Algérie : L'UGTA appelle à la grève mais pour y jouer les pompiers30/03/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/03/une-1707.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Algérie : L'UGTA appelle à la grève mais pour y jouer les pompiers

Le mardi 20 mars, l'activité économique du pays a été paralysée par la grève des travailleurs du pétrole et industries annexes, et des actions de solidarité de toute la classe ouvrière. C'est le plus important mouvement depuis la grève des travailleurs du secteur parapétrolier en 1995. L'essence à la pompe a été bloquée et les travailleurs de nombreuses usines ont arrêté le travail ou participé à des "marches" de protestation. Selon l'UGTA, syndicat officiel et proche du pouvoir qui a appelé, la participation se serait élevée à 92 %.

C'est un avant projet de loi du gouvernement sur la restructuration du secteur des hydrocarbures qui a mis le feu aux poudres. En particulier la perspective de la privatisation de la Sonatrach (entreprise d'Etat qui gère le secteur pétrolier, de l'extraction à la pompe en passant par la raffinerie, et a toujours fait figure de fleuron de l'économie nationale). Cette annonce a entraîné l'ébullition des secteurs liés à l'énergie - très importants en Algérie - et une importante solidarité dans toute la classe ouvrière. Des secteurs importants de la sidérurgie (Alfasid) et de la métallurgie (SNVI à Rouiba) ont fait grève. Des postiers, des hospitaliers, des employés communaux et des enseignants se sont joints au mouvement.

Depuis des années, c'est au nom de la privatisation et de la modernisation que patronat et gouvernements font subir aux travailleurs de l'industrie d'Etat (toujours prépondérante) des licenciements massifs, des fermetures d'usines et des baisses de salaires. En projet pour 2001, la privatisation d'encore 184 entreprises (63 seraient vendues et 121 verraient leur capital ouvert à des participations).

Depuis plus de dix ans, les gouvernements ont proclamé qu'il fallait sortir du "socialisme de Boumedienne" et libéraliser, "réformer l'économie nationale pour l'adapter aux principes de liberté d'entreprise et de performance"... comme le serinent les politiciens bourgeois de tous bords. Les voyants économiques sont au vert pour la bourgeoisie - hausse des recettes à l'exportation, hausse du prix de vente et des quantités de pétrole vendues, excédent budgétaire, baisse du service de la dette, mais ils sont au rouge pour les travailleurs - prix multipliés par cinq en dix ans, chômage d'un tiers de la population active et pauvreté en hausse continue. Le gouvernement se vante même d'avoir assuré la soupe populaire à 7 millions de personnes !

Confrontée au mécontentement populaire, l'UGTA a pris l'initiative de la protestation du 20 mars dans le but de le domestiquer et de le contrôler. Les dirigeants de l'UGTA sont des supplétifs du pouvoir. Ils ont récemment fait la campagne électorale de Bouteflika. Ils ont négocié les privatisations avec les gouvernements successifs et même aujourd'hui, ne s'y opposent pas mais jouent surtout des coudes pour qu'elles soient négociées avec eux. Les fédérations syndicales du pétrole, de la chimie et du gaz, soutenues par celle des mines et par plusieurs syndicats d'entreprises ont certes appelé au mouvement de grève, mais l'ont limité à une "journée de protestation", parfois une heure de débrayage dans de très nombreuses entreprises. Les dirigeants de l'UGTA se vantent de l'avertissement donné, dont ils comptent tirer profit dans leurs marchandages avec patronat et gouvernement, mais ils ne sont pas près d'évoquer, a fortiori d'organiser, la riposte générale des travailleurs qui serait nécessaire contre les coups qui leur sont portés et ne se limitent pas aux privatisations.

Les partis politiques de leur côté jouent tous la prudence, ceux qui participent au pouvoir, du RCD aux islamistes en passant par le FLN, comme ceux qui se déclarent dans l'opposition comme le FFS. Chacun y va de son petit couplet sur le caractère légitime, légal, constitutionnel de la grève, mais pour ajouter qu'il ne faudrait pas qu'elle nuise aux intérêts de l'économie nationale - parmi lesquels ils classent tous les privatisations... C'est le FFS qui se donne des allures "de gauche" qui a marqué le plus ses distances par rapport à la grève et mis en garde contre les "manipulations politiques du pouvoir". Ce faisant, il apporte de l'eau au moulin de "démocrates" bourgeois qui prétendent que la journée aurait eu pour seul but de préserver les avantages que des clans du pouvoir, dont l'UGTA, tireraient de la rente pétrolière. Et le SATEF, syndicat de l'enseignement lié au FFS, a refusé d'appeler à la grève. De sacrés micmacs politiciens !

Les illusions sur Bouteflika sont tombées bien vite. La misère s'accroît et les attentats continuent. La loi de "concorde civile" promulguée par Bouteflika a réhabilité des islamistes mais n'a pas arrêté les massacres. On dénombre officiellement 9 123 morts depuis sa venue au pouvoir (près de 200 000 morts depuis dix ans). Et des ouvrages et témoignages récents, largement commentés, accusent des escadrons de la mort à la solde de la dictature militaire d'être responsables de grands massacres comme celui de Bentalha à l'été 1997.

En octobre 1988, c'est la classe ouvrière qui avait donné le signal de la révolte et fortement marqué la période par la radicalisation des luttes dans les entreprises. Depuis, les attentats et la répression, où islamistes et pouvoir se sont partagé à leur façon les rôles, ont étouffé si ce n'est terrorisé la classe ouvrière. Elle n'en est pas moins toujours présente. Même si pour faire face à l'offensive de la bourgeoisie, il lui manque un programme et une direction propres, en opposition radicale avec le pouvoir et tous ses soutiens politiques.

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