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- Lutte ouvrière n°1782
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Tribune de la minorité
Bain de sang en Côte-d'Ivoire : La débâcle de la classe dirigeante et la responsabilité de la france
La mutinerie commencée jeudi de la semaine dernière se poursuit au moment où nous écrivons. Combats et répression ont déjà fait des centaines de morts dans la capitale. Le pays est coupé en deux : le nord aux mains des mutins avec notamment la deuxième ville du pays, Bouaké, et le sud, dont la capitale Abidjan, aux mains du pouvoir de Laurent Gbagbo, le président-dictateur soi-disant socialiste.
Se présentant comme une force d'interposition, les forces militaires françaises régionales appuyées par des renforts et du matériel lourd se dirigent vers la région contrôlée par la mutinerie. La Côte-d'Ivoire, succursale française plutôt prospère autrefois, bascule de plus en plus vers la misère et la violence. Et l'intervention française va bien au-delà d'une simple interposition ou de la protection des ressortissants français, comme le prétend le gouvernement français. Les troupes ivoiriennes n'ayant pu intervenir contre la mutinerie lourdement armée, ce seraient des troupes angolaises payées et armées par la France qui ont sauvé le pouvoir à Abidjan (alors que l'Angola n'a aucune frontière commune avec la Côte d'Ivoire ni aucune raison d'y intervenir).
La mutinerie a été causée par la révolte de troupes qui devaient être démobilisées par le gouvernement, dans un pays où il n'y a pas d'autre emploi ni source de revenu à espérer. Quant à savoir quel clan de la bourgeoisie ivoirienne espérait s'appuyer sur cette révolte de soldats, il est impossible de le dire. Des opposants au régime comme le général Gueï ont été retrouvés morts. Mais il semble que le pouvoir profite des événements pour se débarrasser de ses adversaires. Ce qui est certain c'est que la population civile, qui n'a pris cette fois aucune part à la mutinerie, a été victime des bandes de tueurs du pouvoir. Des quartiers entiers de travailleurs ont été la cible des violences et exactions des forces armées gouvernementales comme cela avait déjà été le cas lors de la prise du pouvoir par Laurent Gbagbo les 25 et 26 octobre 2000. Une fois de plus la lutte des clans de la bourgeoisie ivoirienne a été le prétexte à un bain de sang dans les quartiers populaires d'une des capitales les plus ouvrières d'Afrique. Des bidonvilles ont été volontairement incendiés comme celui d'Agban et d'autres ont été vidés de leurs habitants par les forces armées de Laurent Gbagbo. Des milliers de personnes misérables ont dû fuir, abandonnant le peu qu'elles avaient.
S'il est difficile de dire qui sont les instigateurs de la mutinerie, il est clair que la bourgeoisie ivoirienne mais aussi française ont préparé ce gâchis. Le pays est depuis des mois déclaré en faillite par les organismes internationaux qui refusent de lui prêter des fonds. L'économie du pays s'effondre dramatiquement. L'État n'a plus d'argent pour faire fonctionner les services publics et souvent même plus pour payer ses policiers et militaires. Ce pays autrefois cité en exemple comme celui d'une décolonisation réussie est en fait resté sous la dépendance de la France, pillé par les Bolloré et autres Bouyghes (maître notamment des secteurs du bâtiment mais aussi de l'eau et l'électricité). Les trusts français détiennent plus que jamais les secteurs du café, du cacao, de l'huile ou du savon. Bolloré vient même de s'offrir le port d'Abidjan (la Carena) et la société des chemins de fer alors que le domaine de la téléphonie portable est passée entre les mains du trust français Orange qui vient de racheter Ivoiris.
Si les hommes de paille locaux de l'impérialisme, que l'on appelle ici les grotos ou les barons, ont pu amonceler des fortunes et vivre dans des palais, l'économie du pays n'a pas reçu une miette des bénéfices. Les dernières années ont été celles des restrictions imposées par le FMI, faites de restrictions des services publics, de privatisations et de dégraissage des emplois publics. La misère a envahi les villes. Les régimes successifs sont incapables de se stabiliser. Les prétendants au pouvoir se contestent mutuellement de façon permanente même si aucun ne se préoccupe de la misère des plus démunis. Tous, au pouvoir comme dans l'opposition, font de la religion, du régionalisme, de l'ethnisme ou de la xénophobie les bases de leur démagogie. Les travailleurs et tous les opprimés de Côte d'Ivoire n'ont certainement rien de bon à attendre des faiseurs de coups d'État, comme l'a montré la venue au pouvoir du général Robert Gueï en décembre 1999.
Dans une situation où la classe dirigeante se déchire, les travailleurs ont plus que jamais besoin de disposer d'organisations politiques indépendantes. Le pire serait d'attendre leur salut de dirigeants comme Gbagbo ou Ouattara, sous prétexte qu'ils sont de la même région, de la même religion ou de la même ethnie. Ces dirigeants bourgeois savent parfaitement que les travailleurs sont potentiellement une force en Côte-d'Ivoire et ils s'en méfient d'autant plus que la bourgeoisie est divisée et affaiblie. En 1999, ce sont les grèves et autres mouvements sociaux qui avaient discrédité le régime dictatorial de Bédié, successeur d'Houphouët-Boigny, avant qu'une mutinerie de soldats ne mît fin au règne des barons du parti unique, le PDCI d'Houphouët. Le bain de sang que les forces armées organisent aujourd'hui contre les quartiers ouvriers témoigne de la crainte qu'elles ont des travailleurs. La classe dirigeante se livre à une véritable terreur blanche préventive en même temps que ses différents clans s'affrontent dans des combats meurtriers. La seule issue serait que les travailleurs sachent défendre leurs intérêts propres dans le contexte de la déliquescence meurtrière des clans dirigeants. Ce serait la seule façon d'échapper au pire.