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Irak - Fallouja : Un massacre annoncé
Un millier de morts, plus de 500 blessés et un millier de prisonniers du côté irakien, 38 morts et 320 blessés parmi les troupes d'occupation: tel serait, de source américaine, le bilan des combats qui durent depuis près de deux semaines dans la ville rebelle de Falluja, aujourd'hui réduite à l'état de ruines. C'est un bain de sang qui marque une nouvelle escalade dans la guerre à laquelle se livrent les forces d'occupation contre la population.
Après avoir pilonné Fallouja pendant une semaine, 12000 marines étaient entrés dans la ville le 8 novembre, précédés de blindés lourds, détruisant à coups de canon tout ce qui ne l'avait pas été par les bombardements. Le nombre des victimes et le fait que, une semaine après, des combats se poursuivaient encore dans les quartiers sud de la ville, attestent de la violence de l'offensive américaine comme de la défense acharnée à laquelle elle s'est heurtée de la part de la résistance armée. D'ailleurs, à en croire la presse, c'est pratiquement ruine par ruine que les marines ont dû prendre la ville.
Les objectifs américains
On ne saura sans doute jamais le nombre réel de victimes civiles irakiennes. Mais pour les galonnés américains, l'affaire était réglée d'avance: il n'y avait pas de civils mais uniquement des "terroristes". Qu'importe si entre 75000 et 150000 habitants ont été pris au piège, faute de pouvoir fuir à temps, et si les bombes et les obus américains n'ont pas fait le détail entre civils et combattants! Même les journalistes accrédités auprès des marines ont fait état de l'odeur pestilentielle des cadavres en décomposition qui régnait dans les quartiers "libérés" de Fallouja, suite aux bombardements des jours précédents.
Les dirigeants américains n'ont jamais fait mystère de leurs intentions concernant Fallouja. Leurs généraux ont multiplié les déclarations à la presse parlant de "faire un exemple", d'"écraser les insurgés", voire de "détruire Satan". Mais contrairement à la fable officielle, leur cible n'était pas al-Zarqawi, ce Jordanien proche d'al-Qaida dont nul ne sait s'il existe ailleurs que dans l'imagination de la CIA, pas plus que les "centaines de terroristes étrangers" censés utiliser Fallouja comme base d'opérations. D'ailleurs cette fable a fait long feu. Washington ne semble pas ému le moins du monde d'avoir "manqué" al-Zarqawi, ni de devoir se contenter d'une vingtaine de combattants "étrangers"!
En réalité, si l'offensive américaine contre Fallouja avait sans doute un objectif militaire -affaiblir la résistance armée- elle avait surtout un objectif politique. Pour Washington, il s'agit avant tout de contraindre l'ensemble de la population irakienne à la soumission, en lui montrant ce qu'il en coûte de s'opposer à l'occupation ou de soutenir ceux qui la combattent. Le bain de sang infligé à la population de Fallouja relève du terrorisme d'État sous sa forme la plus brutale.
Même si les combats ne sont pas encore terminés à Fallouja, la disproportion des moyens militaires est telle que les marines sont assurés de rester maîtres de la ville -ou plutôt de ses décombres. Mais d'ores et déjà les événements indiquent que cette victoire sanglante pourrait bien ne marquer qu'un pas de plus dans l'enlisement des forces américaines.
Vers une réactionen chaîne ?
D'abord, dans ces conditions, les fameuses élections que Bush avait promises pour le 31 janvier prochain au plus tard font figure de farce sanglante. Après le bain de sang de Fallouja, des forces qui avaient accepté de jouer le jeu des occupants prennent leurs distances. Le Parti Islamique d'Irak, principal parti sunnite au gouvernement, s'en est retiré en appelant à boycotter ces élections -ce qui a valu à l'un de ses dirigeants, le vice-président du Parlement, de se faire arrêter par les autorités américaines. Dans le même temps, Moqtada al-Sadr, le leader du soulèvement chiite de mars dernier, qui avait aussi choisi de jouer le jeu électoral, a également fait machine arrière, privant ainsi Washington de l'appui de deux des principaux courants islamistes du pays.
Mais ces élections pourraient aussi être le moindre des soucis des dirigeants de Washington. Car après leur victoire sanglante à Fallouja, ils pourraient se retrouver face non pas à un, mais à toute une série de Fallouja.
Au moment même où les troupes américaines entraient dans cette ville, des groupes armés passaient à l'offensive à Mossoul, la troisième ville du pays, située en bordure du Kurdistan. Dans la semaine, ces groupes prenaient le contrôle d'une grande partie de la ville, après avoir pris d'assaut et incendié les commissariats de police. Pendant ce temps, dans la plupart des principales villes sunnites du centre et du nord du pays, et dans plusieurs quartiers sunnites de Bagdad, les forces américaines devaient faire face non plus seulement à des embuscades ou à des attentats terroristes, mais à des actions offensives de la part de groupes bien armés et déterminés. À Baqouba, au nord de Bagdad, les autorités américaines, apparemment prises de court, ripostaient même le 14novembre en bombardant en plein jour un quartier de la ville.
Une fois déjà, en mars-avril dernier, les provocations des forces d'occupation avaient offert à des leaders intégristes l'occasion de se poser en champions d'une lutte radicale contre l'occupation, leur permettant du même coup de renforcer leur influence. Le massacre de Fallouja pourrait avoir les mêmes conséquences, mais en faisant monter encore plus les enchères. En noyant sous ses bombes le feu qui couvait à Fallouja, les dirigeants de Washington risquent d'avoir allumé un incendie qu'ils pourraient avaient du mal à contenir, quel que soit le prix qu'ils font payer d'abord, comme toujours, à la population.