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Article du mensuel
Situation économique (Texte de la majorité)
L'actuelle crise boursière
La crise boursière, commencée l'année dernière par le krach des actions dans différents secteurs regroupés sous le nom de " nouvelle économie ", ne s'est pas arrêtée avec le dégonflement de la bulle spéculative. Elle s'est poursuivie et s'est élargie à d'autres secteurs plus ou moins liés à la téléphonie, aux communications, à l'informatique ou pas liés du tout à ces secteurs.
Les actions d'entreprises comme la Générale des eaux, devenue Vivendi, Alcatel et d'autres, qui passaient pour des investissements de toute sécurité, ont subi des baisses de 20 %, 50 %, quand leur prix n'a pas été divisé par dix.
La presse économique se penche avec complaisance sur les affres des "épargnants". De toutes les victimes de la crise présente et surtout à venir, ce ne sont sans doute pas ces " épargnants " qui sont les plus à plaindre. Il s'agit là pour l'essentiel des classes moyennes, et les pertes dont leurs membres se plaignent sont, pour beaucoup d'entre eux, uniquement par rapport à ce qu'ils croyaient avoir gagné au plus fort de la bulle spéculative. Quant à ceux des salariés que leur entreprise a entraînés dans des achats d'actions à des prix de faveur, ils ont fait l'expérience pratique de ce qu'est vraiment la prétendue conquête sociale de l'actionnariat ouvrier. Mais la menace déjà en train de se transformer en réalité pour les classes laborieuses réside dans la répercussion de la crise de l'économie spéculative sur l'économie réelle.
Depuis le début, il y a trente ans, de l'ère d'instabilité et de stagnation économiques, le système a été ébranlé par bien d'autres secousses boursières. Mais la chute des cours enregistrée pendant la crise boursière présente est la plus importante de cette longue période. Il faut même remonter au krach de 1929 pour trouver une chute plus brutale, massive et profonde des valeurs boursières.
L'indice de la Bourse de New York (Dow Jones) qui, à la mi-octobre 2000, était à 10 192 et qui a reculé, à la mi-octobre 2001, à 9 189, s'établit, à la mi-octobre 2002, à 7 533. L'indice de la Bourse de Paris (CAC 40) est passé de 6 064 à 4 338, puis à 2 758. Une baisse de 26 % donc en deux ans à New York, de 55 % à Paris. Quant à l'indice des valeurs technologiques (Nasdaq), il a été pratiquement divisé par trois, en tombant durant les mêmes deux ans de 3 316 à 1 654, puis à 1 163. Et, si des rebonds se sont produits à plusieurs reprises, seuls des charlatans (dont la profession des commentateurs de l'économie ne manque pas) peuvent prétendre qu'il s'agit du début d'une nouvelle envolée boursière.
"6 700 milliards de dollars partis en fumée en deux ans", titrait récemment un quotidien économique. Ces dollars étaient certes plus fictifs que réels. Mais c'est pour accumuler ces dollars fictifs au bout de la chaîne financière qu'à l'autre bout, du côté de la production, on a freiné les salaires, réduit les effectifs par des licenciements collectifs, augmenté les cadences de travail, généralisé la précarité et pressuré le monde ouvrier.
Nous avons fait le constat, l'an passé, que la crise boursière, tout en étant l'expression d'une crise de production déjà amorcée dans l'industrie en particulier dans la branche des ordinateurs ou semi-conducteurs ou encore l'industrie aéronautique pouvait en devenir un facteur aggravant. Il n'y a pas lieu de revenir sur ce constat qui a montré le caractère limité de la phase d'expansion de l'économie américaine dans les années quatre-vingt-dix.
Nous ne reviendrons pas non plus sur les stupidités véhiculées autour des possibilités supposées de la " nouvelle économie " (cf. Textes de congrès de 2001).
D'autant que, s'il y a trois ou quatre ans, on ne comptait plus les ouvrages dithyrambiques sur la " révolution technologique " dont serait issue la " nouvelle économie ", sur ses conséquences sur la productivité et sur le nouveau dynamisme qu'elle était censée insuffler à l'économie capitaliste, aujourd'hui on ne compte plus les ouvrages démystifiant le mythe. Comme quoi, les économistes de la bourgeoisie ne savent prévoir que le passé même s'ils ne sont pas toujours capables de l'expliquer correctement.
Depuis l'année dernière cependant, s'il n'y a pas eu de reprise aux États-Unis, l'Europe les a rejoints dans le ralentissement de la production. Le Japon, quant à lui, est en dépression depuis plusieurs années. Le commerce international lui-même, qui n'avait cessé de progresser pendant vingt ans, même dans les périodes de récession, était en recul en 2001 et continue de l'être. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) parle d'une régression de 4 % des exportations de marchandises au premier semestre 2002. Du coup, les gouvernements nationaux comme les organismes internationaux revoient à la baisse leurs prévisions, alimentant de savantes polémiques sur l'ampleur de la baisse. Il n'y a jamais eu autant d'officines de prévisions économiques que de nos jours. Mais remplacer la boule de cristal par des ordinateurs ne rend pas le métier de voyant plus scientifique. L'économie capitaliste est, par nature, imprévisible, et le fait que certains économistes de la bourgeoisie prétendent utiliser la théorie mathématique dite du " chaos " pour parvenir un jour à prévoir ne rend pas leurs commentaires plus scientifiques ni l'objet de leur étude moins... " chaotique ".
