Article de presse
Lor'Actu
Interview exclusive de Nathalie Arthaud : ”voter Mélenchon c’est retourner dans les illusions”
La candidate de Lutte Ouvrière (LO) Nathalie Arthaud créditée de 0,5 à 1% des intentions de vote défend son programme "communiste" et se présente comme la seule candidate des "travailleurs". Critiquant Jean-Luc Mélenchon, la candidate enseignante défend aussi la suppression du concordat d'Alsace-Moselle au nom de la laïcité. Interview.
LORACTU. Nous sommes à sept jours du 1er tour. Vous affirmez être la candidate des "travailleurs" et des "travailleuses". En quoi votre candidature porte-t-elle la voix de ces électeurs ?
Nathalie Arthaud - ; Je veux faire entendre le camp des travailleurs, leurs exigences fondamentales, à savoir un emploi et un vrai salaire. Les travailleurs sont à la base de tout dans la société, ouvriers, employés, femmes de ménage, infirmières, techniciens, employés, caissières de supermarché… sans eux rien ne se ferait. Ils peuvent changer la société, je les appelle à faire un vote de fierté et de dignité ouvrière.
Quelles sont les propositions fortes de votre programme ?
Mon programme n’est pas un programme électoral mais un programme pour les luttes. Il n’y a que par les luttes puissantes et massives que le sort du monde du travail peut changer. Méfions nous des bateleurs d’estrade qui disent « voter pour moi ça va changer » ! Il faut éradiquer le chômage ce qui impose d’abord évidemment d’interdire les licenciements, et de répartir le travail entre tous. C’est la première nécessité car le chômage est un drame pour ceux qui en sont victimes comme pour toute la société.
Chacun doit pouvoir vivre correctement : c’est pourquoi aucun salaire, pension ou allocation ne devrait être inférieur à 1 800 euros nets. A moins, on a du mal à joindre les deux bouts. Tout cela représente de l’argent, oui beaucoup d’argent. Mais la société est riche, l’argent dégouline de partout : rien que les entreprises du CAC 40 ont dégagé 76 milliards de profits l’an dernier, ce qui permettrait de créer 2 millions d’emplois. Oui, il faut prendre sur les profits du patronat et des banques, ceux faits tous les ans et ceux accumulés par les grandes fortunes.
- "Je ne me réclame pas de la gauche" -
Plusieurs candidats de gauche sont en lice pour le 1er tour de la présidentielle. Quelles sont vos différences avec M. Poutou, M. Hamon et M. Mélenchon ?
Je ne me réclame pas de la « gauche », mais du camp des travailleurs et ma candidature est une candidature communiste qui veut affirmer la nécessité de s’en prendre aux profits de la classe capitaliste. Ma démarche n’a rien à voir avec celle de Hamon et Mélenchon qui veulent gérer le système comme l’ont fait Mitterrand, Jospin ou Hollande. Je suis la seule à me réclamer du communisme.
La percée de Jean-Luc Mélenchon est spectaculaire. Le candidat est désormais au coude-à-coude avec le candidat François Fillon. En cas de qualification de M. Mélenchon au 2e tour, comptez-vous appeler à voter pour lui, voire à vous engager à ses côtés ?
Quel que soit le président élu au second tour, ce sont les banques, les grandes entreprises, la grande bourgeoisie qui fixeront sa feuille de route, car ils ont la réalité du pouvoir. Nous sommes à quelques jours du premier tour, c’est ce tour là qui compte, c’est là que chacun peut voter pour ses idées. Je dis aux travailleurs, ne tombons pas dans le piège du vote utile, au premier tour montrons au futur président, quel qu’il soit, que nous ne le laisserons pas tranquille, qu’une fraction des travailleurs fera valoir ses intérêts.
A chaque élection présidentielle, le concordat d'Alsace-Moselle est discuté dans la campagne. Cette particularité est très appréciée par les habitants des trois départements. Quelle est votre position sur le sujet ? Doit-on le réformer ?
Je suis pour l’abolition du Concordat, c’est-à-dire l’application de la séparation de l’Eglise et de l’Etat aux trois départements qui en 1905 faisaient partie de l’Allemagne. Ce qui est apprécié par les habitants, ce n’est pas le Concordat qui date de Napoléon et qui fait prêtres, pasteurs et rabbins sont payés avec l’argent des impôts de tous – y compris des athées ou des autres religions. Ce qui est apprécié, ce sont les avantages du droit local, le régime local de Sécurité sociale, les congés supplémentaires comme le 26 décembre et le vendredi de Pâques… rien n’empêche de les garder.
Si oui, doit-on ouvrir un débat sur l'intégration de l'islam au sein du concordat d'Alsace-Moselle ?
Je remarque que ceux qui brandissent la laïcité contre la religion musulmane, sont la plupart du temps pour le maintien du Concordat…
- "Je suis pour l’abolition du Concordat d'Alsace-Moselle" -
Le droit local d'Alsace-Moselle se distingue par plusieurs particularités sociales et juridique. La réforme sur le travail le dimanche ne s'applique pas de la même manière dans ces trois départements. Que souhaitez-vous faire de ces particularités ?
