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Article du mensuel
La situation internationale
Texte de la majorité
Cette année encore a été une année de conflits, de guerres, de massacres pour des raisons politiques ou ethniques. Les zones de conflits n'ont pas diminué en nombre depuis la disparition du bloc soviétique. Dans certaines de ces zones, comme le Moyen-Orient, se perpétuent des situations qui ne cessent d'être ouvertement conflictuelles depuis longtemps. Dans d'autres, comme au Timor oriental, où c'est dans l'année que les événements ont pris un tour particulièrement dramatique, il s'agit de l'explosion de bombes à retardement, placées il y a bien longtemps. Dans d'autres encore, comme dans certains pays d'Afrique, se mettent en place tous les éléments d'affrontements futurs.
Au temps des blocs, la bureaucratie soviétique avait ses propres zones de conflits. Mais celles du monde impérialiste, bien plus nombreuses, ne devaient rien, pour la plupart, à l'existence de l'URSS, même si celle-ci a transformé certains conflits locaux en enjeux dans l'affrontement entre superpuissances. La domination de l'impérialisme sur la planète a toujours engendré des guerres, même pendant les périodes dites de paix qui ont précédé ou suivi les deux conflagrations mondiales.
La responsabilité de l'impérialisme est directe dans une grande majorité de guerres locales, soit du fait des interventions militaires de puissances impérialistes elles-mêmes, en association ou en rivalité ; soit parce que jouer les peuples les uns contre les autres est une des formes de compétition entre puissances et une des principales formes de domination pour chacune d'elles.
La responsabilité de l'impérialisme est plus générale encore car c'est ce système qui maintient la majeure partie de la planète dans la misère et empêche l'humanité d'être en situation de régler démocratiquement et pacifiquement les différends éventuels entre peuples.
La guerre qui a le plus marqué en Europe, car elle s'y est déroulée, est évidemment la guerre aérienne des grandes puissances impérialistes contre la Serbie. Nous avons dénoncé cette guerre, tout en dénonçant la politique de génocide et de terreur utilisée pour déplacer la population albanaise, baptisée "nettoyage ethnique", pratiquée par Milosevic, son armée et les bandes armées de l'extrême droite serbe.
Nous nous sommes démarqués de ceux qui ont présenté cette guerre comme une "guerre américaine" ou encore, ce qui est une autre façon de dire la même chose, comme l'expression de l'impuissance de l'Europe à régler elle-même les conflits surgis sur le continent. Les relations hiérarchiques entre les puissances impérialistes participant à la coalition militaire ont reflété les rapports de forces, mais elles n'ont pas signifié pour autant des degrés différents de responsabilité.
Le but commun des grandes puissances était de montrer que c'était à elles, et pas à Milosevic, qu'il appartenait de définir l'ordre à faire respecter dans la région. Pour chacune des puissances, sa présence militaire, quelle qu'en ait été l'importance, prolongeait et garantissait sa présence politique et économique dans les Balkans.
L'ordre impérialiste, imposé aux Balkans une fois de plus de l'extérieur et par la force des armes cette fois avec des arguments humanitaires , est pourtant la raison fondamentale de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les Balkans. Les peuples de cette région n'ont jamais été maîtres de leur destin. Depuis les débuts de l'impérialisme, les traités qui ont fait et défait les frontières leur ont toujours été imposés de l'extérieur, en fonction des rapports de forces entre puissances occidentales rivales. Les conséquences de ce passé, fait d'interventions militaires, successives ou simultanées, de toutes les grandes puissances, en tout cas européennes, qui se sont illustrées dans les bombardements de cette année, se prolongent encore aujourd'hui. Les destructions et les pillages des temps de guerre, qui ont accompagné les guerres balkaniques de 1912 et 1913, puis les passages successifs des armées austro-hongroises, turques, allemandes, françaises et anglaises pendant la Première Guerre mondiale, enfin les interventions allemandes et italiennes avant et pendant la Seconde Guerre mondiale constituent une des causes majeures de l'incapacité de cette région de l'Europe à sortir de la pauvreté. Comme en constitue une autre, le "pillage ordinaire", plus discret, des temps de paix, l'exploitation par l'Occident impérialiste des richesses minières comme des hommes. Or la pauvreté est le terreau sur lequel poussent l'oppression et la violence.