La nouvelle tempête boursière a mis à nu la fragilité des entreprises dont les dettes considérables sont gagées sur la promesse de profits qui se révèlent manifestement illusoires.
Pour expliquer le niveau considérable d'endettement des entreprises, on incrimine leurs " sur-investissements ". Mais ces " sur-investissements " ne concernent que pour une petite part les investissements productifs proprement dits. Les profits élevés des années quatre-vingt-dix ont été consacrés par les grandes entreprises à se racheter les unes les autres dans des opérations de fusions-acquisitions dont le nombre s'est littéralement envolé ou, encore et les deux sont souvent liés à se disputer à coups de milliards des parts de marchés ou des licences d'exploitation leur assurant des positions de monopole ou de semi-monopole sur un marché national donné.
Les trusts de la téléphonie en général, et France Télécom en particulier, offrent une parfaite illustration de cette situation. Bien que France Télécom soit considérée aujourd'hui encore comme une entreprise très profitable, elle s'est sur-endettée à acheter des entreprises un peu partout dans le monde, pour s'assurer un accès à leurs marchés nationaux. On désigne aujourd'hui comme coupables de l'endettement de France Télécom et de ses semblables les États qui ont vendu à prix d'or les licences d'exploitation d'un marché encore inexistant, celui du système UMTS. Mais les États n'ont fait que s'engouffrer dans l'euphorie boursière pour tenter de prélever une part sur un pactole hypothétique. Le montant élevé de leurs exigences a crédibilisé l'euphorie, puis a accentué la débâcle, mais n'est responsable ni de l'une ni de l'autre.
Pour la débâcle de l'empire Vivendi, il est plus difficile encore d'évoquer la licence d'exploitation à acheter. Pour spéculer sur les profits futurs du secteur audio-visuel, des médias, etc., il a non seulement joué et perdu les profits tirés de son quasi-monopole sur la fourniture de l'eau, mais aussi l'argent emprunté aux banques, au point de se retrouver au bord de la banqueroute.
La crise boursière a été accompagnée et amplifiée par un certain nombre de scandales retentissants, Enron, WorldCom ou Tyco, aux États-Unis, Vivendi et quelques autres en France. Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale (Banque centrale américaine), pontifiant, après le scandale Enron, sur le fait que " l'économie dépend de façon critique de la confiance ", s'en est pris " à la cupidité " de certains patrons et " ... à la falsification et à la fraude " qui " détruisent le capitalisme et la liberté des marchés ". Comme si la crise se réduisait à une crise morale affectant un nombre limité de capitalistes inconscients et irresponsables ! Comme si, depuis ses débuts, le capitalisme ne s'était pas accompagné de spéculations, d'escroqueries, depuis les banqueroutes de la Compagnie des Indes au XVIIIe siècle ou du système Law en France, en passant par les scandales multiples qui ont accompagné le développement des sociétés de chemins de fer dans l'Angleterre ou la France du XIXe siècle ou la construction des canaux de Panama et de Suez, à la course démentielle au profit facile qui a précédé la crise de 1929. L'histoire du capitalisme reproduit le même spectacle, il est vrai en plus gigantesque chaque fois.
Nous avons relevé l'année dernière que " même à l'heure de la nouvelle économie, l'accumulation du capital continue à prendre une forme essentiellement financière, aggravant l'hypertrophie de la sphère financière ". Or, si du point de vue du capitaliste peu importe d'où lui vient le profit, du point de vue de l'ensemble de l'économie et de son fonctionnement, les conséquences ne sont pas du tout les mêmes. " Le capital financier ponctionne directement ou par l'intermédiaire de l'État et de la dette publique le capital industriel, " seul mode d'existence du capital où sa fonction ne consiste pas seulement en appropriation mais également en création de plus-values, autrement dit de surproduits " (Marx), créant une couche purement parasitaire de rentiers, "une classe de créanciers de l'État" (Marx). Le gonflement ininterrompu de la sphère financière depuis les années 70, conséquence du marasme de l'économie capitaliste, en est devenu un facteur aggravant majeur. Non seulement, il se nourrit de l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière mais il contribue à étouffer le développement économique ". Les marchés financiers demandent la rentabilité à court terme. Leur pression s'exerce dans le sens non seulement de diminuer les dépenses salariales mais aussi de freiner les investissements à long terme et les projets industriels qui demandent une longue immobilisation du capital avant de rapporter du profit.
A vrai dire, les capitalistes privés ont toujours cherché la rentabilité à court terme. Depuis les débuts du capitalisme, l'État a pris en charge une part majeure des investissements à long terme. Ce rôle de l'État dans les investissements à long terme a revêtu des formes diverses suivant le pays et suivant le contexte historique : prise en charge directe, subventions, commandes étatiques garantissant un marché stable et durable, sans oublier le rôle des dépenses d'armement et de la recherche militaire.
