Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Les relations internationales01/01/19961996Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1996/01/17.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Article du mensuel

Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Les relations internationales

L'Union soviétique étant disloquée depuis quatre ans et la rivalité entre super-puissances disparue avec, la situation mondiale continue néanmoins à être marquée par un grand nombre de conflits, de tensions entre États ou à l'intérieur des États. Preuve, s'il fallait, que les conflits de ce type ne résultaient pas, dans le passé, de la division entre les blocs, même si ces derniers se servaient de cette dernière comme explication ou se servaient des conflits eux-mêmes et les prolongeaient ou les aggravaient.

Certains des conflits en cours remontent à l'époque de la tension Est-Ouest mais n'ont pas été réglés avec la fin de celle-ci. D'autres sont liés à la dislocation de l'Union soviétique elle-même. Nombreux, enfin, sont ceux qui surgissent simplement du pourrissement de la situation internationale, du pillage du monde par l'impérialisme aggravé par la crise.

Les raisons ou les prétextes de ces conflits ou de ces tensions sont aussi divers et aussi nombreux que les conflits eux-mêmes. Mais, au-delà de cette diversité, une constatation s'impose. Si certains des conflits, en particulier parmi ceux qui perdurent depuis longtemps, expriment encore, dans une certaine mesure, le combat d'un peuple ou d'une minorité opprimée pour son émancipation, un nombre de plus en plus grand des conflits dirigés, capitalisés, voire déclenchés par des forces réactionnaires nationalistes, intégristes, se servant d'idéologies ethniques.

L'emprise, subie bien plus souvent que souhaitée, de ces forces rétrogrades sur les masses est un des traits marquants de la période. C'est le sous-produit de la pourriture du système impérialiste, mais aussi du recul du prolétariat en tant que force politique. Tout cela fait partie de l'évolution réactionnaire des choses qui se manifeste dans bien d'autres domaines.

Cela fait bien longtemps que le prolétariat ne pèse plus sur la politique mondiale, bien que la crainte du prolétariat et de ses réactions se soit prolongée bien au-delà de l'époque où l'Union soviétique comme le mouvement communiste mondial étaient des facteurs révolutionnaires et ait marqué en particulier la politique des grandes puissances impérialistes et celle de la bureaucratie soviétique à la fin et aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Les soubresauts révolutionnaires ou les mouvements d'émancipation qui se sont étalés sur une vingtaine d'années après la guerre sont restés sous la direction de forces nationalistes bourgeoises et n'ont pas été conduits pour permettre au prolétariat de retrouver un rôle politique décisif. Néanmoins ces quelque vingt ans ont été encore marqués, quant à la forme, par un discours pseudo-socialiste et tiers-mondiste. Quant au fond, les mouvements de cette période véhiculaient l'aspiration à l'émancipation de l'emprise impérialiste des peuples sous domination coloniale ou semi-coloniale.

La fin de cette période, puis l'effondrement de l'Union soviétique et la crise du mouvement stalinien ont ouvert une nouvelle étape dans le recul. Le terrain est resté libre devant toutes sortes de forces politiques rétrogrades, recrutant ou développant leur audience sur des bases démagogiques, au nom du premier particularisme venu, même si certaines semblaient être définitivement enterrées par l'histoire. Mais ce qui a été une conséquence du recul des valeurs qui se référaient encore à celles du prolétariat, en devient aujourd'hui un des facteurs importants. Car cette montée des nationalismes et des particularismes, qu'elle se concrétise ou non par la balkanisation d'entités territoriales plus vastes, s'oppose à l'idée d'une transformation globale de la société à l'échelle internationale.