Mais la responsabilité des puissances impérialistes ne concerne pas seulement le passé. Les grandes puissances ont encouragé ceux qui ont poussé à l'éclatement de cette Yougoslavie, qui n'était certainement pas un modèle sous Tito mais où, au moins, les peuples coexistaient, se mélangeaient et où on pouvait ignorer son "ethnie" pour être simplement yougoslave. Elles ont contribué à imposer comme frontières d'État des limites administratives qui ont coupé les peuples et, ce faisant, ont contribué à créer une situation où pratiquement chacun des peuples se voyait transformé en minorité opprimée dans l'un ou l'autre des États. Il ne restait plus aux démagogues nationalistes et aux bandes armées ultras qu'à exacerber les nationalismes, à creuser un fossé de sang et de haine. En jouant les cliques nationalistes les unes contre les autres et, par là-même, en encourageant leur existence, les grandes puissances n'ont pas cessé de jeter de l'huile sur le feu.
Bien que l'intervention militaire ait eu un caractère et une durée limités, une véritable "union sacrée" s'est constituée en Occident dans les milieux politiques, dans les médias, parmi ceux qui fabriquent "l'opinion publique", pour imposer une image purement humanitaire de l'intervention, en gommant son caractère impérialiste et, à plus forte raison, les responsabilités des puissances qui intervenaient.
Il faut noter à cet égard l'attitude des têtes pensantes de l'intelligentsia, qui se sont partagées entre une majorité pour justifier le bombardement de la Serbie et du Kosovo et une minorité opposée aux bombardements mais justifiant Milosevic et sa politique. Il faut également noter que le pacifisme des Verts ne vaut qu'en temps de paix.
La majorité de la population des puissances occidentales participant aux bombardements a été désorientée par l'absence de perspective alternative, exprimée par le tant entendu "mais que peut-on faire pour arrêter les tueries ethniques ?". Sans jamais devenir "va-t-en guerre", elle a subi le chantage : ne pas bombarder, c'est laisser les mains libres à Milosevic et accepter "l'épuration ethnique". Les bombardements ont pourtant conforté le pouvoir de Milosevic et contribué à déchaîner l'activisme meurtrier de l'extrême droite serbe contre la population albanaise du Kosovo (et l'inverse, par la suite).
Tout en soutenant le droit des peuples du Kosovo à disposer d'eux-mêmes y compris jusqu'à choisir l'indépendance par rapport à l'État serbe, nous n'avons pas été solidaires de l'UCK, principale organisation militant pour l'indépendance du Kosovo. Cette organisation était moins l'expression de la volonté de combattre de la population albanaise du Kosovo que la force supplétive de l'intervention de l'OTAN et le véhicule dans la population d'une politique de nettoyage ethnique à rebours par rapport à celle des bandes armées de Milosevic. Associée aujourd'hui au pouvoir, elle met en pratique, quand elle le peut, cette politique, sans parler de ses activités ouvertement mafieuses.
En obtenant le recul de Milosevic, les puissances impérialistes se sortent de la guerre à bon compte. Elles peuvent mettre à leur actif la fin de l'oppression et de l'exode des Albanais du Kosovo. Ce sont cependant les Serbes et les Tsiganes qui sont aujourd'hui poussés au départ. Les bombardements ne pouvaient évidemment pas combler le fossé des oppositions ethniques. En fait, ils l'ont aggravé, poussant un peu plus encore chaque peuple à rendre l'autre responsable non seulement des crimes de ses ultra-nationalistes, mais aussi des bombes occidentales qui ont fait des victimes des deux côtés.
Le statut de protectorat international, le partage du territoire kosovar entre plusieurs troupes d'occupation s'ajoutent à l'officialisation du morcellement de la Bosnie par les accords de Dayton, morcellement également protégé par des troupes d'interposition étrangères. Les interventions diplomatiques et militaires successives de l'impérialisme ont contribué à rendre la situation de l'ex-Yougoslavie de plus en plus inextricable, sans résoudre aucun des problèmes de la région. A commencer par celui de la pauvreté, car si la reconstruction du Kosovo et peut-être, demain, de la Serbie motivera le déblocage de quelques crédits occidentaux qu'empocheront les Bouygues de différentes provenances, l'économie de la région est rejetée encore plus en arrière.
Et si les peuples du Kosovo, d'un côté, et ceux de la Serbie et du Monténégro, de l'autre, sortent exsangues de la guerre sans parler de ceux de l'Albanie et de la Macédoine qui ont également souffert des conséquences , Milosevic est toujours au pouvoir. Faute d'un rival un peu plus présentable et, surtout, capable de l'évincer, il est tout à fait possible que les puissances impérialistes finissent par traiter avec lui pour consolider les nouvelles frontières issues de la guerre et pour rétablir les relations commerciales avec la Serbie.
