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- Lutte ouvrière n°1684
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Lire (réédition) : Passage des miracles (de Naguib MAHFOUZ)
(Passage des miracles, de Naguib Mahfouz, domaine étranger, Editions 10/18, 350 pages, 45 F environ)
Ce passage des miracles est en fait une impasse, sans issue, où celui qui naît là, meurt là aussi, sans avoir pu échapper, si ce n'est un court moment, à la misère matérielle mais aussi morale qui est le lot de ses habitants, jeunes et vieux. En fait de passage des miracles, c'est bien plutôt d'une cour des miracles, au fond du vieux Caire, qu'il s'agit ici.
On est dans la période de la Seconde Guerre mondiale et l'Egypte est en principe indépendante. En pratique, elle est sous l'autorité politique et militaire de l'impérialisme anglais, dont les troupes stationnent dans le pays, protégeant en particulier le roi Farouk et sa dictature sur la population. Dans l'un des quartiers parmi les plus pauvres du vieux Caire, l'impasse du Mortier (tel est le véritable nom de ce passage des miracles) abrite un échantillon bigarré du petit peuple cairote, petits commerçants, marieuse, cafetier, barbier, toubib, faiseur de mendiants (particulièrement habile à estropier, moyennant quelques sous, ceux qui veulent avec succès faire profession de mendicité), boulanger, et bien sûr, le sage qui dispense conseils et bénédictions au nom d'Allah. La guerre est loin, au-delà de cette frontière qui marque la fin de l'impasse et le début des grandes rues du Caire. Mais cette guerre représente pour certains une attirante quoique imaginaire source de richesses par les emplois et l'argent que l'armée britannique est censée dispenser.
Dans l'impasse, dans cet envers du décor, la vie est étroitement réduite à presque rien, les jours s'écoulent dans une monotonie terrible. La plupart vivent de petits boulots tandis que les quelques commerçants qui réussissent à amasser un peu d'or ne savent pas vraiment comment en profiter, si tant est qu'ils aient envie de faire autre chose que de le compter. Dans ce monde clos, sans perspective, en particulier pour les plus jeunes, ceux qui tentent de partir y reviennent malgré eux ou ne survivent pas à leur départ, comme s'il était impossible d'échapper à la misère plus encore qu'à la tradition.
Pourtant, ce n'est ni le désespoir ni la résignation qui s'exprime à travers ce roman, peuplé de personnalités nombreuses et différentes. Mahfouz réalise seulement une peinture sociale, à la fois terrible et pleine d'humanité, de couleur et d'humour, du peuple du vieux Caire au sein duquel il introduit le lecteur, pour lui faire partager quelques épisodes truculents, sordides ou émouvants de sa vie quotidienne.