Ce qui est commun à la plupart des conflits en cours, c'est qu'ils résultent de moins en moins d'une aspiration à l'émancipation venue des peuples eux-mêmes mais, bien plus souvent, de politiques, de sentiments et d'attitudes propagés d'en haut. Ce qui leur est encore commun, c'est que ces conflits n'ouvrent aucune perspective devant les peuples qui y sont entraînés. Il en découle que, si la multiplication et le caractère destructeur de ces conflits locaux peuvent, dans certains cas, poser problème aux grandes puissances impérialistes, ils ne menacent nullement ni directement ni indirectement l'ordre impérialiste établi. Ils ne constituent même pas des problèmes politiques comme a pu en constituer, dans la période précédente, l'émergence de régimes comme celui de la Chine ou de Cuba, parvenus à conquérir leur indépendance politique par rapport au système politique impérialiste.

L'attitude des États-unis ces dix dernières années confirme que, si la dislocation de l'Union soviétique les a laissés seuls en tant que super-puissance, cela ne leur donne pas pour autant plus de moyens, ni plus d'inclination à intervenir militairement pour assurer l'ordre mondial. En réalité, les États-Unis se contentent de "surfer" sur les situations de conflit. Certaines des guerres locales les poussent vers une intense agitation diplomatique. D'autres les poussent à... pousser leurs alliés des puissances impérialistes de second ordre, comme la France ou la Grande-Bretagne, à intervenir. Parfois, cependant, comme en Haïti l'année dernière (sans remonter plus loin dans le temps), les États-unis sont intervenus eux-mêmes. Mais c'était dans la zone directe d'influence des USA où ils étaient directement impliqués ne serait-ce que par les "boat people".

En revanche, dans la plupart des conflits, les guerres, les répressions, les massacres se déroulent dans l'indifférence totale des grandes puissances en général et des États-unis en particulier.

Les conflits qui se généralisent à notre époque n'imposent nulle contrainte aux puissances impérialistes car ils ne menacent pas d'intérêts vitaux. Aucun de ces conflits ne menace ni directement ni dans leurs développements prévisibles la domination impérialiste. L'impérialisme a toujours su vivre avec ce type de conflits, voire les susciter et les attiser, en particulier dans le cadre de rivalités inter-impérialistes.

Pour ce qui est plus spécialement des États-unis, depuis leur guerre contre l'Irak, ils se sont montrés extrêmement prudents. L'inutilité de l'intervention en Somalie n'a fait que renforcer, dans les milieux dirigeants américains, la conviction qu'aucun de ces conflits ne méritait qu'un soldat américain y meure. Que l'ONU intervienne, avec la peau des soldats français ou anglais ou, mieux encore, pakistanais, bengalis ou ukrainiens, très bien ! Mais, à condition encore que cela ne coûte pas trop cher au budget américain (ce sont les dettes des États-unis vis-à-vis de l'ONU qui sont en passe de pousser cette dernière à la faillite alors pourtant que cette organisation n'est que l'exécutrice des basses oeuvres de l'impérialisme américain).

Même le coût de l'intervention en Haïti, réussie pourtant sans effusion de sang américain, continue à être reproché à Clinton par des membres du Congrès.

Dans l'ex-Yougoslavie, les États-unis en sont restés à quelques interventions aériennes et à la diplomatie. Ils ne promettent d'envoyer des troupes sur le terrain qu'une fois un règlement trouvé et signé, c'est-à-dire après avoir laissé les troupes des petites puissances européennes s'embourber sur le terrain et tirer les marrons du feu pour l'impérialisme américain.

Le déclin de l'Union soviétique avant sa disparition s'est caractérisé en matière de politique étrangère par un alignement croissant sur la politique des États-unis

Ces temps-ci, cependant, plusieurs faits montrent que la Russie, puissance héritière de l'ex-Union soviétique, n'a pas abdiqué tout rôle en tant que grande puissance, même si la faiblesse de son pouvoir central ne lui en donne guère les moyens. En Yougoslavie, la Russie joue, dans une certaine mesure, sa propre partition. Elle s'oppose par ailleurs, de façon de plus en plus tapageuse, à l'éventualité que les pays d'Europe centrale, les ex-Démocraties populaires, puissent adhérer à l'OTAN. Incapable de conserver ces pays comme glacis, la Russie ne tient pas pour autant à voir cette zone transformée en glacis américain. Les États-unis, de leur côté, après en avoir annoncé la proposition de façon provocante, ont temporisé car ils ont tout de même besoin de la Russie pour assumer le maintien de l'ordre dans une Asie centrale ex-soviétique agitée ou dans le Caucase.

