Zénith - Intervention de Claire Rocher, infirmière au CHU de Dijon22/05/20122012Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2012/05/144.png.484x700_q85_box-7%2C0%2C592%2C846_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Zénith - Intervention de Claire Rocher, infirmière au CHU de Dijon

Intervention lors du meeting National du Zenith le 15 avril 2012

 

Il est de notoriété publique aujourd'hui que l'ensemble du système de santé en France est malade.

En 2011, près d'un tiers de la population a renoncé à se soigner. Seule la Pologne ferait pire en Europe !

Bien des soins courants ne sont plus pris en charge par la Sécurité sociale, et la liste de ce que les malades doivent payer ne cesse de s'allonger : déremboursement des médicaments, franchises médicales, dépassements d'honoraires, augmentation du forfait hospitalier.

Pour les plus pauvres, il reste alors les hôpitaux. Mais les hôpitaux eux aussi sont malades. Alors que les besoins de santé de la population augmentent, que la précarité augmente, l'État leur mène une véritable guerre.

Ils subissent des restrictions budgétaires catastrophiques, des restrictions de personnel massives, et doivent en plus se mettre à courir après le client avec la tarification à l'acte. L'acte médical est à présent hiérarchisé, entre celui qui rapporte beaucoup pour peu d'intervention humaine, et celui qui coûte beaucoup d'efforts et ne rapporte rien.

Ainsi, l'immense navire hospitalier, 1,2 million de salariés, près de 3 000 établissements qui accueillent près de treize millions de malades par an, est un navire en danger, pas loin de sombrer pour certains, tant le secteur est asphyxié et désorganisé.

Cet énorme poids lourd de l'économie du pays, qui avait jusqu'alors plutôt la réputation d'être efficace, est devenu aujourd'hui un lieu qui mécontente tout le monde : les malades, bien sûr, tout le personnel hospitalier, et même les grands pontes de la médecine.

Mais il faut dire, à sa décharge, qu'il est devenu depuis 30 ans la cible d'attaques systématiques des gouvernements.

En effet, dans les années quatre-vingt, le contexte de la crise aidant, l'État a commencé à chercher des solutions pour venir en aide à la classe capitaliste en difficulté. Et les hôpitaux, comme d'autres services publics tels que La Poste, EDF, ou la SNCF, sont devenus l'objet de toutes les convoitises.

Difficile d'imaginer un secteur aussi gigantesque vivre, et même prospérer, en dehors des circuits classiques de la finance, affamée d'argent frais.

Un secteur alimenté en grande partie par la Sécurité sociale, elle-même financée par les cotisations des salariés.

Un secteur né dans la période de reconstruction d'après-guerre et qui avait fini par constituer un maillage de santé sur tout le territoire.

À partir de 1979 avec la loi Barrot, une loi contre les hôpitaux voit le jour tous les 18 mois... sauf les années électorales.

Ce train de lois n'a visé en fin de compte qu'à faire main basse sur ce formidable trésor de guerre.

La technique de pénétration a été de s'emparer en premier lieu de la dette hospitalière. Les dépenses sont passées sous contrôle de l'État. Plus tard, Juppé a substitué au budget global des hôpitaux des contrats régionaux, où les objectifs de rentabilité sont fixés à l'avance.

Puis le fameux trou de la Sécurité sociale a été invoqué ! Trou qui, au demeurant, n'a jamais été dû aux seules dépenses de santé, mais au fait que l'État a largement puisé dedans. Et en particulier parce que l'État s'est entièrement déchargé sur la Sécurité sociale du coût de la construction des hôpitaux.

En 2003, l'administration hospitalière reçoit le droit d'assouplir la loi des 35 heures et d'allonger le temps de travail des personnels. C'est ce qui va permettre de faire travailler plus le personnel sans avoir à embaucher.

Enfin, dans le cadre du plan Hôpital 2007, l'accent est mis sur la modernisation du parc hospitalier.

