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Leur société
Musée du quai Branly : Des siècles de pillage
Mardi 20 juin, Chirac, en compagnie du secrétaire général de l'ONU, inaugurait un nouveau musée parisien consacré aux «arts premiers». C'est d'ailleurs le nom qui avait été tout d'abord donné à ce musée mais, comme cela rappelait un peu trop le terme «primitif» donné encore il n'y a pas si longtemps aux objets d'art des anciennes civilisations africaines, asiatiques, amérindiennes ou océaniennes, il a finalement été décidé de l'appeler «musée du quai Branly»... en attendant, sans doute, de l'appeler un jour «musée Jacques Chirac»?
C'est en effet le président qui a commandé la construction de ce vaste musée qui rassemble les collections se rapportant aux «arts premiers»: 3500 pièces y seront exposées de façon permanente, sur les quelque 300000 qu'il contient. Ce ne sont pas des nouveautés, puisque la plupart proviennent de deux autres musées parisiens: le musée des Arts africains et océaniens (l'ancien musée des Colonies) qui a depuis fermé ses portes, ainsi que le musée de l'Homme. La bibliothèque, et plus de 200000 pièces proviennent des collections du laboratoire d'ethnologie de ce dernier. En 2003, le personnel du musée de l'Homme avait d'ailleurs manifesté contre cet état de choses: alors qu'il n'arrivait pas à obtenir des crédits suffisants pour l'entretien de ce musée, le ministère de la Culture projetait en plus de le vider de ses richesses pour les transférer dans celui du quai Branly. Des salles d'ethnologie avaient dû être fermées.
Mais s'il y a eu ainsi sans doute «pillage» d'autres musées, un autre pillage de bien plus grande ampleur s'est opéré et se poursuit au travers des guerres, de la colonisation et de ses suites. Pour ne remonter qu'au début du XIXe siècle, alors que Napoléon rapportait d'Egypte des antiquités qui se trouvent actuellement au Louvre et pillait sans vergogne les richesses d'Italie ou d'Espagne, les Britanniques s'affairaient à transférer à Londres la moitié des sculptures de l'Acropole et vingt dalles de la frise du Parthénon, que l'on peut encore voir au British Museum.
Le pillage continua à s'opérer, à une bien plus grande échelle, au moment de la colonisation. Les puissances impérialistes européennes dépouillèrent de leur liberté et de leurs richesses les peuples qu'elles soumettaient. Les objets d'art, ou même les objets de la vie quotidienne requalifiés à notre époque «d'art premier», n'échappèrent évidemment pas à ce pillage. Certains allèrent dans des musées, tel le musée des Colonies de la porte Dorée, beaucoup chez des particuliers qui, les phénomènes de mode aidant, accumulèrent, eux ou leurs héritiers, une fortune supplémentaire. Ainsi une statue bangwa, volée au Cameroun en 1897, a-t-elle été revendue 29000 dollars en 1966 et 3,1 millions de dollars en 1990. André Malraux, qui décrit dans son roman La Voie royale le pillage de temples cambodgiens, avait lui-même été condamné pour des faits similaires en 1924... avant de devenir quelque quarante ans plus tard ministre de la Culture de De Gaulle!
À notre époque, les objets témoignant des civilisations passées sont de plus en plus une marchandise de valeur. On estime que le pillage des biens culturels, provenant comme auparavant du vol des pays pauvres et alimentant les réseaux de trafiquants ou collectionneurs des pays riches, rapporterait entre 2 et 4,5 milliards de dollars à ceux qui le pratiquent, juste derrière la vente d'armes ou le commerce de la drogue. En Irak, en avril 2003, dès l'arrivée des troupes américaines, les richesses archéologiques ont été systématiquement volées, le musée de Bagdad mis à sac. Ces vols et la destruction de sites archéologiques se poursuivent en Irak, tout comme en Afghanistan ou dans de nombreux pays d'Afrique.
Bien sûr, les musées permettent de connaître des oeuvres d'art ou des témoignages de la vie d'autres peuples. Malheureusement, la façon dont leurs collections sont constituées est bien souvent aussi un témoignage de la façon dont ces populations ont été pillées sans vergogne par les conquérants successifs, venus le plus souvent de pays occidentaux et adeptes d'une méthode primitive (ou «première»?) de contact entre les peuples: l'invasion, les massacres et le vol. On espère que les futures générations trouveront entre peuples des moyens de se connaître, de se rencontrer et de se comprendre qui soient un peu moins «premiers» que ceux de ces prétendus «civilisateurs» occidentaux.