Dans les deux anciens foyers de tension où l'entente entre les États-unis et l'URSS finissante avait facilité des débuts de règlements négociés, le règlement est intervenu en Afrique du Sud, mais reste loin d'être achevé au Moyen-Orient.

En Afrique du Sud, la liquidation juridique du régime de l'apartheid s'est déroulée sans problème majeur, ni pour l'impérialisme ni même pour la couche dirigeante locale. La lutte des masses noires d'Afrique du Sud, qui a été la cause principale de la chute du régime de l'apartheid, a été limitée, canalisée, au profit d'une opération remettant le pouvoir politique, et par là-même la représentation des intérêts de la bourgeoisie locale comme mondiale, à l'"élite noire" que l'apartheid écartait auparavant de la vie politique officielle.

C'est désormais cette caste politique noire, représentante de la petite bourgeoisie noire et de la grande bourgeoisie blanche, qui a la charge de faire tenir tranquille la classe ouvrière de ce pays, numériquement la plus importante du continent. Elle s'appuie sur un appareil d'État largement hérité du régime d'apartheid, bien qu'étoffé par l'intégration d'éléments venus des organisations ayant lutté contre ce régime. La liquidation de la ségrégation juridique n'a rien changé à la ségrégation sociale des masses populaires noires.

Au Moyen-Orient, le processus de règlement du problème palestinien se poursuit mais il est loin d'être arrivé à son terme. Au-delà des aléas occasionnels, cette lenteur provient de deux sortes de raisons. Si Israël a été contraint de négocier, pour aboutir à la signature, en 1993, de l'accord dit "Gaza et Jéricho d'abord", ce n'est pas en raison de succès militaires majeurs des armées de l'OLP mais en raison de l'incapacité de l'armée israélienne à venir à bout de l'intifada, mouvement spontané, profond et durable de la population arabe palestinienne. Le jeu des négociations et l'étalement dans le temps des concessions israéliennes visent d'abord à redonner l'initiative aux hommes d'État, aux politiciens, aux dirigeants des deux bords et à vérifier pas à pas si Arafat est capable de tenir son propre peuple.

Mais, par ailleurs, les concessions faites par les dirigeants d'Israël à l'OLP renforcent en Israël l'extrême droite et une de ses bases populaires, les colonies juives implantées en Cisjordanie. Tout en se préparant à sacrifier d'une manière ou d'une autre ces colons, l'État d'Israël se sert d'eux dans les marchandages avec l'OLP. De manière symétrique, les concessions de l'OLP à l'égard d'Israël et plus encore son incapacité fondamentale à faire sortir de la misère la population pauvre dans les zones autonomes sous son contrôle, renforcent l'influence d'organisations islamistes qui ne sont pas plus capables de résorber la misère mais qui essaient de canaliser à leur profit la haine d'une grande partie de la jeunesse contre l'oppression de l'État d'Israël et l'opposition aux concessions de l'OLP.

Même si les territoires et les droits de la zone autonome palestinienne devaient s'élargir, à la guerre ouverte succéderait au mieux une paix armée, où les masses pauvres de cette région auraient face à elles aussi bien les nouvelles autorités palestiniennes que l'armée israélienne, sans parler des dictatures arabes qui entourent la région. Et l'existence des deux États permettrait seulement à l'impérialisme de jouer un jeu plus nuancé dans cette vieille tradition dont il a toujours usé et abusé dans la région et qui consiste à dresser les deux peuples, israélien et palestinien arabe, l'un contre l'autre.

