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Tribune de la minorité
Concorde : Quand rentabilité ne rime pas avec sécurité
Depuis plusieurs années, il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire. Cette tendance soumet des textes différents de ceux de la majorité au vote de nos camarades lors de nos conférences nationales. Mais elle s'est exprimée aussi, à chaque fois qu'elle l'a désiré, dans les bulletins intérieurs de notre organisation.
Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée ou, autrement dit, en fraction.
C'est pourquoi ils s'expriment dorénavant chaque semaine à cet endroit, dans les colonnes de notre hebdomadaire, parfois pour défendre des opinions identiques ou semblables à celles de la majorité, parfois pour défendre des points de vue différents.
La catastrophe du Concorde a fait au moins 114 victimes en s'écrasant, mardi dernier, sur un hôtel de Gonesse juste après son décollage de l'aéroport de Roissy : non seulement les membres de l'équipage, et des touristes, mais aussi quatre femmes, surprises pendant leur travail dans l'hôtel.
Et, à Gonesse, le pire a peut-être été évité : l'avion aurait pu s'écraser quelques centaines de mètres plus loin, sur un hôpital par exemple, et faire davantage de victimes.
Une enquête est en cours. On peut toujours espérer qu'elle ne subira pas le même sort que celle sur l'accident de l'A320 sur le mont Saint-Odile - 87 victimes en 1992 - et dont on attend toujours le rapport définitif des experts Mais, alors que les enquêteurs ont déclaré ne pas pouvoir rendre un rapport préliminaire avant fin août, le ministre des transports avait lui déjà sa solution : une défaillance des pneus aurait causé une réaction en chaîne. Pourquoi pas ? A moins que, pour les pouvoirs publics, il ne s'agisse avant tout de mettre hors de cause le Concorde et ses moteurs
Rappelons que dans les années 70, l'échec commercial du Concorde, trop gourmand en kérosène, fut transformé par les cocardiers de tous poils, de la droite à la gauche, en lutte du David français contre le Goliath américain. En fait, à 46 000 francs l'aller-retour Paris / New-York, le Concorde est, aujourd'hui, un joujou pour riches et hommes d'affaires... de tous les pays.
Pourtant, novateur à l'époque, le Concorde est devenu vétuste, à l'image des calculateurs embarqués fonctionnant encore aux lampes ou du couplage des deux moteurs sur chaque aile qui ne répond plus aux normes de sécurité actuelles. Mais, chut, il ne faut pas le dire puisque l'honneur du pays est en jeu !
Les salariés d'Air France, des pilotes au personnel de maintenance, font eux de leur mieux, et cela, dans des conditions de plus en plus difficiles. La direction d'Air France n'a que le mot rentabilité à la bouche, la privatisation en avril 1999, nommée hypocritement " ouverture du capital ", n'ayant rien arrangé, au contraire. Cette année, Air France prévoit un plan d'économie de 3 milliards de francs. Les effectifs ne suivent pas l'augmentation du trafic. La direction a de plus en plus recours aux heures supplémentaires, à la sous-traitance et aux contrats précaires.
Une politique diamétralement opposée à la sécuritédes usagers et des salariés d'Air France.
Ces derniers doivent jongler avec les plans de vols, voire avec les pièces de rechange. Sur le Concorde qui s'est écrasé mardi et qui revenait, la veille, de New- York, les mécaniciens ont dû en urgence changer une pièce défectueuse en la prélevant sur un autre Concorde qui sert de réservoir à pièces détachées !
Pourtant Air-France a fait 2,3 milliards de francs de bénéfice sur la période 1999- 2000. Les gros actionnaires privés d'Air France, comme le fonds de pension Fidelity, doivent trouver que ce n'est pas encore assez.
Certes, l'avion reste un moyen de transport relativement sûr : environ 700 morts sur 1,5 milliard de passagers transportés en 1999. Mais le nombre d'accidents a tendance à augmenter. La Fédération Internationale des Pilotes de Ligne prévoit même un doublement du nombre d'accidents aériens mortels d'ici 2007. Responsable : l'augmentation du trafic, mais, aussi la déréglementation et la libéralisation du trafic aérien, avec pour dernier exemple, le projet de privatisation du contrôle aérien en Europe.
Durant les dix dernières années, par exemple, pendant que le nombre de passagers embarqués sur Paris augmentait de 40 %, le trafic aérien parisien a crû d'environ 60 %. L'ouverture à la concurrence des lignes aériennes a entraîné une inflation du nombre de transporteurs et de vols. Résultat : chaque compagnie, pour attirer ou retenir les clients, brise ses tarifs au dépens, d'abord, des conditions de travail de son personnel et, finalement, de la sécurité de tous.
Alors, gouvernement et patrons de compagnies aériennes reparlent aujourd'hui de sécurité, le temps d'un drame, mais passé l'émotion...
Éditorial des bulletinsd'entreprise " l'Etincelle "du lundi 31 juillet 2000