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Dans le monde
Liberia : Les forçats des trusts du caoutchouc
Le journal Le Monde du 3 février a publié un reportage décrivant les conditions effroyables dans lesquelles vivent, au Liberia, les travailleurs d'une plantation de caoutchouc, propriété de Firestone, société du groupe Bridgestone, second producteur mondial de pneus.
Ceux qu'on appelle «les saigneurs d'hévéas», parce qu'ils entaillent les arbres et recueillent le latex qui en coule, sont payés trois dollars par jour et travaillent dans des conditions épouvantables. Trois à quatre fois par jour, sept jours sur sept, ils parcourent à pied le kilomètre entre la plantation et l'usine, portant à même l'épaule deux seaux de 30 kg. Sans aucune protection, ils déversent le latex dans une cuve remplie d'ammoniac, avant qu'un camion ne l'amène au port de Monrovia, la capitale, d'où un cargo part pour les usines Firestone aux États-Unis. Au Liberia, on ne transforme rien, on ne fait que recueillir la précieuse sève avec la sueur et le sang de ces forçats. L'un d'eux, père de huit enfants, s'exprime ainsi auprès de la journaliste du Monde: «Moi j'ai étudié douze ans à l'école. Je sais quels mots mettre sur les choses. C'est de l'esclavage comme dans les livres d'histoire. On joue entre les acides et l'ammoniaque. Ce travail, on ne fait qu'en mourir.»
Dans cette plantation de 400000 hectares, une des plus grandes du monde, huit millions d'hévéas sont ainsi traités, à raison de 650 à 800 arbres par «saigneur» et par jour, quand en 1956 le quota était de 250 à 300 arbres et en 1979 de 400 à 500. Et cela dure depuis 1926, date de la signature de la concession signée entre Firestone et le Liberia, concession renouvelée en 2005 pour dix-sept années supplémentaires «en compensation des années perdues pendant la guerre civile» qui a ravagé le pays pendant près de quatorze ans... mais sans que jamais la plantation n'en souffre. Depuis bientôt un siècle que Firestone pille ce pays, il n'a jamais pris la peine d'installer ni l'eau courante, ni l'électricité pour les 10000 ouvriers qui continuent de vivre dans des «divisions» aux murs en terre, aux toits en tôle ondulée, les familles -souvent plus de dix personnes- se partageant une pièce voire deux.
Ce reportage du Monde dénonçait les pratiques du groupe Bridgestone, 250eentreprise mondiale en termes de chiffres d'affaires, ayant réalisé plus de 22 milliards de dollars de bénéfices en 2005. Mais dans bien d'autres pays d'Afrique, d'autres sociétés occidentales pillent les richesses et exploitent les populations pauvres dans des conditions semblables, voire pires. Le seul empire de Vincent Bolloré, présent dans une quarantaine de pays africains (mais aussi en Asie, en Amérique du Sud, etc.), possède d'immenses plantations en Côte-d'Ivoire (hévéas), au Cameroun (palmiers à huile), etc., sur lesquelles les travailleurs sont soumis au même esclavage que chez Firestone. Car les fortunes de tous ces groupes n'ont pu s'édifier et continuer à grossir qu'avec la sueur et le sang des travailleurs du monde entier.