Le rôle diplomatique de la Russie vis-à-vis de la Serbie, un des rares actes de grande puissance dont l'ex-super grand a été encore capable au cours des dernières années, ne peut cependant pas cacher la continuation de l'érosion du pouvoir central en ex-URSS. L'échéance des élections de 2000 qui, en principe, ne permet à Eltsine ni de se maintenir ni de se représenter, avive les luttes entre les différents clans des sommets de la bureaucratie. Depuis le début de l'année, la Russie en est à son troisième premier ministre. Ce n'est évidemment pas l'avenir personnel d'Eltsine qui est en cause, mais celui du clan qui l'entoure et qui essaie par tous les moyens d'assurer la survie de ses positions. Car, pour les "nouveaux riches" de la Russie, comme pour la bureaucratie de l'ex-URSS dont ils sont en général issus, c'est la position dans l'appareil d'État qui est le plus sûr accès aux possibilités de bâtir des fortunes par la prévarication, l'escroquerie, le pillage des caisses étatiques et des entreprises. La bataille entre oligarques a pour enjeu le contrôle des banques, des groupes industriels et, bien sûr, de la presse et de la télévision, moyen de contrôler l'opinion publique : "démocratie" oblige, les positions de pouvoir doivent désormais être consacrées par des élections.
Pendant les luttes de clans, le pillage continue. L'essentiel de l'argent détourné en Russie continue à prendre le chemin des banques occidentales. Des experts bancaires suisses estiment à 100 milliards de dollars la somme totale accumulée au fil des ans dans les banques occidentales en provenance des pays issus de la dislocation de l'ex-Union soviétique et à 12 milliards de dollars l'accroissement annuel de cette somme.
A titre de comparaison, les investissements étrangers dans le secteur productif ont été de 2,2 milliards en 1998 (en chute de 65 % par rapport à l'année précédente). Ce qui signifie que le montant des sommes qui ont quitté la Russie pour être placées dans le système financier occidental a été six fois plus important que ce qui y est entré sous forme d'investissement.
Comme les capitalistes d'Occident, les bureaucrates pilleurs n'ont toujours pas assez confiance dans l'établissement et la consolidation d'un capitalisme russe pour risquer leur argent en investissant en Russie. Couche parasitaire depuis toujours, la bureaucratie se recase tout naturellement en plaçant dans le système financier international l'argent détourné.
Les banquiers occidentaux eux-mêmes expriment, par la voix de leurs experts, leur incapacité à faire la part entre ce qui, dans les sommes déposées chez eux, provient des opérations commerciales dites normales et ce qui vient des détournements illégaux, voire des activités mafieuses.
La domination économique et sociale de la bureaucratie prend un caractère de plus en plus mafieux.
Les conséquences ajoutées de l'effondrement de l'ancien système de production et du pillage bureaucratique sont catastrophiques pour l'économie russe. Une récente étude d'un cabinet de conseil américain estime que le produit intérieur brut par habitant s'est effondré de 40 %, rien que depuis 1992. Pourtant, conséquence inattendue de l'effondrement du rouble, il y a eu cette année une reprise de la production dans certains secteurs comme l'agro-alimentaire ou l'industrie légère. En effet, cet effondrement du rouble lui-même, une des phases de la "crise asiatique" de l'année dernière qui a balayé cette "couche moyenne" en train d'émerger, sur laquelle comptaient les entreprises occidentales exportant vers la Russie, a réduit les importations en provenance de l'Occident. Il a bien fallu que les entreprises locales prennent la relève. Au lieu d'une nouvelle baisse de la production intérieure annoncée pour 1999, on prédit sa stabilisation, ce qui passe pour un succès.
Les observateurs occidentaux de l'économie russe parlent de moins en moins "d'économie de marché", même "en devenir", pour souligner au contraire la démonétarisation de l'économie russe. Un indicateur parmi d'autres : selon les statistiques officielles, la part de troc dans les échanges inter-entreprises ne cesse de croître, passée de 47 % en 1997 à 52 % en 1998.
Le rapport des experts américains cité ci-dessus, analysant les raisons pour lesquelles l'introduction du capitalisme s'englue en Russie, souligne également la connivence et les liens de corruption entre les pouvoirs locaux et les chefs d'entreprise et leur volonté commune de "maintenir une relative paix sociale en subventionnant d'une façon ou d'une autre l'emploi dans des industries agonisantes" (rapport cité par Le Monde).
Cette attitude prudente des bureaucraties locales n'empêche cependant pas la progression du chômage qui frappe officiellement 12,5 % de la population active. C'est un chiffre du même ordre qu'en France mais dans un pays où, il y a quelques années, il n'existait pas du tout.