Dans nombre de pays d'Europe, dont la France, c'est l'État lui-même, plus exactement le secteur public d'État, qui a pris en charge les investissements à long terme. Mais c'est pourquoi la course actuelle à la privatisation, c'est-à-dire au démantèlement, des entreprises d'État a pour contrecoup de ne plus compenser l'insuffisance d'investissements du secteur privé.
L'intervention de l'État dans l'économie, c'est-à-dire en faveur du capital privé, n'a jamais cessé d'augmenter, même au cours des dernières décennies de " libéralisme " triomphant. Mais la forme de cette intervention a tendance à changer. L'État vend au privé les entreprises publiques, voire des pans entiers des services publics, puis reverse, sous diverses formes, au capital privé l'argent ainsi récupéré.
Que l'État s'appuie sur un fort secteur nationalisé ou, au contraire, le privatise, dans les deux cas il intervient en faveur du capital privé. Les conséquences au niveau du fonctionnement de l'économie ne sont cependant pas les mêmes. Les entreprises d'État échappaient dans une certaine mesure à la recherche du profit immédiat pour mieux servir des intérêts un peu plus généraux de la bourgeoisie. Elles contribuaient à maintenir la production, ne serait-ce qu'en procédant à des investissements, même lorsqu'il n'y avait pas d'espoir de profit à court terme.
Démanteler le secteur d'État ne signifie pas, dans ces conditions, diminuer l'étatisme mais abandonner plus directement aux intérêts privés des sommes prélevées par les impôts. C'est aussi une abdication croissante par l'État du rôle, dans une certaine mesure régulateur, qu'il exerce pour le compte des intérêts généraux de la bourgeoisie face à l'anarchie de l'économie capitaliste. On n'étatise plus les entreprises, on livre plus directement au privé les caisses de l'État.
Il faut souligner le rôle de l'État même dans le développement des mastodontes de la " nouvelle économie ", ceux qui d'ailleurs résistent à la crise du secteur et qui ramassent la mise.
Des ordinateurs à l'Internet, en passant par les micro-processeurs ou les semi-conducteurs, les technologies de pointe sont issues de la recherche publique et ont été bien souvent développées par des contrats militaires avant d'être transférées au privé. Sans la contribution multiforme du domaine public, le trust Microsoft n'aurait pas connu le développement fulgurant qui est le sien, et Bill Gates ne disposerait pas de la plus grande fortune privée du monde.
Ces trusts ont d'ailleurs tendance à considérer les caisses publiques comme une trésorerie de réserve pour leurs propres dépenses en cas de difficultés. Ainsi, les grandes entreprises de la téléphonie, plombées de dettes, réclament un plan européen de sauvetage, en considérant manifestement que les fonds européens sont destinés à les aider financièrement à sortir d'une situation où les ont conduites leurs propres spéculations.
Malgré les déboires qu'elle entraîne dans l'économie, la spéculation continue de plus belle. On continue à spéculer sur les entreprises qui ont l'air de marcher ou dont on peut penser, à tort ou à raison, qu'au moins pendant quelque temps, elles augmenteront leurs bénéfices.
En fait, il s'agit là du même mécanisme que celui qui s'est emballé pour ladite " nouvelle économie ", la téléphonie et les télécommunications, avec le résultat que l'on sait. Il est par exemple significatif que la petite compagnie Ryanair soit devenue depuis peu, du point de vue de la capitalisation boursière, le numéro 1 des compagnies aériennes européennes. Sa capitalisation boursière de 4 milliards d'euros dépasse celles de Lufthansa (3,5 milliards) et a fortiori de British Airways ou d'Air France, ce qui est proprement aberrant compte tenu de la valeur des flottes respectives des unes et des autres.
L'Europe et son élargissement - les relations entre les grandes puissances
L'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 pays approche de sa phase de réalisation à un moment de ralentissement économique.
Ce n'est évidemment pas un " idéal européen " qui pousse les puissances impérialistes dominant le continent (l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, l'Italie) à intégrer dans l'Union cet ensemble disparate de dix pays constitué de quatre ex-Démocraties populaires (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie), un ex-membre de la Fédération yougoslave (Slovénie), trois ex-Républiques de l'Union soviétique (Estonie, Lettonie, Lituanie), ainsi que Chypre et Malte (d'autres sont encore en liste d'attente). Ce n'est pas non plus le constat, évident pour n'importe quel écolier, que l'Europe ne s'arrête pas aux frontières de l'actuelle Union européenne. En fait, ces dix pays appartiennent déjà à la sphère d'influence des puissances impérialistes européennes. Les admettre à l'intérieur de la zone de protection douanière européenne, c'est renforcer la mainmise du grand capital d'Europe face à la concurrence extérieure.
Au-delà des discussions sur la place de ces pays dans les différentes institutions européennes, cette intégration ne signifiera pas égalité mais subordination. Les pays concernés, dont le revenu moyen par habitant ne représente que 40 % de celui des Quinze, avec en plus de fortes disparités entre eux, n'ont pas le choix. S'agissant de petits pays, de marchés nationaux étroits, voire insignifiants, ils ne peuvent évidemment pas s'enfermer, sous peine d'asphyxie, dans leurs frontières nationales.
