été dernier, et Salvini a retiré sa confiance à son propre gouvernement, peut-être en pensant le reconstituer avec Cinq Étoiles mais avec une répartition plus favorable des ministères qui aurait reflété le succès de la Ligue à l’élection européenne. Quoi qu’il en soit, après une série de déclarations des chefs du Parti démocrate, le PD, et de Cinq étoiles, ces deux partis ont finalement décidé de former un gouvernement, alors que chacun, la veille encore, avait déclaré son incompatibilité absolue avec l’autre. À ce tableau déjà déconcertant, il faut ajouter que le Premier ministre, Giuseppe Conte, est le même que dans le gouvernement précédent, à tel point que les journaux parlent du gouvernement Conte 1 et du gouvernement Conte 2.

L’une des personnalités politiques qui a le plus insisté pour surmonter l’hostilité qui opposait Cinq étoiles et le PD est Matteo Renzi, jusqu’alors membre du PD. Dès que l’équipe de direction du PD a été convaincue de la voie indiquée par son ancien secrétaire (c’est-à-dire Renzi lui-même), il a quitté le PD pour fonder un nouveau parti, qui fait également partie du gouvernement et s’appelle Italia Viva.

Renzi est actuellement au centre d’une enquête qui implique, entre autres, la Open Foundation, c’est-à-dire une sorte d’association culturelle factice utilisée pour collecter de l’argent pour soutenir sa politique. Parmi les donateurs figurent des armateurs, des banquiers et d’autres patrons.

Il y a aussi le Mouvement des sardines qui se répand dans les villes italiennes. C’est un mouvement de manifestations de rue plus ou moins spontané qui s’oppose à la droite et que, probablement, la propagande de la droite a contribué à susciter en réaction. Il est né à Bologne pour exprimer qu’une partie de la population était hostile au racisme et aux démonstrations répugnantes de Salvini. À la veille des élections régionales en Émilie-Romagne, la région traditionnellement la plus rouge d’Italie, la Ligue, par la bouche de son chef, a annoncé sa volonté de libérer la région. Cet appel de la Ligue, qui fait penser à l’époque des milices fascistes, a entraîné cette réponse des « Sardines ».

Les objets de la controverse politique entre le gouvernement et les partis d’opposition sont en constante évolution. Pour l’instant, il est très à la mode de discuter de la réforme du mécanisme européen de stabilité, dont presque personne ne sait rien en réalité. Le gouvernement précédent, avec son ministre de l’Économie Tria, avait déjà approuvé le projet de réforme de cet organisme au nom de l’Italie. Mais maintenant, la Ligue et les autres partis de droite ont orchestré une cabale contre le gouvernement actuel et contre cette réforme que la même Ligue avait signée ! Même le parti de Salvini organise une collecte de signatures au niveau national pour rouvrir la discussion sur une réforme qui, selon lui, mettrait l’Italie entre les mains des banques allemandes et françaises ! Salvini, avec Giorgia Meloni, dirigeante du parti semi-fasciste Fratelli d’Italia, ont même accusé le chef du gouvernement de... haute trahison !

Concernant ces forces de droite, nous assistons à une réédition du nationalisme politique italien. Je veux dire le nationalisme non seulement comme idéologie, mais aussi comme courant politique plus ou moins structuré. Dans un bel article écrit en 1915, Lénine éclaire ce sujet. Il rapporte les propos d’un des « théoriciens » nationalistes de l’époque, Enrico Corradini : « Tout comme le socialisme était la façon dont le prolétariat voulait échapper à l’emprise des classes bourgeoises, le nationalisme sera pour nous, Italiens, la façon d’échapper à l’emprise des Français, des Allemands, des Anglais, des Américains du Nord et du Sud qui sont nos bourgeois. »

Inutile de dire que la situation est différente, qu’à l’époque une guerre mondiale était en cours, etc. Cependant, reste l’utilisation de références « sociales » dans un discours nationaliste, de sorte que les « maîtres », les patrons des Italiens, sont toujours des étrangers.

Une chose similaire se produit avec la question de l’aciérie de Tarente, qui concerne entre dix mille et vingt mille travailleurs, compte tenu de la sous-traitance. Les négociations entre les syndicats, le gouvernement et les dirigeants d’ArcelorMittal, qui contrôle cette aciérie, s’accompagnent d’appels à la « défense du travail national » contre les multinationales étrangères « qui viennent chez nous et pensent faire ce qu’elles veulent », etc.

