Combativité des masses et direction révolutionnaire10/12/20222022Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2022/12/228.jpg.484x700_q85_box-0%2C0%2C1383%2C2000_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Combativité des masses et direction révolutionnaire

Face à une crise du système capitaliste qui se prolonge et s’approfondit, les réactions venant des travailleurs et des classes populaires n’ont pas manqué ces dernières années dans le monde, prenant même parfois la forme de véritables explosions sociales.

Sans remonter plus loin dans le temps, rappelons les mouvements dits du printemps arabe, en 2010-2011. Nés sur la base d’un profond mécontentement social, ils ont débouché sur la chute de Ben Ali en Tunisie et celle de Moubarak en Égypte, avec l’espoir que ce changement politique se traduise par des progrès dans les conditions de vie. On sait combien ces espoirs ont été déçus, puisqu’en quelques années on a assisté au retour d’une dictature encore plus dure en Égypte et à une évolution du régime tunisien qui va dans le même sens, tandis que la situation des masses populaires s’aggravait encore. Mais c’est toute la région qui a été touchée par la contagion puisque des mouvements se sont produits en Libye, en Syrie, au Yémen et même dans les Émirats, entraînant des interventions militaires et des guerres.

En 2019, l’Algérie a connu le mouvement dit du « Hirak », ponctué pendant plusieurs mois des manifestations populaires hebdomadaires massives. Sur la base là aussi d’un profond mécontentement social, l’objectif politique « régime, dégage » a fait l’unanimité pendant des mois avant que le pouvoir ne réussisse à reprendre le dessus. Si le mouvement a finalement reflué, les revendications sociales continuent pourtant de s’exprimer.

Un autre mouvement est celui qui a secoué le Soudan, notamment depuis 2019, et qui est loin d’être éteint. Parti fin 2018 d’une protestation contre l’augmentation des prix du pain, il a obtenu la chute de la dictature d’Omar el-Bechir, qui était appuyée par l’armée et par un parti islamiste. La répression sanglante du 3 juin 2019, menée par l’armée, n’a pas réussi à briser le mouvement de masse, puisque les manifestations ont continué malgré la répression, autour des revendications démocratiques formulées par une direction petite-bourgeoise, représentée par l’Association des Professionnels soudanais.

Dans la même région du monde, le Liban et l’Irak ont connu d’importantes mobilisations populaires, notamment depuis l’année 2019. Les Arabes palestiniens des territoires occupés par Israël et ceux d’Israël même continuent de manifester fréquemment contre le régime qu’on leur impose. Mais il faut surtout citer l’Iran, où les flambées de révolte se sont succédé, en 2017-2018 et en 2019, accompagnées de nombreux épisodes de luttes ouvrières. Et le pays est en cet automne 2022 le lieu d’une vaste explosion de colère suite à l’assassinat d’une jeune fille par la police religieuse qui lui reprochait de mal porter son voile. Au-delà du problème de la situation des femmes, auxquelles cette police veut imposer son ordre moral sans hésiter à recourir à la violence, c’est la dictature de la république islamique elle-même qui est mise en cause.

Les réactions des masses ne se sont pas limitées au Moyen-Orient. Le Sri-Lanka a été le théâtre, ce printemps et cet été, d’une révolte généralisée, l’Inde d’une grande mobilisation paysanne contre la politique du gouvernement Modi. Le Chili a vu en 2019 une véritable explosion sociale, partie d’une protestation contre l’augmentation des prix du transport. En Birmanie, le coup d’État de février 2021 a entraîné une réaction massive, impliquant en particulier la classe ouvrière.

Au Kazakhstan, l’année 2022 a débuté par une explosion sociale contre les hausses des prix de l’énergie dont comme il y a dix ans, les ouvriers du pétrole et du gaz ont été le fer de lance. Le mouvement a gagné tous les centres industriels et urbains, en entraînant de larges couches populaires dans la contestation de la dictature. Le mouvement, largement spontané, est resté sans autre direction que quelques politiciens se voulant démocrates et des syndicalistes réformistes plus ou moins radicaux. Même à son apogée, quand le pouvoir ne tenait plus les grandes villes, aucune force ne s’est manifestée qui aurait pu ouvrir à une classe ouvrière nombreuse, combative et concentrée, la perspective de renverser le régime et d’établir son propre pouvoir. Elle s’est retrouvée désarmée, encore plus politiquement que matériellement, quand Poutine a envoyé ses troupes mater le mouvement, afin de préserver les intérêts de la bureaucratie locale et de la bureaucratie russe, ainsi que ceux des grands groupes pétroliers et miniers occidentaux présents dans ce pays.

Ce qui s’est passé au Kazakhstan a répété ce qui s’est produit en 2020 en Biélorussie. Une classe ouvrière numériquement et économiquement puissante, mais sans direction politique révolutionnaire, y a été l’initiatrice et le noyau d’un vaste et long mouvement de contestation du régime éveillant des échos parmi les travailleurs des pays voisins mais qui, du fait de la répression et faute de perspectives, a fini par s’éteindre.

Ce n’est donc pas la combativité des masses qui fait défaut. D’un pays à l’autre, d’une situation à l’autre, face à des conditions qui souvent deviennent intenables, celles-ci réagissent avec les moyens qu’elles trouvent, qui vont des luttes syndicales et des grèves aux manifestations et aux affrontements avec les forces de répression. Cependant, malgré cette combativité, les objectifs mis en avant au cours de ces luttes ne vont jamais au-delà de revendications démocratiques et sociales qui ne remettent en cause ni le système capitaliste, ni l’ordre impérialiste.

Les directions qui sont apparues à la tête de ces mouvements ont pu être très différentes. Au Soudan, on peut y trouver un parti islamiste, cohabitant avec un parti communiste de tradition stalinienne qui a abandonné toute perspective de politique indépendante de la classe ouvrière. À Haïti, on peut même voir des chefs des gangs armés chercher à prendre la tête de la contestation du pouvoir politique. En tout cas il ne s’est agi nulle part de directions révolutionnaires mais bien de directions petites-bourgeoises, réformistes ou/et nationalistes quand ce n’était pas religieuses, s’arrêtant au seuil de la propriété privée. Aucune n’envisageait de sortir du cadre du système bourgeois, ni du cadre des États nationaux existants et de la division du monde imposée par l’impérialisme. C’est ce qui marque la limite de ces mouvements et ce qui explique que le plus souvent ils se trouvent rapidement dans l’impasse : le capitalisme décadent ne peut accepter ni de concéder de véritables avancées sociales, ni même d’assouplir un système de domination pour qui le maintien de dictatures ou de gouvernements autoritaires est essentiel.

Alors, ce qui fait défaut est un parti révolutionnaire mondial, prolétarien et communiste, la direction révolutionnaire du prolétariat que les bolcheviks avaient voulu fonder en créant l’Internationale communiste. Quelle que soit la combativité manifestée par les masses, cette direction ne peut surgir spontanément au cours de leurs luttes. En finir avec le système impérialiste qui est le mode de domination du capital financier exige d’abattre la bourgeoisie, avec les États qui la servent et les frontières artificielles qu’ils maintiennent entre les peuples. Cela exige d’avoir une politique dans cette direction et cela ne peut être l’œuvre que du prolétariat international, si celui-ci s’arme d’un programme intégrant les leçons de toutes ses expériences passées.

Souligner cela, c’est affirmer la nécessité de construire et d’implanter dans la classe ouvrière des partis révolutionnaires basés sur le programme trotskyste, et une Internationale qui soit vraiment le parti mondial de la révolution.

13 octobre 2022

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