Bien entendu, les révolutionnaires ne peuvent être que pour l'élargissement, même sur des bases capitalistes, mais sans cesser de dire que, sur cette base, il n'y a pas de salut pour les nations non-impérialistes d'Europe, il n'y a que la continuation sous d'autres formes juridiques de la mainmise des trusts impérialistes sur leur économie. A plus forte raison, cette intégration ne constitue pas une protection pour les masses laborieuses de ces pays.
Le processus d'intégration à l'Union européenne engagé depuis une dizaine d'années se traduit, pour l'essentiel, par la transcription dans leur législation des 80 000 pages de normes et directives qui résultent de cinquante ans de marchandages entre les pays fondateurs de l'Union.
Ni l'intégration ni ces directives ne protégeront cependant ces pays des conséquences brutales de leur ouverture au grand capital international, ouverture qui ne date pas d'ailleurs de leur adhésion à l'Union européenne : liquidation des entreprises d'État trop peu rentables pour être privatisées, accroissement brutal du chômage et diminution des protections sociales, mais aussi disparition de plusieurs millions d'exploitations agricoles dans des pays où la paysannerie représente encore une part importante de la population.
Cela amène même les plus déterminés des partisans de l'élargissement au sein des forces politiques bourgeoises à redouter les conséquences de cette intégration à un moment où les économies occidentales, elles-mêmes en stagnation, auraient du mal à donner du travail à des centaines de milliers de chômeurs susceptibles de venir des pays de l'Est. Mais, de toute façon, ceux-ci ne seront pas autorisés à en chercher pendant toute une période durant laquelle le droit à la libre circulation ne concernera pas les citoyens des pays nouvellement intégrés. Ce sont les États membres actuels qui pourront choisir pendant sept ans le degré d'ouverture de leur marché du travail aux ressortissants des pays candidats. Les citoyens de cette Europe élargie seront égaux mais certains seront donc plus égaux que d'autres ! Il n'y aura peut-être pas besoin de passeports nationaux pour se déplacer à l'intérieur de l'Union. Mais les ressortissants des pays pauvres auront peut-être besoin de passeports intérieurs pour se déplacer vers les pays riches...
L'économie allemande elle-même, pourtant la plus puissante d'Europe, n'a pas vraiment réussi à intégrer l'ex-Allemagne de l'Est, en proie depuis la réunification à la désindustrialisation, au chômage, avec toutes les conséquences sociales et politiques que cela implique. L'image des relations entre les deux Allemagnes préfigure en effet, sans doute, les relations qui s'établiront entre la partie développée et occidentale de l'Europe et sa partie orientale semi-développée. Et encore de façon atténuée car l'Allemagne de l'Est, au temps de la RDA, était la plus développée de toutes les Démocraties populaires. En outre, les deux Allemagnes parlent tout de même la même langue, ont un passé commun et leur réunification s'est faite dans le cadre du même État. Il n'en va pas de même entre les États d'Europe occidentale et les États d'Europe de l'Est. Pour intégrer vraiment ces derniers dans une entité unique, il faudrait un tout autre dynamisme économique, social et culturel, une capacité d'intégration dont l'Europe capitaliste, dominée par quelques puissances impérialistes, est totalement dépourvue.
Si le grand capital de l'Europe occidentale peut trouver son compte dans cette unification bancale et n'a aucune raison de se plaindre de l'existence d'un réservoir de main-d'oeuvre qualifiée mais bon marché dans l'est de l'Europe, rien ne garantit que l'intégration à l'Europe, au lieu de diminuer le populisme d'extrême droite qui sévit de façon endémique dans les pays de l'Est europén, ne lui donnera pas au contraire un nouvel élan.
Les problèmes soulevés par l'élargissement de l'Union européenne constituent une nouvelle illustration du caractère contradictoire de la construction européenne sous l'égide de la bourgeoisie. Cet élargissement, utile pour la mainmise du grand capital allemand, mais aussi français, anglais, etc., sur ces pays, menace d'être en même temps un facteur supplémentaire de désagrégation.
De façon plus générale, les puissances impérialistes européennes ont besoin de l'Union pour faire bonne figure dans la concurrence sur les marchés mondiaux et notamment pour tenter de résister à la concurrence des États-Unis. Mais, à cette force centripète s'opposent d'autres forces, centrifuges, venant des divergences d'intérêts qui séparent et souvent opposent les principales grandes puissances du continent entre elles. Les impérialismes britannique, français, allemand, n'ont pas la même conception de la défense des intérêts de l'Europe face aux États-Unis. Contrairement à ces derniers, l'Europe reste un fragile conglomérat d'États.
Tous les grands sujets pendants, de la politique agricole commune jusqu'à l'attitude dans les grandes négociations commerciales, illustrent ces divergences d'intérêts entre les puissances européennes elles-mêmes. A commencer par l'euro lui-même.
