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Grande-Bretagne : Marche de la campagne ou ouverture de la chasse à l'euro ?
3 400 cars et 30 trains spéciaux auront été affrétés par l'Alliance Rurale, sans parler d'une horde de Range-Rover haut de gamme, pour amener quelque 400 000 participants à la marche qu'elle organisait dans les rues de Londres le 22 septembre.
Le prétexte de cette démonstration de force est pourtant bien dérisoire. Il s'agit d'un projet de loi, en panne depuis cinq ans sans que Blair se décide à le faire adopter, qui interdit un type de chasse dans lequel le gibier est dépecé vivant et mis à mort par des meutes de chiens spécialement dressés à cet effet - cas, par exemple, de la chasse au renard.
Il faut rappeler qu'en 1997 Blair avait donné un petit ton populiste à son programme électoral, en promettant de mettre fin à ce symbole aristocratique qu'est la chasse à courre - ce qui avait l'avantage de ne rien coûter. Cinq ans après, de reculade en reculade, il ne reste de cette promesse qu'un timide projet de loi qui ne remet en cause ni la chasse à courre, ni la chasse tout court, mais seulement cette survivance sanguinaire des passe-temps de la noblesse du Moyen Âge qu'est la chasse de meute.
Mais la veulerie dont il a fait preuve n'a pas valu à Blair la reconnaissance des partisans de la chasse à courre, ni des couches réactionnaires et surtout aisées qui se réclament des " valeurs de la Couronne et de l'Empire " - qui ne sont d'ailleurs pas uniquement rurales, loin s'en faut. Tout au contraire, elles y ont vu une invitation à donner de la voix. C'est dans ce but que fut constituée l'Alliance Rurale, pour unir en un front commun le ban et l'arrière-ban des courants réactionnaires qui traversent ces catégories sociales, au nom de la défense de l'individu face aux ingérences de l'État, en profitant du mécontentement général résultant de la crise de ces dernières années dans l'agriculture.
Ainsi, à côté des uniformes impeccables des chasseurs à courre (ils avaient quand même laissé leurs chevaux à l'écurie), défilaient des milliers d'exploitants agricoles avec leurs familles et leurs salariés, accusant Blair de céder aux pressions de Bruxelles en limitant les aides à l'agriculture et de les condamner du même coup à l'extinction - sans même voir l'ironie qu'il y avait à hurler dans le même souffle contre les " ingérences gouvernementales dans la vie rurale " ! On y trouvait aussi des petits-bourgeois enragés venus de leurs Clochemerles pour défendre leur vie bucolique, face aux " envahisseurs " fuyant le boom des prix immobiliers dans les grandes villes, ou encore des représentants d'une écologie très ouvertement réactionnaire, affichant leur hostilité envers le progrès technique et clamant des slogans néo-malthusiens.
Mais surtout, ce qui marquait cette marche était l'étalage de tous les poncifs réactionnaires que l'on peut concevoir, allant des adversaires de l'avortement aux partisans de l'expulsion de tous les demandeurs d'asile, en passant par toutes sortes de sectes religieuses intégristes venues protester contre l'ordination des femmes et des homosexuels, ou encore des nostalgiques de l'Empire mélangeant dans leurs slogans le rejet de l'euro à l'exigence du maintien de Gilbraltar dans le " royaume ".
Pour les sponsors de l'Alliance Rurale, peu importait d'ailleurs ce caractère pour le moins hétéroclite, voire parfois franchement loufoque. Pour cette brochette de propriétaires terriens (dont deux des plus grands du pays, le prince Charles et le duc de Westminster), fermiers industriels, spéculateurs fonciers et autres lords, et pour les politiciens du Parti Conservateur qui se profilent derrière (quoiqu'ils s'en défendent), il s'agissait de réussir une démonstration de force, destinée à peser sur la politique d'un gouvernement qui n'a déjà que trop montré son empressement à céder aux pressions des classes privilégiées.
Mais surtout, sans doute, il s'agissait de prendre date en prévision d'une autre échéance, plus importante sur le plan politique parce que plus susceptible de saper la majorité parlementaire du Parti Travailliste - celle du référendum sur l'euro, qui pourrait bien avoir lieu l'an prochain. De la démagogie sur les droits de l'individu face aux ingérences de l'État, à la démagogie sur la tutelle de Bruxelles, il n'y a pas loin. C'est de cela que le Parti Conservateur a fait son cheval de bataille. Il lui manquait des troupes pour l'appuyer. Peut-être les a-t-il trouvées.