Aligner sur ce qui est le plus favorable aux travailleurs. Rien n’interdit de garder les avantages du régime local. Pourquoi faudrait-il toujours tout niveler vers le bas ?
La fusion des régions portée par le gouvernement de Manuel Valls a ouvert des plaies dans le Grand-Est, notamment en Alsace qui a fusionné à "marche forcée" avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Marine Le Pen souhaite rendre l'Alsace aux alsaciens et supprimer les régions. François Fillon se dit ouvert à des expérimentations, Benoit Hamon ne veut pas y toucher... Quelle est votre position sur la question ?
Il y a plus de 460 000 chômeurs dans le Grand Est et les politiciens nous amusent avec la fusion des régions. Les problèmes des travailleurs du Grand Est, c’est le chômage, les fins de mois difficiles. Quand la maison brûle on ne s’occupe pas de la couleur du papier peint…
- "Voter pour Le Pen pour un travailleur c’est se tirer une balle dans le pied" -
Plus de 150 000 travailleurs traversent chaque jour une frontière dans le Grand-Est pour se rendre au Luxembourg, en Allemagne, en Belgique ou en Suisse. Les frontaliers rencontrent de nombreuses difficultés liées aux infrastructures de transports. Concrètement, comment améliorer leur quotidien ?
Des deux côtés des frontières, les Etats n’ont pas investi dans les infrastructures de transport nécessaires, la catastrophe ferroviaire de Dudelange le montre une nouvelle fois. Les Etats servent de béquille au entreprises capitalistes délaissant toutes les infrastructures.
Et puis si beaucoup de travailleurs passent la frontière, c’est à cause des plans de licenciements massifs dans la sidérurgie, la fermeture des mines et les licenciements dans toutes ces entreprises sensées assurer la reconversion, de l’électroménager de Grundig à Daewoo, en passant par l’automobile. Des usines comme celles de PSA à Metz et à Trémery ont supprimé chacune un millier d’emplois dans les dix dernières années. C’est pourquoi il faut absolument interdire les plans de licenciements et de suppression d’emplois. Il faut aussi mettre fin au secret des affaires : Neuhauser supprime plus de 200 emplois en Moselle Est, mais on apprend par petits bouts que c’est son repreneur, la famille Soufflet, qui lui revend fort cher la farine utilisée, faisant ainsi remonter les bénéfices d’une société à l’autre. Les deux familles Soufflet et Neuhauser sont riches à millions. Ce n’est pas aux travailleurs de faire des sacrifices, ils n’ont que leur salaire pour vivre.
Le projet de stockages de déchets nucléaires de Bure (Meuse) fait l'objet de contestations. Le candidat du PS-ELLV Benoit Hamon s'est engagé à y mettre fin tandis que M. Fillon est favorable à sa poursuite. Quelle est votre position sur le sujet ? Globalement, que faire à Fessenheim (Bas-Rhin) alors que la centrale doit fermer en 2018 ou à Cattenom (Moselle), une centrale qui provoque de vifs débats chez nos voisins allemands, belges et luxembourgeois ?
Certes, il faut bien faire quelque chose des déchets nucléaires, même s’il aurait mieux valu se poser la question avant de se lancer dans le nucléaire. Les pouvoirs publics, l’Andra et Edf ont menti à tout va dans cette affaire. Comment leur faire confiance pour les générations futures alors que les choix sont guidés par le profit à court terme ? On leur laisse une poubelle bien cachée sous la terre. Ce projet a été poursuivi sous tous les gouvernements quelle que soit leur couleur politique.
Quant aux centrales nucléaires, les plus vieilles centrales ont vocation à fermer les premières un jour ou l’autre, mais le problème est d’assurer un avenir, c’est-à-dire un emploi et un salaire aux salariés d’Edf et aux sous-traitants de ces centrales. Le nucléaire est une industrie dangereuse mais ce qui la rend vraiment inquiétante, c’est qu’elle est régie comme le reste de la société par la loi du profit capitaliste.
La Lorraine mais aussi la Champagne-Ardenne sont des berceaux de l'industrie lourde qui a décliné ces dernières décennies. Les dossiers de Gandrange ou Florange ont laissé des traces dans l'électorat ouvrier qui est désormais tenté par Mme Le Pen ou M. Mélenchon. Quelles perspectives d'avenir souhaitez-vous offrir à ces catégories touchées de plein fouet par la crise alors que vous avez basé votre campagne sur la défense des ouvriers ?
Ce qui s’est passé à Gandrange et à Florange montre quels sont les rapports exacts dans la société : les patrons commandent, les gouvernements s’exécutent. Ni Le Pen, ni Mélenchon n’y peuvent rien. Voter pour Le Pen pour un travailleur c’est se tirer une balle dans le pied. Et voter Mélenchon c’est retourner dans les illusions qu’un homme politique va changer les choses. Les travailleurs de Lorraine ont trop payé les désillusions successives. Je les appelle à faire un vote de classe, un vote communiste, en votant Lutte ouvrière. «Il n’y a pas de sauveur suprême » affirme les paroles de l’Internationale qui ajoute « producteurs sauvons nous nous-mêmes». Je n’ai rien à rajouter.
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