En effet, si au bout d'une année d'existence concrète, l'euro est aujourd'hui admis comme monnaie unique, il faut rappeler qu'il ne l'est que pour 12 pays sur les 15 que compte l'Union. La Grande-Bretagne en particulier, une des principales grandes puissances, garde pour le moment sa monnaie nationale. En outre, les discussions récentes sur le respect des " critères de convergence " montrent la fragilité de la base sur laquelle repose la monnaie commune. Si la monnaie est en effet commune et s'il existe une banque centrale européenne, les États nationaux restent maîtres de leur budget. Il n'y a certes pas de divergence entre les différents États d'Europe sur le fait que leur budget doit servir pour une large part à soutenir le grand capital privé. Mais aucune des bourgeoisies nationales ne tient à financer le déficit budgétaire d'une autre. C'est la raison pour laquelle, afin de pouvoir créer une monnaie unique, l'euro, les différents pays qui ont pris part à cette création se sont mis d'accord pour maintenir leurs déficits budgétaires comme leurs endettements respectifs dans une certaine marge (les fameux " critères de Maastricht ").
Mais, voilà qu'avec la récession et les cadeaux divers faits à leurs bourgeoisies, ce sont précisément les États les plus puissants de la " zone euro ", la France et l'Allemagne notamment, qui ont les déficits les plus forts. Du coup, on oublie les critères de Maastricht, et les autorités de Bruxelles, qui ont su donner de la voix pour mettre en garde des petits pays comme la Grèce ou le Portugal afin de les amener à une politique d'austérité budgétaire, s'asseoient sur les critères de Maastricht en en repoussant l'application à plus tard... et peut-être à jamais !
Cela n'empêchera d'ailleurs pas les gouvernements concernés de s'engager dans une politique de rigueur à l'égard des classes populaires, comme l'a clairement laissé prévoir pour la France Francis Mer, le ministre des Finances. On dira alors que c'est " la faute à Bruxelles " et que, si on cède à ses injonctions, c'est dans l'intérêt de l'unification européenne.
La récession, si elle se poursuit, accentuera les dissensions économiques entre les États-Unis et l'Europe. Elles ont été illustrées cette année par différents conflits commerciaux concernant notamment la sidérurgie.
L'attitude des États-Unis à l'égard de l'Union européenne a un caractère contradictoire. D'un côté, le grand capital américain trouve un intérêt certain à l'unification économique d'un continent qui constitue le principal marché d'exportation des États-Unis, comme sa principale zone d'investissement à l'étranger. Les filiales allemandes de General Motors ou de Ford n'ont pas moins intérêt que Volkswagen à l'existence d'un marché unique européen.
D'un autre côté, les États-Unis, profitant de leur puissance industrielle, ne veulent pour reprendre une expression que Trotsky avait utilisée dans les années vingt déjà que d'une " Europe réduite à la portion congrue ", c'est-à-dire une Europe qui ne concurrence les États-Unis que là où ceux-ci acceptent d'être concurrencés. Aujourd'hui que les États-Unis sont plus que jamais la puissance impérialiste dominante aussi bien par la force de leur industrie que par leur force militaire ou par leur diplomatie, ils n'ont nullement l'intention de se laisser tailler des croupières par l'Europe. Les gesticulations des commissaires européens, même appuyés par des arbitrages de l'Organisation mondiale du commerce, ne changent pas le rapport des forces. Les États-Unis, qui ont tant contribué à démolir les barrières douanières ou étatiques susceptibles de s'opposer à la pénétration de leurs capitaux et de leurs marchandises, ne se gênent pas pour prendre des mesures protectionnistes lorsque les intérêts des trusts de leurs industries sidérurgique, agro-alimentaire ou autres l'exigent.
Le bilan des trente ans écoulés
Nous avons relevé dans nos textes, au fur et à mesure des trente ans de la période de crises et d'instabilité économiques ouverte au début des années soixante-dix, les différentes étapes à travers lesquelles les tendances fondamentales de l'économie impérialiste, décrites déjà par Lénine et Trotsky, ont été poussées de plus en plus loin : domination croissante de la finance sur les activités productives, accroissement de la taille d'immenses conglomérats financiers qui dominent l'économie mondiale, intégration des recoins les plus reculés de la planète dans l'économie financière, interdépendance toujours plus poussée entre des économies toutes dominées par un nombre restreint d'impérialismes parmi lesquels prédominent, et de loin, les États-Unis.
Avec l'aide politique des gouvernements, les conglomérats impérialistes ont assuré les libres placements et déplacements de leurs capitaux en démolissant tous les obstacles qui pouvaient les freiner. A commencer par les réglementations et une certaine forme d'interventionnisme étatique que les grandes puissances impérialistes s'étaient imposées dans les années consécutives à la Grande Dépression pour sauver le capital privé de la débâcle et qu'elles avaient conservées pour se faire la guerre, puis pour faire face aux nécessités de la reconstruction de l'économie sur des bases capitalistes.