L'abaissement du niveau de vie de l'immense majorité de la population est catastrophique. Le salaire réel de qui a un emploi et il faut souvent en avoir plusieurs pour espérer toucher au moins un salaire sans retard a perdu 15 % en un an du seul fait de l'effondrement du rouble. L'État recense 40 millions de personnes sur les 148 millions de la population russe comme vivant sous le seuil de pauvreté : 80 % des retraités et 40 % des enfants sont dans ce cas.
Pendant que les membres de la haute bureaucratie, les "nouveaux riches" et des chefs notoires de la mafia russe pour autant que ces différentes catégories soient distinctes se partagent les faveurs des hôtels et des commerces de luxe de la Côte d'Azur, une fraction croissante de la population sombre dans la misère.
Les dirigeants de la bureaucratie russe, non contents d'une campagne xénophobe contre les Tchétchènes, voire contre tous les Caucasiens désignés comme boucs-émissaires à la population, ont repris la guerre en Tchétchénie. Une guerre abjecte où, sous prétexte de s'en prendre à la montée de l'intégrisme et de la criminalité, l'armée russe s'attaque à la population civile. Les raisons de la reprise de la guerre rappelons que l'armée russe a subi un échec dans la région lors d'une première guerre menée entre 1994 et 1996 tiennent sans doute à la proximité des élections, le clan au pouvoir voulant démontrer son autorité au détriment de la population civile de la Tchétchénie. Les scandales qui ont émaillé la guerre précédente ont en outre montré que les détournements au détriment des troupes engagées dans la guerre constituent une source de revenu appréciée par les dignitaires de l'armée.
Cette guerre ne rencontre d'ailleurs qu'une très discrète désapprobation de la part des grandes puissances occidentales. Il est vrai que le bombardement systématique des villes et des villages et de leurs populations civiles, ça les connaît !
Quant aux républiques ex-soviétiques autres que la Russie, l'effondrement du rouble de l'été 1998 a rappelé à quel point leurs économies étaient interdépendantes. Avec l'effondrement du rouble, les monnaies de toutes ces républiques se sont également effondrées, avec des conséquences sociales et économiques d'autant plus dramatiques que l'économie de la plupart de ces États est moins développée que celle de la Russie. Cette situation a été aggravée par les choix faits après l'effondrement de l'Union soviétique par les bureaucraties dirigeantes locales, qui ont souvent tout misé sur un ou deux produits naturels facilement exportables sur le marché international et susceptibles de constituer une source de revenus en devises. Mais la spécialisation dans une monoculture ou une mono-exploitation comme le gaz, ou dans l'exportation d'un ou deux produits minéraux, place ces États dans une situation de dépendance à l'égard du marché mondial, subissant de plein fouet les conséquences de la baisse générale des prix des matières premières.
Les plus pauvres de ces républiques, la Kirghizie, le Tadjikistan et même la Géorgie ou l'Arménie, ne peuvent compter pour survivre que sur l'aide russe.
Quant aux deux grandes républiques non russes de la partie européenne de l'ex-Union soviétique, l'Ukraine et la Biélorussie, leurs économies restent largement intégrées à celle de la Russie, la Biélorussie conservant de surcroît la plupart des formes et modes de fonctionnement soviétiques.
Les pays baltes sont les seules des ex-républiques soviétiques à avoir évolué de façon comparable aux ex-Démocraties populaires. Cela tient sans doute autant à la taille réduite de ces pays et de leur économie qu'à la date plus récente de leur intégration dans l'ex-URSS. Mais c'est seulement l'une d'entre elles, l'Estonie, qui a poussé les transformations et l'intégration dans l'économie occidentale assez loin pour figurer, derrière la Pologne, la République tchèque, la Hongrie et la Slovénie, parmi les pays dont on commence à envisager l'intégration dans l'Union européenne.