Nous réaffirmons la position qui est la nôtre depuis toujours sur cette question : nous sommes pour le droit des deux peuples, aussi bien les Israéliens que les Palestiniens, à disposer d'eux-mêmes et à avoir un État indépendant. Nous soutenons également toute revendication démocratique, notamment l'exigence de droits égaux pour les deux peuples, contre le caractère sioniste de l'État d'Israël, contre l'emprise de la religion, etc. Mais une politique révolutionnaire prolétarienne ne se limiterait pas à ces revendications de caractère démocratique dont certaines ne pourraient d'ailleurs se réaliser que par des bouleversements révolutionnaires. L'oppression à laquelle sont soumis les travailleurs palestiniens contraints d'aller travailler en Israël ne vient pas que de leur origine palestinienne mais bien plus encore de leur condition de prolétaires. Une véritable politique révolutionnaire renouerait avec une politique de lutte de classes, cherchant à unir les travailleurs israéliens aux travailleurs arabes, visant la destruction de tous les appareils d'État actuels de la région, aussi bien celui d'Israël que ceux des pays arabes, et viserait à l'instauration d'une fédération socialiste du Moyen-Orient sous le contrôle de la population laborieuse.

Un certain nombre de conflits sont directement liés à l'écroulement de l'Union soviétique et à la fin de son rôle de gendarme en dehors des territoires de l'ex-URSS, voire en dedans. Nous parlons par ailleurs des conflits et des tensions à l'intérieur même de l'ex-Union soviétique. Mais il faut constater, par exemple, que plus de six ans après le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan, celui-ci continue d'être déchiré entre les bandes armées qui se disputent le pouvoir. Ces conflits interminables expliquent rétrospectivement pourquoi, même au temps de l'existence des deux blocs, les États-Unis, tout en lançant périodiquement des admonestations verbales aux dirigeants du Kremlin, s'étaient fait facilement une raison de laisser la bureaucratie soviétique faire le gendarme dans ce pays.

Le conflit majeur lié à l'écroulement de l'Union soviétique et aux changements de régime dans les Démocraties populaires qui l'ont précédé, chronologiquement sinon politiquement, est le conflit qui déchire la Yougoslavie. Toute la région constitue cependant une zone de tension, et pas seulement du côté des pays qui viennent de sortir de régimes prétendument socialistes. La tragi-comédie qui oppose la Grèce à la Macédoine en fournit une illustration, comme en fournit la prétention de la Grèce sur certaines régions de l'Albanie.

D'importantes tensions existent également en Roumanie et en Slovaquie entre les pouvoirs et les minorités hongroises nombreuses de ces pays. Ces tensions n'en sont pas arrivées, ou pas encore, au stade de conflits violents mais elles servent déjà de matière première à des démagogues ultra-nationalistes des deux bords.

Suite à une succession de tournants dans la guerre civile en ex-Yougoslavie, suite aussi à un engagement plus marqué des États-Unis, le règlement du conflit sur le territoire yougoslave apparaît aujourd'hui plausible, sinon certain. Dans ses grandes lignes, ce règlement ne fera qu'entériner le rapport de forces qui s'est dégagé sur le terrain. Les nettoyages ethniques déjà accomplis, aussi bien par les Serbes que par les Croates, et ceux qui sont encore ouvertement projetés ont substitué aux mélanges de populations des zones plus ou moins homogènes sur le plan ethnique. Cette homogénéisation s'est accomplie par les moyens les plus barbares : plusieurs dizaines de milliers de morts non pas seulement dans des actions de guerre mais dans des actions destinées à terroriser la population et à la contraindre à fuir ; quelque 4 millions de réfugiés à l'intérieur du pays.

