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Dans le monde
Italie : Prodi-Berlusconi ou les duettistes du patronat
Le dernier duel télévisé Prodi-Berlusconi, le 3 avril, était bien à l'image de la campagne pour les élections législatives italiennes des 9 et 10 avril, dans laquelle il était bien difficile de distinguer entre les programmes des deux coalitions, tant ils étaient semblables.
Prodi pour la coalition de centre-gauche, Berlusconi pour la coalition de centre-droit, ont rivalisé à qui promettrait moins d'impôts, à qui taxerait le moins les revenus des bons du Trésor, à qui promettrait de faire entrer plus de femmes dans son gouvernement, à qui aiderait plus au développement du Mezzogiorno, à qui promettrait d'être le plus compétent pour faire repartir l'économie italienne. Berlusconi, à qui les sondages prédisaient jusqu'à présent la défaite, a attendu la fin du débat, quand Prodi ne pouvait plus répliquer, pour sortir une botte secrète. Eh oui, a-t-il dit en conclusion, en cas de victoire nous promettons rien moins que l'abolition de l'ICI, l'impôt communal immobilier, sur l'habitation principale!
Berlusconi promettait ainsi de faire un cadeau avec l'argent des autres, puisque cet impôt est prélevé par les municipalités et sert en grande partie au financement de leurs services sociaux. Le lendemain, il déclarait qu'il ne croyait pas les Italiens "assez couillons pour voter contre leur propre intérêt" en ne choisissant pas le parti qui leur promet moins d'impôts. Ainsi, outre la grossièreté, était révélé le fond de la pensée berlusconienne, celle du camelot qui cherche des gogos "assez couillons" pour gober ses discours.
Mais le malheur est que face à ce triste charlatan, qui occupe tout de même depuis cinq ans le poste de Premier ministre du pays, on ne trouve que les partis de gauche et du centre regroupés dans une coalition, "l'Unione", et faisant tous allégeance à Romano Prodi. Cet homme du centre, démocrate-chrétien, a déjà largement fait ses preuves en tant que Premier ministre de 1996 à 1998, puis à la tête de la commission européenne. Et sa marque de fabrique est de se présenter comme le gestionnaire le plus sérieux et le plus apte à mener la politique dont la bourgeoisie italienne a besoin.
En effet, à la tête de l'Italie, puis de la commission européenne, Prodi a déjà appliqué et fait passer une politique d'austérité, imposé bien des mesures antiouvrières. Pourquoi ne pourrait-il en faire passer de nouvelles, d'autant plus qu'il bénéficie du soutien de toute la gauche, unie derrière lui au nom de la nécessité de "chasser Berlusconi", et de l'appui des organisations syndicales et notamment de la plus puissante, la CGIL?
Ce que Prodi promet au patronat italien, c'est une fois de plus une "baisse du coût du travail" proclamée comme une nécessité face à la concurrence internationale, et de l'accompagner d'une paix sociale garantie sur facture. Cela lui vaut d'ores et déjà l'appui ouvert de la Confindustria, équivalent transalpin du Medef, et de son dirigeant Luca Cordero di Montezemolo. Outre que même la Confindustria s'est attirée pour cela les injures de Berlusconi, une bonne partie des dirigeants patronaux estiment que celui-ci, au gouvernement, s'est un peu trop occupé de ses propres affaires, et pas assez des intérêts de l'ensemble des patrons.
Alors, face au grand patron Berlusconi qui ne pense qu'à son propre groupe, la Confindustria est prête à soutenir Prodi. Il promet de faire passer sans heurt, auprès des travailleurs, les mesures antiouvrières qu'elle exigera. Il ne fait aucune promesse quelle qu'elle soit aux travailleurs dont les voix lui permettront d'être élu. Il dit même déjà que, vu la situation catastrophique dans laquelle Berlusconi lui laissera l'économie et les finances de l'État, il faut se préparer à des efforts. Et ces "efforts", il n'est évidemment pas question de les demander au grand patronat alors que, malgré toutes ses plaintes sur le "déclin" que subirait l'économie du pays, ses profits n'ont jamais été aussi florissants.
Alors la question qui se pose du point de vue des travailleurs, c'est d'abord au nom de quoi les principales organisations syndicales et de gauche apportent-elles leur soutien à un homme qui promet ouvertement de défendre l'intérêt du grand patronat? Et au nom de quoi les travailleurs devraient-ils se sentir liés à un éventuel gouvernement Prodi et obligés, par celui-ci et les organisations qui le soutiennent, de mettre leurs revendications sous la table?
On saura le 10 avril qui l'emporte, du "professore" Prodi ou du "Cavalliere" Berlusconi. Ou peut-être le résultat sera-t-il mitigé, ouvrant la voie à une décomposition des deux coalitions et à des combinaisons politiques dans lesquelles les petits partis du centre auraient un rôle d'autant plus grand qu'ils ont moins d'électeurs. Quoi qu'il en soit, le problème posé aux travailleurs italiens est de préparer leur riposte, sur leur terrain de classe, aux mauvais coups que tout ce beau monde leur a concoctés.
Et il est à souhaiter que cette riposte fasse mentir au plus tôt cette promesse de la paix sociale faite par Prodi aux patrons italiens.