Etant donné que, depuis plusieurs années, la transformation de l'économie et de la société de l'ex-URSS fait du surplace, aux dires même de ceux qui ont souhaité qu'elle soit rapide, nous n'avons pas plus de raisons aujourd'hui de changer notre caractérisation de la société, de l'économie et, par conséquent, de l'État soviétique qu'il y a deux ou cinq ans. La Russie comme la plupart des États issus de l'URSS restent toujours dominés par des bureaucraties, morcelés à l'intérieur même de chaque nouvelle entité entre une multitude de centres de pouvoir, avec leurs économies mêlant la prédation fortement mafieuse avec la pratique du troc comme expression la plus répandue de la division du travail. Bien des traits essentiels des entités étatiques issues de la décomposition de l'ex-URSS seraient incompréhensibles sans se référer au passé soviétique, à son économie centralisée et planifiée et à ses rapports sociaux. Nous ne pouvons que reprendre ce que nous avons dit l'an dernier en conclusion de l'analyse des transformations dix ans après la péréstroïka : "L'économie ex-soviétique a été ruinée, mais pas encore restructurée sur une base capitaliste. Malgré le délabrement économique ou plutôt, précisément à cause de cela la politique que nous proposerions reprendrait, aujourd'hui encore, la politique que nous aurions proposée si nous avions eu des forces militantes là-bas, il y a huit ou dix ans... A ceci près qu'il ne s'agit plus de lutter pour le maintien de l'économie planifiée, mais pour son rétablissement sous le contrôle de la démocratie prolétarienne".
Dix ans après la chute du mur de Berlin et la disparition des régimes dits de "Démocratie populaire", après les congratulations de rigueur, les commentateurs évoquent parfois, avec un certain étonnement, la "nostalgie" qui survit dans ces pays pour le passé, comme s'il s'agissait d'un sentimentalisme mal placé. Mais cette "nostalgie" repose sur des réalités sociales.
Les régimes des Démocraties populaires étaient infâmes et pas seulement en raison de l'absence de libertés, mais aussi en raison de la différenciation sociale croissante, bien avant que les tenants de ces régimes cessent de se proclamer "socialistes" ou "communistes" (différenciation qui a d'ailleurs, dans une large mesure, préparé le changement d'après 1989). Mais en même temps, ils ont assuré une certaine protection sociale pour tous et le chômage n'existait pas. Pour les chômeurs, pour les travailleurs menacés de le devenir, pour les retraités, pour les catégories les plus vulnérables de la population, le changement de régime se traduit par une dégradation de leurs conditions d'existence, par l'insécurité et, pour l'ensemble des pays, par une aggravation de la pauvreté. Et l'enrichissement insolent d'une couche de la population n'est certainement pas une consolation pour les autres. La suffisance et l'arrogance triomphante des profiteurs du capitalisme paraissent plus insupportables encore que celles des cadres de la dictature déclinante d'autant plus qu'il s'agit souvent des mêmes personnes !
Il n'y a pas eu par ailleurs d'événements politiques majeurs dans les pays de l'Est de l'Europe. Tout au plus peut-on mentionner que trois des pays les moins pauvres de la zone, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, qui sont aussi les plus liés à l'économie de l'Europe occidentale et les plus subordonnés à ses capitaux, ont eu l'insigne honneur cette année d'être intégrés à l'OTAN (bien avant que leur demande d'adhésion à l'Union économique européenne soit acceptée). Cette intégration à l'OTAN a pris effet précisément dans les semaines où l'alliance militaire occidentale a déclenché ses bombardements sur la Serbie et le Kosovo. Si le ministre des Affaires étrangères polonais, un des ex-leaders de Solidarnosc, a salué l'événement en affirmant que "l'entrée à l'OTAN signifie accoster dans un port de tranquillité", la première manifestation de cette "tranquillité" a été pour ces pays de se retrouver en état de guerre avec la Serbie voisine. Outre ce que cela impliquait du point de vue des relations entre les peuples de cette région, l'économie de tous les pays bordant le Danube a subi les conséquences de l'arrêt de la navigation fluviale, essentielle pour les échanges, du fait de la guerre d'abord et des destructions de ponts ensuite.
Quant à la Roumanie, l'une des plus étendues et plus peuplées des ex-Démocraties populaires, une des mieux pourvues aussi en richesses naturelles, son économie continue à sombrer, avec un recul de plus de 5 % de son produit national, qui s'additionne à la chute de plus de 20 % au cours des dix dernières années. Ce recul économique se conjugue avec un accroissement fulgurant des inégalités sociales pour faire de ce pays un de ceux où la misère des classes populaires est la plus insupportable ; le plus grand fournisseur aussi de candidats à l'émigration vers l'Europe occidentale. Emigration clandestine par la force des choses : les restrictions à l'entrée des pays occidentaux ont remplacé le "rideau de fer" de naguère. L'année a été marquée dans ce pays par la lutte déterminée des mineurs. Malheureusement, ceux qui se trouvent depuis plusieurs années à la tête de la lutte des mineurs sont liés à l'extrême droite ultra-nationaliste. L'éventualité que les ultra-nationalistes canalisent le mécontentement social est une menace d'autant plus grave pour la classe ouvrière comme pour la société que le pays compte d'importantes minorités nationales et que, faute d'apparition de forces politiques donnant aux classes laborieuses des perspectives, existe le danger d'une évolution "à la yougoslave".