Ce qui va se traduire par l'ouverture de plusieurs centaines de chantiers pharaoniques, ouvrant ainsi le grand marché des hôpitaux à une multitude d'entreprises privées, pharmaceutiques, de matériel médical, entreprises du bâtiment ou d'équipements électroniques.

La dette hospitalière a ainsi été multipliée par cinq et les hôpitaux sont contraints aujourd'hui de faire du chiffre pour la rembourser.

La loi Bachelot, dite Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), vient de donner un cadre précis à ce courant de mesures, en renforçant une fois encore la mainmise étatique.

L'AP-HP - les Hôpitaux de Paris - avait, jusqu'ici, quatre niveaux de décisions : le service, au-dessus l'hôpital, au-dessus le siège des Hôpitaux de Paris, et tout en haut le ministère.

Aujourd'hui il y a toujours le service - évidemment, difficile de se passer de lui, c'est toujours là que les gens sont soignés - mais, au-dessus, le pôle qui regroupe plusieurs services ; plus haut l'hôpital, puis le groupe hospitalier ; puis au-dessus le siège de l'AP-HP ; puis au-dessus encore l'Agence régionale de santé (ARS) ; et enfin seulement le ministère. Soit six ou même sept niveaux différents, ce qui suppose autant de directeurs, de directeurs adjoints, de conseillers. Et autant de gens préoccupés de démontrer leur utilité. Les médecins eux-mêmes sont de plus en plus poussés vers des préoccupations de gestionnaires financiers.

Et c'est tout l'ensemble du système hospitalier qui est désorganisé ainsi.

En fait les résultats en sont déjà largement visibles.

L'AP-HP, qui gère les hôpitaux en région parisienne, compte 37 hôpitaux et près de 100 000 employés. Mais cette institution, la plus importante d'Europe, refuse ou retarde leurs soins à des milliers de patients par jour, faute de moyens humains pour les assurer. Mais qu'à cela ne tienne, l'AP-HP a une nouvelle équipe de managers, avec à sa tête une cadre venue de la SNCF qui se vante : « Ne pas connaître le secteur et le découvrir me donne une grande liberté, qui ne me fait pas perdre de temps, au contraire. » Tout ce temps qu'elle a gagné lui a d'ailleurs permis de trouver un slogan d'enfer pour l'AP : « Faire préférer l'AP-HP », directement pompé sur le slogan de la SNCF « A nous de vous faire préférer le train ». Comme dit un de ses détracteurs, « et si elle travaillait chez Bonduelle, elle nous aurait sans doute fait préférer les petits pois » !

Tous les hôpitaux sont dans la tourmente. Celui de Dijon, où je travaille, est en pleine faillite financière après avoir construit un super-hôpital.

Mais rien n'est à la mesure de ce qu'est en train de subir la plus grosse structure du pays, les hôpitaux parisiens. Les regroupements et les restructurations, multiples et continues, contribuent à détruire systématiquement tout ce qui existait et fonctionnait. C'est aujourd'hui un véritable jeu de massacre qu'il serait impossible de décrire ici, tant la liste est longue. Les hôpitaux parisiens, les hôpitaux de la petite ceinture comme ceux de la grande ceinture : « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient atteints ».

Fini, le service public. Finie l'idée d'une médecine gratuite : l'hôpital est une « entreprise », les médecins des « producteurs de soins », les malades des « clients ». Quant aux cliniques privées, la plupart appartenant à des grands groupes d'assurance ou des fonds de pensions, elles font des profits juteux, en sélectionnant leurs patients rentables.

Aux hôpitaux publics, les sans-domicile, les sans-papiers, les CMU, et au-delà, les pauvres. Et même les moins pauvres, qui ne se soignent plus.

Ainsi, ces mastodontes hospitaliers ont été contraints de rentrer de force dans le marché capitaliste, avec ses lois de concurrence et de rentabilité. Ce « trop d'argent hors circuit financier » est rentré enfin dans le circuit classique et il est devenu l'objet de spéculations et contrôlé par des agences de notation. La dette hospitalière est enfin rentable, aux hôpitaux, et au personnel de s'arracher les cheveux pour la rembourser !

