L'Europe et le monde paysan14/06/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/06/une1768.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

L'Europe et le monde paysan

Mardi 11 juin, plusieurs milliers de paysans, venus de divers pays de l'Union Européenne ou de pays candidats à l'adhésion à l'Union Européenne, ont manifesté à Strasbourg devant le siège du Parlement européen. Une délégation a été reçue par le président de celui-ci pour rappeler la demande de " prix justes " au moment où ce Parlement était en session et devait aborder la question de la PAC (la " politique agricole commune " européenne) et de sa révision en liaison avec l'adhésion à l'Union Européenne, en 2004, d'une dizaine de pays, principalement d'Europe centrale et orientale.

C'est un Comité des organisations professionnelles agricoles européennes qui patronait cette manifestation. Mais, derrière des pancartes proclamant : " Oui au modèle agricole européen, non à la baisse des prix " ou " Non au blé à prix bradé ", les enjeux ne sont pas les mêmes pour tous. Quoi de commun, par exemple, entre des agriculteurs ou éleveurs vivant, plus mal que bien, sur des petites exploitations en Pologne, en Slovaquie ou en Slovénie, qu'un rapport discuté à cette session de juin du Parlement européen caractérise comme de " semi-subsistance ", " datant d'avant la Seconde Guerre mondiale " et faisant vivre une bonne partie de la population du pays, et l'agriculture ouest-européenne que ce même rapport décrit comme " devenue un secteur de haute technologie qui occupe moins de 5 % de la population " ?

Quoi de commun surtout entre les intérêts, d'une part, des tout petits paysans d'Europe centrale et orientale, et leurs pareils d'Europe occidentale qui n'ont pas encore disparu, et d'autre part ceux qui ont profité de leur disparition, les magnats des céréales et de l'agro-alimentaire français, hollandais ou britanniques ?

Les uns et les autres vivent de la terre, dit-on. Mais il y a la grande masse de ceux qui en vivent de plus en plus mal (et dont la plupart, en Europe de l'Ouest, a été éliminée en quelques dizaines d'années depuis la Seconde Guerre mondiale pour servir de bras à l'industrie) et ceux, peu nombreux, qui en vivent plus que bien. Et cela, notamment grâce aux politiques nationales ou européennes (la fameuse PAC) de subventions de plus en plus ouvertement destinées au seul secteur capitalistique agricole.

Dans le cas des pays d'Europe centrale et orientale, la Commission de Bruxelles, en accord avec les autorités dirigeant les Etats de l'Union Européenne, se fixe comme objectif de conduire ces pays vers un " modèle agricole européen ". En clair, de réduire considérablement, et à marche forcée en une dizaine d'années, le nombre des petits paysans dans ces pays-là.

Le comble est que cet objectif est présenté comme destiné à améliorer la situation agricole de ces pays. Mais, outre qu'elle va saccager la vie de millions de paysans, cette politique, du fait des mesures protectionnistes mises en place par l'Union Européenne contre des importations agricoles d'Europe centrale décrites comme " trop compétitives ", a déjà abouti à réduire la production agricole et l'auto-suffisance alimentaire de ces pays, et aussi à faire baisser le niveau de vie de la majorité de leurs paysans.

La poursuite et l'intensification programmée de cette politique ne pourront qu'aboutir à une catastrophe sociale, humaine et économique et pour des millions de paysans d'Europe centrale et pour ses consommateurs. Au passage, la concurrence de ces paysans pris à la gorge et prêts à brader leur production pour tenter de survivre risque de ruiner encore plus certains petits paysans des pays actuellement membres de l'Union Européenne. On entendra alors les démagogues de tout poil dénoncer non plus seulement les " importations de blé ukrainien ", comme lors de la manifestation de Strasbourg, mais celles de porc hongrois, de lait slovaque ou de blé polonais, afin de masquer le fait que les seuls à profiter de la situation seront les grands exploitants et les grosses sociétés agro-alimentaires d'Europe de l'Ouest.

Partager