A l'autre bout du monde, les massacres de l'armée indonésienne avant de lâcher le Timor oriental ne peuvent être évoqués sans souligner la responsabilité écrasante des puissances occidentales. Responsabilité historique, bien sûr : la spécificité du Timor oriental ex-colonie portugaise dans un archipel longtemps colonisé par les Pays-Bas résulte de siècles de rivalités entre puissances européennes. Responsabilité bien plus actuelle : l'armée indonésienne qui a massacré a été dressée par les États-Unis pour d'autres massacres, "oubliés" par la plupart de ceux qui ont fait mine de s'indigner devant ce qui s'est passé au Timor : celui des masses laborieuses de l'Indonésie elle-même et du Parti communiste indonésien. Et c'est avec l'accord, au moins tacite, de toutes les grandes puissances que l'armée indonésienne a mis la main, il y a vingt ans, sur le Timor.
Il n'était évidemment pas question pour nous de nous joindre au choeur de tous ceux et leurs rangs sont allés jusqu'à l'extrême gauche qui, devant l'horreur des massacres, ont demandé aux puissances impérialistes d'intervenir. Outre le caractère dérisoire de la demande, c'était une façon de donner un quitus à l'impérialisme pour ses responsabilités passées et une caution pour ce qu'il fera dans l'avenir, dans la région ou ailleurs, au nom de ce "droit à l'intervention" qu'il est à la mode de justifier avec des arguments humanitaires.
Les puissances impérialistes peuvent être amenées à intervenir dans bien des circonstances pour tenter de démêler une situation inextricable qu'elles ont elles-mêmes créée. Les communistes révolutionnaires n'ont à justifier aucun des aspects de la politique impérialiste, et encore moins à suggérer à l'impérialisme une politique qui soit bonne. Ils ont à contribuer à ce que le prolétariat prenne conscience de la nécessité de détruire l'impérialisme.
Les discussions pour le statut définitif de la Palestine sont engagées. Elles déboucheront probablement sur la proclamation d'un État palestinien. Il n'est cependant pas difficile de prévoir la réalité derrière ce changement de statut juridique.
Son armée étant incapable d'arrêter la "guerre des pierres", Israël a fait, il y a quelques années, la concession d'un mini-État palestinien, pour qu'en contrepartie Arafat et l'OLP acceptent d'user de leur autorité pour calmer la population palestinienne. Ce que certains ont présenté comme la première étape du cheminement vers un État palestinien s'est révélé, au contraire, comme un moyen de repousser cette échéance.
Le territoire concédé à l'Autorité palestinienne est minuscule, morcelé, économiquement non viable et, de surcroît, étranglé chaque fois que le gouvernement israélien décide de fermer les passages sur ses lignes de démarcation.
Le simple fait des concessions a cependant renforcé l'extrême droite israélienne, symétriquement au renforcement des organisations intégristes palestiniennes devant le caractère dérisoire des concessions.
Même si Israël finit par accepter que l'Autorité palestinienne se transforme en État internationalement reconnu, ce sera un de ces mini-États dont le monde est plein, qui permettra à une petite couche de dirigeants de se partager quelques postes et positions. Tous ceux que la pauvreté oblige à aller travailler en Israël auront à le faire, à ceci près que les barbelés qui entourent les territoires sous autorité palestinienne se transformeront en frontières d'État. Cela n'assurera ni une cohabitation sur un pied d'égalité entre le peuple palestinien et le peuple israélien ni, surtout, de quoi permettre à la majorité de la population palestinienne de vivre correctement.
Mais le fait qu'il n'y ait pas de solution pour le peuple palestinien implique aussi qu'il n'y en a pas pour le peuple israélien. Sur la base de la politique qui est celle de ses dirigeants depuis la création de l'État d'Israël, c'est-à-dire le choix d'être l'alliée fidèle des puissances occidentales en général et des États-Unis en particulier, contre les masses populaires des pays arabes voisins, la population d'Israël en sera toujours réduite à jouer le rôle de gardien de prison.
Nous avons toujours été et nous sommes toujours pour le droit de tous les peuples de la région à y vivre. Il apparaît, cependant, évident que pas plus les dirigeants d'Israël que ceux des régimes arabes voisins ne sont capables de mener une politique permettant à leurs peuples respectifs d'établir des relations démocratiques permettant une coexistence fraternelle. Il est difficile d'imaginer de telles relations entre peuples dans le cadre d'un système basé, à l'intérieur même des peuples, sur des relations d'exploitation et d'oppression.
