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Dans le monde
Irak : Après les élections, la guerre continue
De Washington à Londres en passant par Paris, tous les dirigeants occidentaux y sont allés de leur couplet pour encenser le "pas vers la démocratie" que représenterait, selon eux, la participation électorale "plus élevée que prévue" lors du scrutin du 30 janvier en Irak.
Le chiffre de 67% de participation, claironné dès la fermeture des bureaux de vote par le Premier ministre mis en place par les USA, Allaoui, a aussitôt été célébré comme une victoire par l'administration Bush -qui, il faut le dire, avait bien besoin de pouvoir se prévaloir d'un succès auprès de son opinion publique. Et qu'importe si, dans le même temps, des officiels d'Allaoui reconnaissaient que ce chiffre ne pouvait être qu'une grossière estimation, du fait de la suspension des communications satellitaires décrétée pour les élections.
En fait, les seuls chiffres précis dont on dispose, bien qu'ils soient très localisés, tendraient à montrer une réalité bien différente. Les autorités américaines reconnaissent elles-mêmes qu'à Ramadi, Fallouja et Samarra, trois villes importantes du "triangle sunnite", la participation n'aurait pas atteint le seuil de 10%. Même les Irakiens de l'immigration, sur lesquels Allaoui semblait compter tout particulièrement, ne se sont pas mobilisés: en Grande-Bretagne, l'un des principaux bastions de cette émigration, moins de 20% des électeurs potentiels ont usé de leur droit.
Quant au prétendu enthousiasme démocratique qu'aurait suscité ce scrutin, d'après la plupart des commentateurs, si les télévisions ont bien montré de longues queues devant certains bureaux de vote, elles n'ont pas donné autant de publicité, par exemple, à l'interview d'un habitant de Bagdad, réalisée par l'agence Interpress, expliquant que les responsables de son quartier avaient fait savoir que seuls les électeurs ayant émargé dans les bureaux de vote pourraient bénéficier de leur ration mensuelle (ce sont en effet les cartes de rationnement qui servaient de carte d'électeur).
Ce que Bush et les leaders occidentaux voudraient faire passer pour un "pas en avant vers la démocratie" n'est qu'une sinistre parodie, ensanglantée par les massacres commis par les forces d'occupation depuis près de deux ans et, plus particulièrement, celui de Fallouja il y a moins de trois mois. Le jour même des élections, 39 Irakiens ont trouvé la mort et une centaine d'autres ont été blessés dans des attentats, sans doute pas commis par les occupants, mais qui sont néanmoins la conséquence de leur présence. Et c'est sans même parler des cinq soldats américains morts ce jour-là dans des attentats, ou de la douzaine de soldats anglais qui ont subi le même sort lorsque leur avion a été abattu par une roquette au nord de Bagdad.
Le mot de "démocratie", clamé sur tous les tons par Bush, est là surtout pour justifier son intervention militaire auprès de l'opinion américaine, de plus en plus sceptique. Mais pour une population irakienne qui, en plus de devoir vivre sous la menace permanente des tanks occidentaux et des attentats des bandes armées, se trouve privée de tout, il reste une abstraction. Car, tandis que les grandes entreprises américaines se partagent les dizaines de milliards de dollars de la "reconstruction", sans que personne en voie la matérialisation sur le terrain, la vie de la population irakienne reste ponctuée par les interruptions de courant électrique ou d'alimentation en eau potable, les débordements d'égouts (là où ils n'ont pas été détruits ou bouchés par les bombardements), les queues pour le retrait des rations alimentaires mensuelles ou encore les pénuries périodiques de kérosène, seul combustible disponible pour la cuisine. Des centaines de milliers d'Irakiens en sont réduits à vivre dans des villages de toile, réfugiés dans leur propre pays du fait des bombardements de représailles anglo-américains. Pour la population irakienne, l'importation de la "démocratie" signifie d'abord une misère aggravée.