Pour modeler encore plus le monde en fonction de leurs intérêts, les grands groupes ont profité de changements politiques qui, souvent, ont résulté de leurs propres activités, ouvertes ou souterraines. Ils en ont tiré profit même lorsque cela n'a pas été le cas ou ne l'a été que partiellement.
L'écroulement de l'Union soviétique et de la zone sous son contrôle a été l'un de ces changements. Un autre a été la fin de la plupart des régimes de ceux des pays pauvres qui, sans mettre en cause l'impérialisme, menaient une politique faisant obstacle à la libre pénétration du capital impérialiste chez eux (Ethiopie, Algérie et bien d'autres). Sans même parler de la Chine qui, pour ne pas avoir changé de régime, n'en a pas moins ouvert plus largement ses portes devant les capitaux impérialistes, dans un contexte où le pouvoir politique américain a, de son côté, abandonné son ostracisme à l'égard de la Chine.
Mais les grands monopoles capitalistes ont surtout tiré profit de l'absence, voire de la quasi-disparition, du mouvement ouvrier et a fortiori du mouvement ouvrier révolutionnaire, ce qui a assuré au capitalisme mondial sinon la paix sociale, du moins de ne pas être menacé dans son existence même.
Le grand capital a aujourd'hui le champ libre devant lui un peu partout. Mais cela n'a pas pour autant ouvert une nouvelle période d'essor pour le capitalisme. Cela a, au contraire, accentué encore son caractère usuraire. Même la croissance économique telle qu'elle apparaît dans les chiffres trompeurs de la progression des PIB, dont les économistes ont chanté les louanges pendant les périodes d'expansion entre deux périodes de récession, a moins signifié la fabrication de biens nouveaux et de services supplémentaires pour les hommes que la transformation en marchandises de biens ou de services qui ne l'étaient pas auparavant.
En privatisant des secteurs publics un peu partout, en transformant en biens marchands des formes de solidarité modernes (caisses de retraite remplacées par des fonds de pension ; assurances privées à la place de la Sécurité sociale) ou anciennes (formes de solidarité villageoise en Afrique, etc.), en détruisant une grande part des acquis de la Révolution de 1917 dans l'ex-Union soviétique, le grand capital pousse à transformer en marchandises, c'est-à-dire en supports pour réaliser du profit, tout ce qui lui échappait auparavant. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on a transformé en marchandise, c'est-à-dire en source de profit, un élément aussi naturel et aussi indispensable pour la vie humaine que l'eau : pour l'irrigation depuis des temps lointains et, pour l'eau potable, sous forme de distribution d'eau courante de plus en plus chère ou d'eau en bouteille. Le pendant de cette évolution est le fait qu'une fraction importante de l'humanité, celle qui n'a pas le pouvoir d'achat nécessaire, est complètement privée d'eau potable. On peut faire confiance aux trusts pour trouver le moyen de transformer l'air qu'on respire en marchandise ! Les États impérialistes ont bien trouvé le moyen de transformer en marchandise le droit de polluer, que l'on peut acheter et revendre. Le processus atteint des sommets avec la transformation du génome humain lui-même en marchandise !
Cette évolution n'a en rien sorti l'économie de sa longue dépression de trente ans, et elle ne l'a pas rendue plus stable non plus. Au contraire.
La prépondérance de la finance sur l'économie, du profit tiré de la spéculation boursière et monétaire, a rendu les soubresauts économiques encore plus irrationnels.
Le bilan global de ces trente dernières années est désastreux, d'une part pour la classe ouvrière mondiale, d'autre part pour les pays pauvres. Pour la première comme pour les seconds, ce ne sont pas seulement les phases plus ou moins longues de récession, c'est l'ensemble de la période qui représente un recul considérable.
Dans les pays impérialistes eux-mêmes, la permanence du chômage ou de semi-chômage a transformé une fraction importante du prolétariat en sous-prolétariat rejeté par le système économique et vivant dans la misère économique, doublée souvent de misère culturelle et morale.
Au-delà de l'inhumanité que représente le chômage pour ceux qui le vivent, l'exclusion de l'activité sociale de plusieurs millions de personnes dans les pays industriels les plus riches, c'est-à-dire là où sont concentrés les moyens de production édifiés par le travail social du passé, constitue une condamnation sans appel de l'organisation capitaliste de l'économie.
L'importance du chômage est un des éléments essentiels du recul général de la condition ouvrière, marqué même dans les pays riches par la généralisation de la précarité sous les formes les plus diverses, l'affaiblissement à peu près général des protections sociales et le recul des services publics, comme l'éducation ou la santé, qui dans une certaine mesure pallient l'insuffisance des revenus des classes populaires.
Les faux progrès ne peuvent pas dissimuler les véritables reculs. Si, du fait de l'augmentation de la productivité entraînant la diminution des prix, les salariés peuvent s'offrir aujourd'hui des téléphones portables, voire des ordinateurs, après avoir pu s'offrir, en d'autres temps ou pour les mêmes raisons, des réfrigérateurs et des machines à laver, les besoins bien plus fondamentaux comme celui d'un logement convenable ne sont pas mieux mais plutôt plus mal satisfaits qu'il y a trente ou quarante ans.