Le continent africain est devenu celui qui compte probablement le plus de conflits de toutes sortes sur son sol. Une grande partie du continent est en train de sombrer dans le chaos et le règne de bandes d'hommes armés, officielles ou officieuses.
Dans certains de ces pays comme le Zaïre, le pouvoir central ne s'exerce que dans des zones limitées. Dans d'autres comme la Somalie, il n'y a plus de pouvoir central du tout. Malgré des "plans de paix" et des "réconciliations nationales" périodiques, le Liberia et la Sierra Leone ne parviennent pas à sortir de la guerre civile qui les ensanglante depuis de nombreuses années, pas plus que le Rwanda et le Burundi. En Angola perdurent des appareils militaires datant du temps de la lutte contre la domination coloniale portugaise. Entre l'Ethiopie et l'Erythrée, c'est une paix armée.
Que les bandes armées recrutent sur la base d'une opposition politique ou sur une base purement ethnique, elles recrutent bien souvent surtout parce que la possession d'une arme devient une des chances de survie, voire la seule.
Le règne des bandes armées, plus ou moins manipulées par des puissances impérialistes tant que celles-ci y ont intérêt, lâchées lorsque cet intérêt disparaît, est un des facteurs qui aggravent les conséquences du pillage impérialiste. L'Afrique est le continent qui, dans son ensemble, continue à s'appauvrir non seulement en comparaison avec les pays impérialistes, mais aussi dans l'absolu.
Bien que la Côte-d'Ivoire ne soit pas parmi les plus mal lotis des pays africains, il convient de parler de la situation dans ce pays qui est la base d'extension principale de l'impérialisme français en direction de son pré carré d'Afrique occidentale. Ce statut lui vaut de bénéficier de la présence d'un nombre relativement important de groupes industriels et bancaires français ainsi que de celle de l'armée française.
La campagne pour l'élection présidentielle de l'an 2000 prend en effet un tour de plus en plus virulent entre les deux principaux candidats, Konan Bédié et Alassane Ouattara. Tous les deux sont des hommes de la bourgeoisie et, de surcroît, sortis du même sérail politique, celui de l'ancien parti unique de Houphouët-Boigny. L'un a été le dernier premier ministre de Houphouët-Boigny, l'autre, président de l'Assemblée nationale à la même période. Ce qui les différencie est sans doute que Bédié, l'actuel président de la République, est plus lié à l'impérialisme français et ses intérêts que Ouattara, pendant longtemps haut fonctionnaire international au FMI et plus proche des Américains.
Bédié, le président en place, protégé de la France, a d'emblée placé la campagne de la présidentielle sous le signe de l'ethnisme, en accusant son rival, issue d'une ethnie du Nord à cheval avec le Burkina Faso, de ne pas être ivoirien et en lui déniant le droit de briguer la présidence. Les troupes d'Ouattara n'ont pas tardé à répliquer sur le même terrain en s'en prenant au monopole des Baoulés ethnie de feu Houphouët-Boigny et de Bédié sur le pouvoir.
Les médias aux ordres reprennent et accentuent le caractère ethnique des affrontements, propageant des idées au nom desquelles, demain, les ethnies pourront être mobilisées les unes contre les autres ce qui, dans ce pays qui en compte une soixantaine, aurait des conséquences dramatiques. D'autant que l'ethnisme peut servir et sert déjà de dérivatif devant une situation économique qui se dégrade, marquée par des hausses de prix importantes des produits de grande consommation dans un pays où le pouvoir d'achat des masses laborieuses est déjà dérisoire.
Les deux hommes qui, dans leur lutte pour le pouvoir, se servent de la démagogie ethniste, ne s'en servent pour le moment que sur le plan verbal. Au Liberia voisin, pas tout à fait sorti d'une longue guerre civile, la lutte pour le pouvoir s'est menée les armes à la main, mais également avec des pseudo-justifications ethniques. Il faut se souvenir qu'au Rwanda, les massacres ethniques ont été également précédés et préparés par l'ethnisme verbal. Et c'est devant les yeux de leurs protecteurs des grandes puissances impérialistes dites civilisées, de la France en particulier, que les milieux dirigeants sont en train de placer en Côte-d'Ivoire une bombe à retardement qui pourra éclater à n'importe quel moment.