Le résultat en est que la Croatie, compte non tenu de la Slavonie orientale toujours entre les mains des Serbes, ne compte plus qu'une petite minorité de non-Croates. La Serbie reste multi-ethnique en raison de l'importance de la population albanaise du Kosovo et de l'existence d'une minorité hongroise en Voïvodine. Mais ces minorités ethniques sont privées de tout droit face à l'État serbe. En Bosnie même, les populations bosniaques dites musulmanes, serbes ou croates, étroitement entremêlées auparavant, sont désormais parquées dans des ghettos nationaux. C'est cette situation barbare, obtenue par des méthodes qui le sont encore plus, qui est en train d'être entérinée par les grandes puissances. Celles-ci, qui ont tant de responsabilités dans la dislocation de l'ancienne Yougoslavie multi-ethnique, s'opposent, au moins provisoirement, à la dislocation de la Bosnie-Herzégovine, le plus multi-ethnique des États issus de l'ex-Yougoslavie. Mais cette Bosnie-Herzégovine, transformée par les nettoyages ethniques serbes mais aussi, dans leurs zones respectives, croates et même bosniaques, n'est plus ce mélange de peuples qu'elle a été. Ce sera une coalition conflictuelle de trois zones, respectivement bosniaque, serbe et croate, où il ne fera pas bon vivre pour les éventuelles minorités, si tant est qu'il en reste, et qui devra, de surcroît, faire face aux tentatives de dépeçage venant des États serbe et croate, chacun ayant des visées sur les zones habitées par leurs ethnies respectives, voire au-delà.

Même si la paix est rétablie sur la base des propositions américaines de cet été, l'ex-Yougoslavie morcelée entre États hostiles demeurera une poudrière, champ de manoeuvre et de rivalité pour les puissances impérialistes. Cela permettra certes une reprise des affaires pour les grandes puissances. Les représentants des grands trusts occidentaux se succèdent d'ores et déjà à Sarajevo, et plus encore à Belgrade et à Zagreb. Car la seule Serbie est susceptible de constituer un marché plus important que celui de la Grèce ou du Portugal. Et, pour ce qui est de la Bosnie, dans l'intérêt que suscite ce petit pays il n'y a pas seulement une promesse d'importants chantiers nécessités par la reconstruction, mais aussi un prix de la main-d'oeuvre qui, entre le début et la fin de la guerre, a été divisé par dix.

Mais, pour les peuples, cette paix-là sera une paix armée, entre États aussi oppressifs les uns que les autres par rapport à leurs minorités et qui, tous, imposeront à leurs populations un encadrement, une pression, au nom du nationalisme et au nom de la vigilance contre les visées irrédentistes du peuple d'à côté, mais qui, eux-mêmes, continueront à pousser leurs peuples vers l'irrédentisme.

Tout cela représente une régression considérable sur le plan économique comme sur le plan social, politique et simplement humain.

Dans les autres pays d'Europe centrale qui constituaient avant 1989 le glacis des Démocraties populaires, les transformations économiques liées à leur réintégration complète dans l'économie de marché se poursuivent à des rythmes différents.

Si la presse occidentale assure qu'en Pologne la production est de nouveau en croissance, c'est en oubliant le recul considérable des années précédentes qui a fait que même ce pays est loin de retrouver le niveau de production d'avant 1989 qui n'était pas bien élevé. Mais, dans ce pays comme dans les autres, la sortie des régimes de dictature - toute relative pour la Roumanie par exemple et peut-être provisoire dans bien d'autres de ces pays - a été payée par la démolition des protections sociales, une remontée du chômage et une dégradation globale des conditions d'existence matérielles de la population pauvre.

C'est cette situation qui explique pourquoi dans ces pays, où pourtant les régimes prétendument socialistes avaient été imposés par la force et subis par la population, ce sont les ex-PC, héritiers des ex-partis uniques, qui reviennent au pouvoir. Après les élections polonaises de 1993, telle a été la tendance générale dans tous ces pays, la Tchéquie mise à part. Le malheur pour les classes laborieuses de ces pays est que les ex-partis staliniens devenus sociaux-démocrates ne respectent pas plus leurs droits et les protections sociales que les partis de droite qu'ils viennent de relayer. Au contraire. En Hongrie, par exemple, après son accession à la tête du gouvernement, l'ancien parti stalinien peinturluré en rose s'est engagé dans une politique d'austérité particulièrement brutale.