La situation sociale

Pour parler de la condition de la classe ouvrière, l’aciérie de Tarente, bien qu’importante par sa taille, n’est qu’une des plus de 160 crises industrielles en cours. Dans chaque cas, on assiste à des luttes plus ou moins déterminées de travailleurs dont l’emploi est menacé, mais ce qui manque presque toujours est un mouvement général de riposte avec une confiance en leur force en tant que classe. Très souvent, le drame d’une usine menacée de fermeture est utilisé par les patrons pour faire du chantage aux institutions locales ou nationales afin d’obtenir de nouveaux financements. Mais parfois, ce sont les institutions qui sont les premières à offrir des facilités et des incitations. Cela s’est produit il y a quelques jours dans la province de Pise, face à la menace d’une lourde restructuration des deux usines Vitesco, qui font partie du groupe Continental.

Ces usines produisent des injecteurs pour moteurs à essence et comportent également un important centre de recherches. Selon la direction de l’entreprise, la nouvelle orientation de la production vers les moteurs électriques exige des réductions d’effectifs. Cela concerne plus des trois quarts des quelque 900 salariés. Le président de la Région toscane a offert un soutien économique pour la « reconversion des travailleurs », c’est-à-dire qu’il a offert son aide sur fonds publics à un géant multinational qui ne manque certainement pas de ressources, pour former son personnel, pour autant que ce soit vraiment le problème.

Dans notre propagande, nous insistons sur cette idée, que même si chaque crise d’entreprise a sa propre histoire spécifique, il s’agit finalement de défendre les salaires et les emplois, c’est-à-dire les conditions minimales d’existence de la classe ouvrière. Il y a donc un terrain commun qui doit mener à des revendications communes, telles que l’interdiction des licenciements, le partage du travail entre tous pour le même salaire et le salaire garanti dans tous les cas. Du fait de la très petite taille de notre groupe, nous ne pouvons nous adresser qu’à un très petit nombre de travailleurs, mais nous voyons que ces questions et cette logique sont comprises au moins par ceux qui assistent à nos réunions et lisent notre journal.

Un autre aspect qui caractérise la situation actuelle des travailleurs en Italie est le nombre extraordinaire de types de conventions collectives. Autrefois elles étaient beaucoup moins nombreuses et épousaient fidèlement les branches d’industrie. Aujourd’hui, il y a une véritable jungle contractuelle qui sert à diviser et à mieux exploiter les travailleurs. Rien que dans le secteur des services il est possible de se référer à environ soixante-dix conventions différentes. Un mécanisme assez répandu, pratiqué aussi par de nombreuses administrations publiques, est le suivant : une société de services est constituée, qui peut être une coopérative ; elle obtient le contrat pour un service public et en sous-traite une partie à une autre société. Cette dernière appliquera à ses employés, pour la plupart immigrés, une convention collective plus défavorable que celle de l’entreprise qui détient le contrat. Cette combine peut être multipliée indéfiniment et concerne non seulement les services publics mais aussi, par exemple, le travail de transport et de manutention de marchandises dans les entrepôts des grandes compagnies du secteur de la logistique.

Heureusement, ces dernières années, bon nombre de ces travailleurs se sont rebellés contre cette situation et ont souvent obtenu au moins un meilleur traitement salarial. Presque toujours, ce sont les petits syndicats de base qui organisent ces luttes, ce qui entraîne des problèmes de sectarisme et de division, indépendamment du mérite incontestable de leurs militants.

Dans un livre publié il y a quelques semaines, le sociologue Luca Ricolfi décrit l’Italie comme une « société aristocratique de masse ». Le texte contient beaucoup de données intéressantes et beaucoup d’absurdités, à la manière de la sociologie bourgeoise. Mais Ricolfi a le mérite de rappeler l’importance de la partie du prolétariat qu’il définit comme « l’infrastructure proche de l’esclavage » et qu’il évalue « prudemment » à environ 2 700 000 êtres humains, pour la plupart des immigrés. Ces « presque esclaves » sont définis comme tels parce qu’ils travaillent généralement pour des salaires très bas et ne bénéficient d’aucune protection juridique.

Bien sûr, ces phénomènes sociaux ne sont pas propres à l’Italie : c’est le capitalisme d’aujourd’hui. Mais Lénine, dans l’article cité plus haut, parlait à propos de l’Italie d’une « bourgeoisie brutale, crasseuse, réactionnaire, d’une façon révoltante ».

 

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