Pour parvenir à ce résultat, il a fallu briser tout ce qui opposait une résistance naturelle : le sentiment reposant sur une notion fondamentale d'égalité des hommes face à la maladie ou à la mort, et le droit à la santé pour tous.

Au fil du temps, l'idée que la santé coûte trop cher à la collectivité, et que ceux qui ne peuvent pas payer ne devraient pas en bénéficier, est devenue le leitmotiv unique de toute l'administration hospitalière qui, telle des moines derviches, psalmodie à l'infini leur antienne : « On ne peut tout de même pas s'occuper de toute la misère du monde ».

Mais en même temps que le mot rentabilité devenait le maître mot, tout ce qui pouvait détruire l'ancienne conscience professionnelle, voire le dévouement personnel, a été systématiquement utilisé.

Depuis des années le personnel subit des attaques qui se veulent « modernes et intelligentes », mais qui ne sont en réalité que de grossières ficelles pour les faire travailler plus à la chaîne. Négligeant tout ce qui n'est pas rentable, mais entretenant en fait une gabegie permanente.

Et si cela ne suffit pas, l'arrogance mercantile de l'administration est là pour dégoûter et pousser le personnel, s'il le faut, à la démission. Les nouveaux arrivants, sans l'exemple des anciens, moins formés, dressés dans le nouvel esprit, deviennent alors plus malléables.

Mais peut-être que le pire de tout est de se rendre compte que ce qui se passe dans votre hôpital, là où vous travaillez depuis dix ans, ce qui est mon cas - les 50 à 60 heures de travail par semaine, le manque de lits, l'entassement des malades, l'impossibilité de les traiter à temps, la chirurgie ambulatoire forcée, les patients souvent vieux abandonnés dans les couloirs - tout ce qui nous révolte depuis toujours et qui révoltait nos collègues les plus anciennes, le pire est de se rendre compte que c'est exactement la même situation partout, dans tous les hôpitaux de France, en particulier les structures les plus grosses.

La loi d'airain des financiers a sévi partout, nous sommes tous submergés par les mêmes problèmes, entre l'abandon des malades et des soins, et le mercantilisme agressif de toutes ces entreprises qui viennent au chevet de l'hôpital.

Bien sûr, le personnel réagit, se défend, souvent isolé dans son propre service, et n'imaginant pas que l'administration puisse être à ce point-là, son ennemi.

Aussi nos réactions deviennent un combat inégal : là où nous pensons que c'est de la pure incompétence de l'administration, c'est en fait une vraie volonté de nous briser. Et tous ceux qui appliquent cette politique sont eux-mêmes parfois de bonne foi, sans même mesurer qu'ils détruisent quelque chose qui marchait, pour mettre à la place quelque chose dont personne ne sait s'il fonctionnera finalement.

Le pire, c'est cette énergie que tout le personnel hospitalier dépense en vain pour sauver l'hôpital, sauver la dignité des malades, sauver ce qu'ils croient légitime d'être sauvé.

Eh bien oui, c'est révoltant, tant d'efforts chacun dans son coin, tant de déceptions et d'amertume : assister à la destruction de tout un capital de compétences, reposant au-delà de tout sur le dévouement de chacun, voir détruire finalement toute une culture - de l'agent hospitalier au médecin - qui ont été les garants d'un système de santé qui a longtemps été considéré comme un des meilleurs du monde, le voir détruit pour que le monde des financiers s'en empare afin d'en récupérer les meilleurs bouts et abandonner le reste, oui c'est révoltant.

Mais nous sommes des centaines de milliers à penser la même chose, des centaines de milliers d'hommes et de femmes indignés devant cette décomposition du système de santé pour des raisons de profits financiers.

C'est un véritable crime !

 

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