Il existe enfin de par le monde d'innombrables conflits dont il est difficile même seulement de dresser une liste.

Le conflit local au Cachemire, dominé par l'État indien, menace en permanence de se transformer en conflit entre l'Inde et le Pakistan comme cela s'est produit à plusieurs reprises dans le passé.

L'État du Sri-Lanka continue à être miné par des guérillas issues de la minorité tamoule.

La guérilla persiste au Timor oriental, ancienne colonie portugaise absorbée par l'Indonésie contre la volonté de ses habitants.

Les Kurdes dispersés entre la Turquie, l'Irak et l'Iran subissent, depuis des décennies, une répression féroce dans l'indifférence des grandes puissances occidentales.

En Amérique latine, si au Guatemala un mouvement de guérilla vieux de plus de trente ans semble se terminer, celui qui existe au Salvador semble continuer de façon plus ou moins sporadique, malgré la signature d'accords de paix, comme semblent continuer des guérillas au Pérou et en Colombie.

Un conflit de frontière a tourné à l'affrontement armé entre le Pérou et l'Équateur.

Le Mexique a connu, avec les affrontements du Chiapas, l'émergence d'un nouveau mouvement de guérilla.

Et surtout, du Mexique à l'Argentine, les économies de tous les pays d'Amérique latine, tous sous-développés à des degrés différents, ont été frappées par la crise. La dernière en date des crises monétaires mexicaines montre que, même pour les pays d'Amérique latine qui ont reçu le plus de placements de capitaux américains - et peut-être surtout pour eux - l'évolution économique est catastrophique. L'État mexicain a fait payer cette année, par un nouveau plan d'austérité particulièrement draconien, une crise qui provient de son propre endettement.

C'est principalement l'Afrique qui est en proie à une multitude de conflits qui ont fait, au cours des deux ou trois dernières années, plusieurs centaines de milliers de morts et qui font de ce continent, qui est le moins habité de tous, celui qui compte le plus de réfugiés.

La quasi-totalité des États de l'Afrique noire sahélienne est en proie à des guerres ethniques ou à des affrontements entre bandes rivales pour l'exercice du pouvoir : guérilla nationaliste casamançaise au Sénégal, rébellion des Touaregs contre les États du Mali et du Niger, rivalités entre bandes armées au Tchad, Soudan en proie à une guerre civile féroce et durable entre un pouvoir central appuyé sur la population arabe et des guérillas basées sur la population noire du sud, Somalie où l'intervention américaine n'a rien réglé.

Dans l'Afrique tropicale, le Libéria est déchiré depuis cinq ans entre une demi-douzaine d'armées rivales. La Sierra Léone voisine est à son tour en décomposition. La situation ne s'est nullement stabilisée au Rwanda où le pouvoir hutu chassé continue à imposer sa loi sanglante dans les camps de réfugiés pendant que, dans la capitale, le pouvoir tutsi, guère plus porté à l'entente entre les ethnies, a pris le relais. Les relations entre les deux mêmes ethnies, entraînées par des démagogues, sont également tendues au Burundi voisin. Plus au sud, ni l'Angola ni même le Mozambique ne se sont encore complètement libérés d'une longue guerre qui a commencé comme une lutte pour l'indépendance contre le pouvoir colonial portugais mais qui s'est poursuivie, pendant vingt ans, comme la lutte pour le pouvoir de factions militaires rivales.

