19 juillet 1984 : Les ministres communistes quittent le gouvernement de Mitterrand24/07/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/07/une_2921-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C3%2C1281%2C1663_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

19 juillet 1984 : Les ministres communistes quittent le gouvernement de Mitterrand

Le 19 juillet 1984, le PCF annonçait sa décision de ne plus participer au gouvernement de François Mitterrand. Cela venait au bout de trois ans, pendant lesquels le parti avait peint en rose les mesures antiouvrières mises en œuvre par le Premier ministre Pierre Mauroy et ainsi contribué à démoraliser une grande partie de la classe ouvrière, à commencer par ses propres militants.

En 1981, Mitterrand avait appelé quatre ministres communistes au gouvernement en prévision de la politique antiouvrière qu’il était décidé à mener. Il n’en aurait pas eu besoin à l’Assemblée après l’écrasante victoire du Parti socialiste aux législatives qui avaient suivi son élection. Mais Mitterrand entendait profiter du poids du PCF au sein de la classe ouvrière pour qu’il l’aide à faire passer ses attaques contre les travailleurs, et le PCF ne s’était pas fait prier.

Écarté depuis 34 ans de toute participation gouvernementale, le PCF entendait montrer à nouveau que ses ministres étaient capables de gérer les affaires de la bourgeoisie aussi bien que ceux issus des partis traditionnels. C’est dans cette perspective qu’il avait tressé depuis des années une auréole d’homme de gauche à Mitterrand, ce politicien bourgeois, qui en tant que ministre avait été le bourreau des militants du FLN et avait laissé exécuter le militant communiste Fernand Iveton pendant la guerre d’Algérie.

Le PCF complice des attaques de Mitterrand contre la classe ouvrière

Mitterrand bénéficia pendant quelques mois de ce que l’on appela « l’état de grâce », mais à partir de mars 1982 les illusions commencèrent à tomber. Le gouvernement Mauroy décida de bloquer les salaires pour quatre mois en assortissant cette mesure d’un blocage des prix qui resta lettre morte. L’inflation était alors de 13 % annuels et les salaires avaient suivi plus ou moins au gré des accords d’entreprise. Mais cette fois il n’y eut pas de rattrapage à l’issue des quatre mois. Le gouvernement donna consigne aux patrons de ne plus accorder aucune augmentation et donna l’exemple dans la fonction publique.

En 1983 un deuxième plan de rigueur fut imposé. Lorsque des grèves éclatèrent dans l’automobile, le gouvernement s’en prit frontalement aux grévistes. Le Premier ministre Mauroy déclara que les travailleurs immigrés étaient « agités par des groupes religieux ou politiques ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises ».

Dans cette série d’attaques, les ministres communistes jouèrent leur partition. Le ministre de la Santé PCF, Jack Ralite, instaura ainsi le forfait hospitalier. Quand, en mars 1984, 21 000 suppressions d’emplois furent annoncées dans la sidérurgie, alors que Mitterrand avait promis qu’il n’y aurait plus de licenciement, le sentiment de trahison fut à son comble. On put voir le secrétaire général du PCF Georges Marchais participer à la marche des sidérurgistes sur Paris le 13 avril tandis que les députés communistes votaient la confiance au gouvernement sur sa politique industrielle. L’Humanité, le quotidien du PCF, pouvait titrer : « Nous sommes au gouvernement et avec les travailleurs ».

Dans les entreprises, les illusions du début firent rapidement place à un profond dégout, et les militants communistes en firent les frais. Certains d’entre eux avaient sans doute cru aux promesses de Mitterrand, d’autres pensaient que la présence des ministres communistes aurait permis de contrôler ce gouvernement, mais tous l’avaient cautionné auprès des travailleurs. Lorsque le gouvernement imposa le blocage des salaires en utilisant le 49.3, les députés du PCF lui votèrent la confiance. L’Humanité avait beau faire quelques timides critiques, les choses étaient beaucoup plus simples pour les travailleurs qui disaient aux militants : « Pourquoi restez-vous dans ce gouvernement ? ».

La démoralisation des travailleurs, terreau de l’extrême droite

Incapables de faire face aux reproches de leurs camarades de travail qu’ils avaient bel et bien trompés, beaucoup de militants partirent sur la pointe des pieds ou, tout en gardant leur carte, renoncèrent à l’action politique pour se réfugier dans l’activité syndicale ou municipale au jour le jour. Une profonde démoralisation gagna la classe ouvrière. Elle se traduisit par une montée de l’abstention dans des quartiers populaires qui jusque-là avaient voté sans hésiter pour le PCF et où l’extrême droite commença à apparaître. Une première alerte fut les municipales de Dreux en mars 1983 puis celles d’Aulnay-sous-Bois en novembre où le FN obtint respectivement plus de 16 % et 10 %. Mais la confirmation éclatante vint avec les élections européennes de juin 1984.

Le FN qui obtenait 1 % aux précédentes élections arriva à 11 %. Le PCF, lui, perdit près de la moitié de son électorat, passant de 20 % aux européennes de 1979 à 11,20 %. Les trois ans de participation au gouvernement de gauche lui faisaient perdre près de la moitié de son électorat.

Cette déroute mettait la direction du PCF au pied du mur. Ce n’était pas tant la démoralisation des travailleurs, leur éloignement du PCF qui pouvait l’inquiéter, mais ce qu’elle impliquait en termes de postes à tous les niveaux, dans les mairies, au Parlement. Fallait-il persévérer dans la voie de la participation gouvernementale, et perdre ainsi toute influence au sein de la classe ouvrière et donc toute utilité ultérieure pour la bourgeoisie, ou au contraire quitter le gouvernement ? À l’occasion de la nomination le 17 juillet d’un nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, manifestement désigné pour plaire à la bourgeoisie, la direction du PCF choisit de partir. Cela ne se fit pas sans discussions au sein de l’appareil. Les anciens ministres, en particulier, se déclaraient satisfaits de l’expérience.

Dans les élections législatives de juin 2024, les partisans du Nouveau Front populaire ont tenté de ressusciter cette union de la gauche qui avait abouti en 1981 à l’élection de Mitterrand. Les dirigeants d’un PCF aujourd’hui réduit à quelques pour cent de l’électorat l’ont encore une fois présentée comme le moyen de « faire barrage à l’extrême droite ». Mais il faut se rappeler que c’est précisément sous un gouvernement de gauche où siégeaient quatre ministres communistes que cette extrême droite a vraiment pris son essor.

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