Espagne : Les partis séparatistes basques entre la menace terroriste et les manoeuvres politiciennes10/12/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/12/une-1639.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Espagne : Les partis séparatistes basques entre la menace terroriste et les manoeuvres politiciennes

Le dimanche 28 novembre, en Espagne, l'ETA annonçait la fin de la trêve décidée il y a quatorze mois et avertissait que ses commandos étaient prêts à agir à partir du vendredi 3 décembre. L'ensemble des partis politiques ont appelé pour ce jour-là à des manifestations contre le terrorisme dans la plupart des villes d'Espagne. Au Pays basque, le PNV (Parti Nationaliste Basque, principale formation nationaliste dite " modérée ") a appelé à des manifestations unitaires visant à démontrer l'isolement de l'ETA. Le ralliement à ces manifestations de Herri Batasuna, qui apparaît traditionnellement comme une coalition politique intimement liée à l'ETA, a pu faire croire un temps que l'ETA avait perdu la partie. Mais le déroulement des manifestations et leur suite prouvent que les différents partis nationalistes basques sont extrêmement sensibles à la pression des forces politiques séparatistes les plus radicales dont les élections municipales ont récemment montré l'audience. Car si ces manifestations en faveur de la " paix " furent multiples, non seulement elles n'ont pas été aussi nombreuses qu'espéré mais les mots d'ordre ont souvent affiché, entre autres dans les cortèges regroupés sous les banderoles d'Herri Batasuna, une volonté de dénoncer davantage la responsabilité du gouvernement de Madrid que celle de l'ETA dans l'échec de la trêve.

En tout cas, depuis lors, on a vu les politiciens basques des partis nationalistes modérés (PNV et Eusko Alkartasuna - EA) réaffirmer, malgré les pressions du gouvernement de Madrid et des partis nationaux, qu'ils ne rompraient pas leurs relations avec Herri Batasuna, même si ses dirigeants refusaient de condamner d'éventuelles actions militaires de l'ETA. Jusqu'à présent leur alliance au niveau du gouvernement de la Communauté autonome qui regroupe les provinces basques d'Espagne à l'exclusion de la Navarre, n'est pas à l'ordre du jour.

En réalité l'annonce de la rupture de la trêve a peut-être été avant tout un moyen pour les dirigeants indépendantistes de l'ETA de faire pression sur les partis nationalistes modérés (le PNV et EA) qu'ETA présentait dans son communiqué du 28 novembre comme les vrais responsables de la rupture de la trêve, les accusant de ne pas respecter l'accord d'août 1998. D'après l'ETA cet accord impliquait, de la part des partis nationalistes, la volonté de mettre en place une institution unique et souveraine pour l'ensemble du Pays basque, comprenant la Communauté autonome basque, la Navarre et le Pays basque français ainsi qu'une rupture politique avec les forces politiques espagnoles qui, affirmait-elle, " ont pour objectif la destruction du Pays basque ", à savoir le Parti Populaire et le PSOE. La rupture s'expliquerait donc par le frein mis par les modérés à la construction de la nation basque notamment en ne répondant pas à la proposition d'organiser des élections à un Parlement constitutionnel souverain dans l'ensemble du Pays basque.

Mais en rompant la trêve, l'ETA vise aussi à faire pression sur le gouvernement central dirigé par le parti de droite, le Parti Populaire d'Aznar qui, au cours des quatorze mois de trêve, a constamment cherché à montrer sa position de force. Le droit à l'autodétermination que l'ETA estimait indispensable d'aborder dans les négociations ne l'a jamais été par le gouvernement qui affirmait que la paix ne pouvait avoir de contrepartie politique et qu'il n'était pas question de remettre en cause le cadre constitutionnel. Dans une certaine mesure Aznar a continué la politique que tous les gouvernements ont menée depuis la mort de Franco et qui a consisté à refuser de reconnaître le problème politique basque. Il s'est contenté de promettre des changements dans la politique pénitentiaire si l'ETA donnait un caractère définitif à la trêve. Cependant la revendication que les prisonniers basques soient transférés au Pays basque, droit reconnu dans la loi, ne s'est même pas réalisé au cours des 14 mois de trêve puisque seuls quelque 85 prisonniers en ont bénéficié. Or dans le même temps on a continué à arrêter des militants, des dirigeants de l'ETA, parmi lesquels Belen Gonzalez, une représentante de l'ETA dans les négociations avec le gouvernement qui a été arrêtée en France. Au-delà de quelques belles paroles sur le dialogue nécessaire, la volonté du gouvernement a toujours été d'isoler l'ETA et de la détruire par des moyens policiers.

Dans les mobiles qui ont poussé l'ETA à rompre la trêve, il y a des calculs politiques avoués ou visibles mais il y a sans doute aussi des raisons liées aux problèmes internes de cette organisation militaire qui a connu de nombreuses crises et qui, au cours des dernières années, a subi les coups de la répression en même temps qu'elle s'isolait de plus en plus dans la société espagnole, y compris au Pays basque, où de vastes secteurs de la population ne voulaient plus du terrorisme. La trêve a permis aux indépendantistes de reprendre leur souffle, de se renforcer sur le terrain politique et de réaliser une sorte de front nationaliste avec les partis nationalistes modérés, le PNV et EA. De son côté leur alliée politique, la coalition Herri Batasuna, a pu progresser sur le plan électoral aux dépens des nationalistes modérés et les appuyer au sein du gouvernement basque. Mais il est possible que l'ETA ait estimé que même si l'arrêt des attentats avait été utile, il fallait éviter l'enlisement dans une politique trop conciliante et réaffirmer ce qui a fait son originalité, la lutte armée. Il pourrait aussi s'agir d'un moyen conjoncturel, à l'approche des prochaines élections, pour obliger les nationalistes à faire des gestes légitimant le rôle de l'ETA.

De toute façon cette politique s'inscrit dans une perspective nationaliste, séparatiste et absolument pas sur le terrain de la classe ouvrière basque ; elle n'offre aucune perspective, à plus forte raison, aux travailleurs du reste de l'Espagne que l'ETA ne considère nullement comme des alliés.

C'est en quoi, si nous reconnaissons le droit au peuple basque de décider de son sort, si nous dénonçons l'obstination des gouvernements de Madrid à ne pas régler sur le plan politique le problème basque, si nous protestons contre la répression dont sont victimes les militants basques et contre le sort des prisonniers basques, nous savons que les objectifs politiques des dirigeants nationalistes de l'ETA n'ont rien à voir avec les intérêts politiques de la classe ouvrière. Leurs actions terroristes d'hier ou de demain, comme leurs manoeuvres politiciennes, le montrent.

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