En France, nombre de logements sociaux construits dans les années soixante, pratiquement plus entretenus, deviennent des taudis, et les bidonvilles, démolis à cette époque, resurgissent autour de certaines villes.
Pour les pays pauvres, la dégradation est encore plus visible. Certains d'entre eux, comme le Brésil ou l'Argentine, ont été présentés dans un passé récent comme ayant accroché leur wagon au train du développement. Le caractère dramatique que prend la crise dans le second de ces pays montre cependant que les tampons étatiques, mis en place dans les pays impérialistes pour éviter que les crises boursières ou économiques aient des conséquences sociales aussi brutales qu'en 1929, ne concernent pas les pays pauvres, même les moins sous-développés.
Les pays dits " émergents " du sud-est asiatique ont fait, il y a quelques années, la même et triste expérience. Certains d'entre eux ne s'en sont toujours pas relevés.
Les pays issus de l'ex-Union soviétique, Russie en tête, paient un très lourd tribut à leur intégration dans le système impérialiste mondial, qui transparaît jusque dans les chiffres de la démographie indiquant le recul de l'âge moyen de la vie.
Quant à l'Afrique sub-saharienne, à part quelques comptoirs du grand capital, elle est rejetée au point que le système impérialiste a même renoncé à exploiter la majorité de ses habitants, exclus du processus de production, réduits à vivoter sans autre espoir qu'une hypothétique migration. Cela n'empêche pas les groupes capitalistes de continuer à piller les richesses naturelles de ceux des pays qui en disposent et à faire du profit grâce à des contrats passés avec les États locaux dont les appareils vivent en rançonnant les populations.
Le Rapport mondial sur le développement humain 2002 , d'une des très officielles officines de l'ONU, est un véritable réquisitoire contre le capitalisme. Avec l'euphémisme qui caractérise ce genre de document, il constate que " selon les éléments limités dont on dispose, il semble que l'écart (entre riches et pauvres à l'intérieur même de ces pays) se soit creusé au cours des trente dernières années. Sur les 73 pays pour lesquels des données sont disponibles (soit 80 % de la population mondiale), 48 ont vu les inégalités augmenter depuis les années cinquante, 16 n'ont pas connu de changement et seulement 9 (soit à peine 4 % des habitants de la planète) ont enregistré une amélioration ".
Ce constat, dont le sens ne peut pourtant échapper à personne, n'empêche pas le même rapport de se poser stupidement la question : " Combien de croissance faut-il pour réduire la pauvreté ? ". Mais si la croissance des trente dernières années a eu ce résultat désastreux, comment croire que, même s'il y a une croissance pendant les trente prochaines années, elle aura des résultats différents ?
Au tournant de ce siècle, " 815 millions de personnes dans le monde étaient sous-alimentées : 777 millions dans les pays en développement (en réalité les pays pauvres), 27 millions dans les économies en transition (c'est-à-dire dans les ex-pays de l'Est) et 11 millions dans le monde industrialisé ". Le constat est relayé par la FAO (organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation) qui égrène les chiffres : 25 000 personnes meurent de faim ou de malnutrition chaque jour, 6 millions d'enfants de moins de 5 ans meurent chaque année faute de nourriture, l'équivalent de l'ensemble des enfants de cet âge en France et en Italie réunies.
Le lecteur de tels rapports n'a que l'embarras du choix pour relever les illustrations aveuglantes de l'inanité de ce système économique ! Mais il est vrai que le capitalisme est capable d'intégrer dans ses rouages sa propre contestation. Le constat de la croissance de la misère humaine ne fait pas émerger de solutions : il ne fait que multiplier le nombre de commissions officielles qui produisent des tonnes de rapports, en offrant un emploi à des économistes plus ou moins distingués et éventuellement nobélisables.
Il est à la mode de donner aux changements intervenus au cours de ces trente dernières années le nom de " mondialisation ". C'est un mot neutre qui dissimule infiniment plus qu'il n'éclaire la nature des changements intervenus. Il met l'accent sur le caractère planétaire de l'évolution au cours du dernier tiers du XXe siècle, et il est vrai que le capitalisme d'aujourd'hui enserre dans des filets aux mailles de plus en plus serrées l'économie et la vie sociale de toute la planète.
Il dissimule cependant concrètement le caractère de classe de cette évolution, la domination de la bourgeoisie des pays impérialistes sur le reste du monde et le fait que l'accumulation sans précédent des richesses à un pôle résulte précisément de l'accroissement de la pauvreté à l'autre. Il dissimule surtout le fait qu'il ne s'agit pas d'un caractère en quelque sorte surajouté au capitalisme, en suggérant par là même qu'il suffirait que les gouvernements changent de politique pour que le monde revienne à l'état antérieur des choses (et cet état antérieur des choses n'est évidemment pas un idéal de société). Ce que l'on désigne aujourd'hui de ce mot ambigu de " mondialisation " résulte de l'évolution de l'impérialisme lui-même dont les traits les plus caractéristiques se sont accentués encore depuis le temps où Lénine les décrivait. Et l'impérialisme lui-même, sous ses aspects anciens ou nouveaux, résulte du développement organique du capitalisme. Sans une politique visant à mettre fin à l'organisation capitaliste de l'économie, c'est-à-dire sans une politique de classe défendant cet objectif auprès du prolétariat, la seule classe capable de l'accomplir, le combat anti-mondialiste est réduit, au mieux, à une protestation sincère mais inefficace. Mais la facilité avec laquelle les hommes politiques réformistes de la bourgeoisie peuvent reprendre à leur compte tout ou partie du programme anti-mondialiste montre qu'il peut surtout devenir un moyen, même pas vraiment nouveau, pour tromper encore les classes laborieuses.