Dans certaines régions d'Afrique, la guerre est en passe de devenir un état permanent. Ces affrontements que les puissances impérialistes ne sont guère préoccupées d'arrêter, lorsqu'elles ne les manipulent pas, font tous les ans des dizaines de milliers de victimes. Cet état de guerre permanent dans lequel se sont installés plusieurs pays d'Afrique a des conséquences désastreuses sur l'économie : par les destructions qu'il entraîne, par la réduction de la population au rôle de réservoir de recrutements forcés, sa soumission à des conditions quasi esclavagistes, au service d'une économie de prédation où l'accumulation se fait sous forme de pillage, de contrebande ou de trafics de toutes sortes. Tout cela s'ajoute au pillage impérialiste - dont tout cela peut être d'ailleurs un des instruments - pour faire de ce continent non seulement le plus pauvre mais encore celui dont la production globale régresse en valeur absolue depuis plusieurs années.

La quasi-totalité des États y regroupe plusieurs ethnies dont certaines découpées entre deux, voire plusieurs États, suivant le rapport de forces entre grandes puissances au moment de la colonisation ou simplement suivant la fantaisie de l'administration coloniale par la suite. Dans tous les États de dictature en Afrique, les dictateurs cherchent à se donner une base sociale en favorisant leur ethnie. Mais, sur ce plan, ce n'est guère mieux dans les États dont les régimes jouent au multipartisme, sinon à la démocratie, et où les dirigeants politiques rivaux, à défaut de pouvoir et de vouloir trouver des soutiens sur d'autres bases que l'ethnisme, jouent sur celui-ci en l'aggravant, en l'exacerbant.

La montée de l'intégrisme islamique constitue un autre facteur de déstabilisation et un autre signe de l'évolution réactionnaire des choses. C'est en Algérie que cette montée est la plus puissante. Ce ne sont pas les idées moyenâgeuses de ce courant qui inquiètent les grandes puissances impérialistes, ni son terrorisme d'aujourd'hui contre la population, ni même la dictature qu'il se propose d'instaurer. Toutes les grandes puissances s'accommodent parfaitement des régimes abjects de l'Arabie saoudite et des émirats du Golfe. Leur préoccupation, en ce qu'elle est commune à l'ensemble des puissances impérialistes, concerne principalement l'imprévisibilité des groupements islamiques et de leur démagogie anti-occidentale. S'ajoute à cela, pour ce qui concerne la France, la crainte que se substitue à un régime et à des équipes politiques plus ou moins liés à ses intérêts une équipe politique susceptible de jouer la carte d'autres puissances impérialistes rivales.

Cela dit, une fraction de la bourgeoisie française est toute prête à parier sur le FIS, estimant après tout que les affaires sont plus compatibles avec l'ordre, quel qu'il soit, que le maintien de la situation actuelle.

Du point de vue des travailleurs, l'arrivée au pouvoir des islamistes représenterait un danger mortel. Une dictature reposant sur une certaine base populaire, une nouvelle variante de "fascisme" des pays pauvres, serait dirigée en premier lieu contre le prolétariat, sans oublier le sort réservé aux femmes.

Ce constat ne signifie nullement le choix du camp qui prétend aujourd'hui s'opposer à la montée islamiste, celui de l'armée et de l'appareil d'État. D'abord parce que la montée de l'islamisme a été préparée, favorisée par des années de dictature, de corruption et de politique anti-populaire du pouvoir en place. Ensuite, parce que l'armée utilise les mêmes méthodes vis-à-vis des islamistes que celles que ces derniers utilisent contre l'État. Les deux camps se battent avec la peau des autres. Et c'est par la contrainte que chacun cherche à entraîner une partie de la population dans son propre sillage.

S'il y avait une organisation prolétarienne en Algérie, elle devrait évidemment proposer une politique d'opposition de classe au régime en place, de manière à ne pas laisser aux islamistes seuls la possibilité de canaliser l'opposition à ce régime, mais elle devrait aussi mener la guerre, y compris par des méthodes violentes, pour liquider les égorgeurs du GIA et de l'AIS.

30 octobre 1995

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