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Editorial
Mitterrand : Le mal qu'il faisait aux travailleurs,il le faisait bien
Les ministres socialistes du passé et ceux qui rêvent de le devenir étaient présents au cimetière de Jarnac pour commémorer le dixième anniversaire de la mort de Mitterrand. À la télévision comme à la radio, pas moyen d'échapper au concert de louanges déversées sur ce président "de gauche" qui avait réussi à parvenir à la tête de l'État, dans ce pays où l'électorat de droite est majoritaire, et à s'y maintenir pendant quatorze ans. Et, dans ce concert, pas la moindre réserve sur son passé ou sur ce qu'il a fait, une fois président.
Oublié que cet "homme de gauche" avait commencé sa carrière sous Pétain comme homme de droite. Oublié que, dirigeant d'un petit parti de centre-droit sous la IVe République, il avait été onze fois ministre, y compris dans des gouvernements les plus ouvertement antiouvriers et anticommunistes.
Parmi ses anciens ministres, il en est même qui tentent de fabriquer aujourd'hui un passé d'anticolonialiste de la première heure à ce politicien qui avait été ministre pendant toutes les sales guerres menées pour garder l'empire colonial de l'impérialisme français, de l'Indochine à l'Algérie. Il s'était illustré par des déclarations du genre: il n'y a "qu'une seule France, de la Flandre au Congo", "L'Algérie, c'est la France" ou, pendant la guerre d'Algérie, "La seule négociation, c'est la guerre".
Si cet homme a pu se transformer en chef de file de la gauche, ce fut par la grâce du Parti Communiste qui avait fait de lui, à l'élection présidentielle de 1965, le "candidat unique de la gauche". À l'époque pourtant, le PC recueillait aux élections plus de 20% des voix, bien plus que le Parti Socialiste en perdition. Mitterrand n'était même pas encore membre de ce parti. Et surtout, grâce à ses nombreux militants dans les entreprises et dans les quartiers populaires, le PC avait encore une influence considérable dans la classe ouvrière. Il en était ainsi encore lorsqu'en 1971 Mitterrand, fraîchement entré au PS pour en faire une machine électorale, en devint le chef. En usant de leur influence pour faire croire aux travailleurs que Mitterrand représentait un espoir, en propageant parmi eux l'idée funeste que ce n'était pas par leurs propres luttes qu'ils pouvaient se défendre mais en permettant à la gauche d'arriver au pouvoir, les dirigeants du PC ont cisaillé l'influence de leur propre parti.
Élu président de la République en 1981, Mitterrand fit entrer des ministres communistes dans son gouvernement, mais uniquement pour faire avaler sa politique aux travailleurs. Il prit, dans un premier temps, des mesures de gauche comme la suppression de la peine de mort. Il procéda à des nationalisations, mais moyennant des indemnisations telles que les anciens propriétaires eurent toutes les raisons de s'en réjouir. Mais les quelques mesures des premiers gouvernements socialistes en faveur des travailleurs furent vite abandonnées. Et, aujourd'hui, les travailleurs ont bien du mal à se souvenir combien de temps la gauche ou la droite ont été au pouvoir sous la présidence de Mitterrand, et qui a pris telle mesure antiouvrière, tant les mesures contre les travailleurs se poursuivent sans interruption depuis un quart de siècle.
Alors, si les dignitaires du PS ont des raisons d'être nostalgiques d'un homme qui a refait de leur parti un parti de gouvernement, les travailleurs ont surtout à se souvenir d'un homme qui a rendu au grand patronat et à la bourgeoisie le fier service de faire passer pour une politique de gauche une politique de soutien sans faille au grand patronat, au détriment des intérêts élémentaires du monde du travail. Et qui, accessoirement, a réussi à transformer le PC en force d'appoint pour le PS.
À côté des ex-ministres socialistes, étaient également présents au cimetière de Jarnac le directeur de cabinet de Chirac, un de ses ministres en exercice et son ancien Premier ministre, Raffarin. "Qui se ressemble s'assemble"! Mais les travailleurs n'ont aucune raison d'être parmi les nostalgiques de Mitterrand, pas plus qu'ils n'ont de raisons de faire confiance à ceux qui se sont bousculés à Jarnac pour se prévaloir d'un héritage, marchepied du pouvoir.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 9 janvier