En Algérie, avec la démission de Zéroual, l'armée a quitté l'avant-scène politique. Mais les conditions mêmes qui ont conduit à l'élection de Bouteflika à la présidence de la République ont montré à quel point l'armée reste aux premières loges pour contrôler et surveiller la vie politique. La presse internationale a insisté sur le succès qu'aurait représenté pour Bouteflika le référendum récent sur la concorde nationale. Mais si Bouteflika devait parvenir à résorber le terrorisme islamiste, ce ne serait certainement pas en vertu de son succès électoral mais de l'effondrement de la guérilla islamiste elle-même.
Il est bien difficile de mesurer la réalité de cet effondrement et son ampleur car des attentats viennent sporadiquement rappeler que l'armée est bien loin d'être venue à bout de l'islamisme armé. Mais, bien au-delà de cet aspect des choses, le régime plus ou moins civil de Bouteflika ne sera pas plus capable que ses prédécesseurs de mettre fin à la corruption et surtout à la pauvreté. Or, c'est cette pauvreté qui a constitué le terreau sur lequel ont poussé les mouvements intégristes en général et leurs excroissances militaires en particulier.
Et il faut rappeler là encore la responsabilité écrasante de l'impérialisme français et les dégâts qu'il a infligés à ce pays au cours des 130 ans de domination coloniale, puis au cours des 8 ans d'une guerre atroce. Et l'indépendance de l'Algérie n'a pas mis fin au pillage dont la bourgeoisie française continue à nourrir ses profits, en maintenant dans la misère les classes laborieuses de l'Algérie, comme d'ailleurs de l'ensemble du Maghreb.
Le récent coup d'État militaire au Pakistan rappelle la fragilité des régimes d'un grand nombre de pays pauvres que, par un abus de langage, on appelle "démocraties". Il n'est même pas dit que les militaires qui ont repris le pouvoir n'aient pas bénéficié d'un certain consensus tant la démocratie pakistanaise était notoirement corrompue. Il en ira évidemment de même avec les militaires, mais la dictature aura plus les moyens de le dissimuler.
Il en va d'ailleurs de même en matière de corruption dans l'Inde voisine que le jargon journalistique désigne, avec une très grande complaisance, comme la plus grande démocratie du monde.
Les formes parlementaires, qui n'ont jamais disparu en Inde et qui ont été plus ou moins généralisées dans un grand nombre de pays pauvres au cours de la décennie écoulée, dissimulent mal dans ces pays la toute puissance de l'armée, de la police ou des bandes armées privées, et surtout de la dictature de la faim.
Si les puissances impérialistes, poussées par leurs intérêts commerciaux, semblent progressivement renouer avec le régime de l'Iran, dit, pour les besoins de cette réconciliation, "en voie de démocratisation", la situation de l'Irak reste inchangée. La population de ce pays dans son ensemble, comme ses minorités kurde et chiite, continue non seulement de supporter la dictature de Saddam Hussein, mais de subir de surcroît le boycottage économique et les bombardements périodiques des grandes puissances, États-Unis en tête.
L'impérialisme punit le peuple irakien pour les crimes de son dictateur, tout en se faisant facilement une raison de l'existence d'une dictature de plus dans cette région, avec ses fortes tensions nationales et sociales.
La période continue à être caractérisée à l'échelle de la planète par la montée des micro-nationalismes, de l'intégrisme de toutes religions, de l'ethnisme, et la régression que tout cela représente.
Il convient cependant de rappeler que tout "mondialisé" que soit l'impérialisme, il a toujours fait bon ménage avec bien des formes de nationalisme ou de micro-nationalisme dans les pays pauvres, quand il ne les a pas forgées lui-même. Que l'on se souvienne des mini-États créés en Amérique centrale, dont les frontières coïncidaient souvent avec la limite des terres de l'United Fruit ou de ses semblables. Ou de ces mini-États dessinés autour des puits de pétrole au Koweit, à Abu Dhabi ou dans les Emirats Arabes dits par dérision Unis.
Mais les idées progressistes ont besoin de forces sociales pour les porter. Cela fait bien longtemps que la bourgeoisie n'est plus porteuse d'aucune idée progressiste. Avec l'effondrement du stalinisme qui lui a servi de modèle, l'intelligentsia petite-bourgeoise elle-même a abandonné ses engouements passés pour ce qu'elle appelait "socialisme", "communisme" ou "nationalisme progressiste" pour véhiculer les idées les plus réactionnaires.
La renaissance de la vitalité des idées progressistes est liée à la renaissance du prolétariat en tant que force politique porteuse des idées véritablement communistes et capable, au nom de ces idées, de peser sur la vie politique.
10 novembre 1999