Le débat entre partisans de la mondialisation et ses adversaires est un faux débat même lorsqu'il n'est pas seulement mené dans les pages des livres d'économie ou dans les colonnes des publications économiques ou politiques, même lorsqu'il se prolonge dans les rues à Seattle, Porto Alegre, Gênes ou ailleurs.
L'oeuvre destructrice de l'impérialisme à notre époque ne se limite pas au domaine matériel. Elle se prolonge dans le domaine des idées.
Dans les pays impérialistes, les grands partis réformistes en ont été, pendant longtemps, les artisans lorsque, pratiquement dès le début de la crise, ils se sont mis à louer les vertus du profit et de la croissance économique pour l'ensemble de la société. C'est grâce à ces partis, PCF compris, que les points de vue bourgeois les plus réactionnaires ont fini par prévaloir non seulement dans la bourgeoisie petite et grande, où c'est dans l'ordre des choses, mais aussi dans le mouvement ouvrier. Il est à la mesure de cette oeuvre destructrice qu'un mouvement comme Attac dont les idées auraient été considérées, il y a un quart de siècle, comme sur la droite du mouvement ouvrier, passe aujourd'hui pour un mouvement radical.
Comme passe pour radicale, par exemple, la revendication de l'annulation de la dette des pays du tiers monde, c'est-à-dire au mieux de la dette de leurs États. Nous sommes, bien sûr, solidaires de cette revendication en ce qu'elle exprime l'aspiration des masses pauvres à desserrer le carcan de l'impérialisme sur leurs pays. Mais, utilisée par leurs dirigeants, voire par certaines forces de la bourgeoisie impérialiste, elle est un moyen de gruger leurs masses populaires qui crèvent de misère et de faim et qui ont besoin d'une tout autre perspective politique.
Dans les pays pillés et opprimés par la bourgeoisie impérialiste, ce reflux réactionnaire se manifeste par des repliements communautaires divers : repliement nationaliste ou ethniste, repliement religieux, etc. Les masses pauvres dépourvues de véritable perspective sont amenées à croire que les solidarités ethniques, nationales ou religieuses constituent une sorte de protection. Mais ce n'est même pas le cas. Ces repliements dressent de nouvelles barrières qui morcellent les masses populaires, les décomposent, dressent leurs éléments les uns contre les autres et ajoutent à toutes les conséquences de la domination impérialiste sur le monde un aspect supplémentaire sanglant et stérile.
C'est précisément à notre époque où le marxisme est enterré par les défenseurs triomphants de l'économie capitaliste, où il est officiellement abandonné par le mouvement stalinien, où il est négligé ou " rénové " même par beaucoup de ceux qui passent aujourd'hui pour l'extrême gauche, que le marxisme montre qu'il est l'unique clé pour comprendre la marche du système économique capitaliste, sous son apparence d'aujourd'hui.
La renaissance d'une force politique capable d'incarner la seule perspective qui s'oppose à celle du maintien de la barbarie capitaliste ne sera évidemment pas seulement un mouvement d'idées. Mais la classe ouvrière, qui est toujours la seule force de transformation de la société, ne pourra redevenir porteuse de cette perspective qu'en s'emparant des idées qui l'expriment, c'est-à-dire du marxisme.
Cela fait bien longtemps que la pérennité du système capitaliste n'est plus assurée par sa dynamique interne mais par ce que Trotsky avait appelé en son temps " la crise de direction révolutionnaire du prolétariat ".
L'humanité paie cher de ne pas maîtriser sa propre économie. Les progrès des sciences et des technologies fournissent pourtant des moyens techniques, comme on ne pouvait même pas les imaginer au temps de Marx et même au temps de la Révolution russe, pour recenser les richesses, pour organiser rationnellement la production devenue mondiale et pour planifier consciemment et en fonction des besoins, tout en préservant l'environnement naturel, la production à l'échelle internationale comme à l'échelle locale.
Mais les moyens techniques, les formidables instruments de communication et d'échange modernes à l'échelle de la planète, les formidables possibilités de mise en commun des connaissances, tout cela bute sur l'anachronisme des rapports sociaux. Bouleverser ces rapports sociaux, supprimer la propriété privée des grands moyens de production, n'est plus seulement une nécessité pour faire sauter les obstacles qui se dressent devant l'humanité en s'opposant à sa marche en avant. Cela devient de plus en plus une nécessité pour empêcher le recul vers la barbarie, voire vers la destruction des conditions même de la vie sur terre.