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- Lutte ouvrière n°1736
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L'Exposition coloniale (Paris 1931) : Quand les dirigeants français exaltaient leur "mission civilisatrice" coloniale
C'est Gaston Doumergue, alors dans la dernière année de son septennat présidentiel, le ministre des Colonies Paul Reynaud et le maréchal Lyautey, ancien résident général au Maroc, figure symbolique de la colonisation, qui inaugurèrent le 6 mai 1931 l'Exposition coloniale internationale, installée à Paris, bois de Vincennes. Cette exposition, qui ouvrit ses portes jusqu'au mois de novembre 1931, devait exalter la grandeur de l'empire colonial français, alors le second empire colonial derrière la Grande-Bretagne, et vanter les "bienfaits" de la colonisation.
Le colonialisme affiché
Si d'autres empires coloniaux étaient présents, la part belle était donnée à l'empire français. Des affiches publicitaires disaient : "Pourquoi aller en Tunisie quand vous pouvez la visiter aux portes de Paris ?" Des palais et des villages furent reconstitués : le palais marocain, la rue d'un village soudanais, la grande mosquée de Djenné pour le Niger, l'immense temple khmer d'Angkor Vat, dont la masse dépassait celle de la basilique du Sacré-Coeur, qui représentait la présence française en Indochine. En ces années où le sort de l'Indochine était remis en question, on fit une large place à ce "joyau de la colonisation française" : la part réservée aux seuls palais et temples d'Indochine représentait, à elle seule, le dixième de la superficie totale de l'exposition. Les dirigeants français, qui parlaient beaucoup de dignité humaine, firent même venir depuis les colonies des "indigènes" pour remplir ces villages et rues reconstitués. Des Canaques furent montrés au Jardin d'acclimatation, comme des animaux dans un zoo, et présentés comme des cannibales.
Outre la propagande sur les soi-disant bienfaits de la colonisation et la "mission civilisatrice de la France", l'objectif était aussi de donner à l'homme d'affaires l'envie d'investir. Lyautey avait demandé qu'on insistât aussi sur les réalisations de la "politique indigène" et les progrès économiques dus à la colonisation.
Le grand reporter Albert Londres avait rappelé, trois ans avant l'Exposition coloniale, qu'en Afrique, "en deux cents kilomètres de voie ferrée, dix-sept mille nègres furent sacrifiés... Un nègre par traverse." André Gide avait dénoncé, dans un de ses livres de récits de voyage en Afrique : "Le chemin de fer Brazzaville-Océan est un effroyable consommateur de vies humaines". Voilà ce qu'il en était des "progrès" apportés par la colonisation, ce dont Lyautey et les autres organisateurs de cette Exposition coloniale ne se vantèrent pas !
33 millions de tickets furent vendus en 6 mois. Les organisateurs estimèrent à 8 millions le nombre des visiteurs différents, soit, pensaient-ils, 4 millions de Parisiens, 3 millions de provinciaux et 1 million d'étrangers. Dans les milieux gouvernementaux, on affirmait que le but fixé avait été atteint : "L'esprit colonial avait pénétré les masses populaires".
RÉVOLTES DANS LES COLONIES
Mais en fait ces années 1930 furent des années d'agitation révolutionnaire, dans les colonies indochinoises en particulier. Il y eut des soulèvements en Indochine, férocement réprimés. "Le communisme, disait le ministre des Colonies Paul Reynaud le 23 février 1931, veut chasser la France de l'Indochine". A l'occasion des manifestations du 1er mai 1931, alors que l'Exposition coloniale allait s'ouvrir, il y eut des manifestations et la répression fit plusieurs centaines de morts du côté des manifestants indochinois.
Ces massacres et la grande misère des peuples des colonies, il n'en fut bien sûr pas question à l'exposition de Vincennes.
Des anticolonialistes, en France, cherchèrent cependant à dénoncer "leur" colonialisme. Ainsi la Ligue contre l'oppression coloniale et l'impérialisme, le PCF et la CGTU lancèrent une grande campagne d'agitation contre "l'Exposition internationale de l'impérialisme". Cette Ligue française contre l'impérialisme organisa à Paris une "Exposition anti-impérialiste" qui présentait "la vérité sur les colonies", avec des photographies sur les guerres coloniales, ou des graphiques sur "les profits fabuleux" des sociétés capitalistes. Il y eut aussi, dans diverses villes françaises, des comités de lutte contre l'Exposition coloniale qui distribuèrent des tracts en langue vietnamienne, malgache et française dénonçant "l'oppression sanglante des impérialistes exploiteurs", "l'oeuvre de civilisation, cette pure hypocrisie aux dessous ignobles". Le Secours Rouge International avait préparé de minces brochures anticolonialistes présentées sous le titre : "Le véritable guide de L'Exposition coloniale contenant des chiffres accablants sur la répression dans les principales colonies françaises et des dessins illustrant violences et massacres." Le Parti Communiste qui, en cette année 1931, ne s'était pas encore transformé en défenseur de l'empire colonial, dénonçait lui aussi l'impérialisme français et sa politique colonialiste. Des écrivains du groupe surréaliste, dont André Breton et Paul Éluard, diffusèrent un tract intitulé "Ne visitez pas L'Exposition coloniale !" et exigeant "l'évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et fonctionnaires responsables des massacres d'Annam, du Liban, du Maroc et de l'Afrique centrale".
Enfin, les communistes indochinois et les nationalistes algériens menèrent aussi leur campagne anti-impérialisme français. Messali Hadj a confirmé, dans des pages inédites de ses Mémoires, que l'Exposition, "cette mascarade colonialiste", avait permis le renforcement de son parti, l'Étoile nord-africaine.
Alors que les dirigeants de l'impérialisme français vantaient la grandeur de l'empire colonial français, les peuples, eux, commençaient à se révolter contre l'esclavage que celui-ci leur imposait. Et malgré une bourgeoisie qui allait s'accrocher bec et ongles à son empire colonial, ces peuples, de l'Indochine à l'Afrique, allaient finir par obtenir leur indépendance.