- Accueil
- Lutte ouvrière n°1983
- Pour qui résonnent les sirènes?
Editorial
Pour qui résonnent les sirènes?
On ne peut que ressentir un immense sentiment d'indignation devant les images venues du Liban, montrant ces cadavres d'enfants écrasés par des bombes israéliennes dans la cave où ils avaient cru trouver un abri; du moins quand on n'a pas le plus profond mépris pour la vie humaine.
Ce n'est évidemment pas le cas du Premier ministre israélien qui, après avoir exprimé quelques vagues regrets, a déclaré qu'il «n'était pas pressé d'arriver à un cessez-le-feu», et a osé prétendre que l'armée israélienne n'était pas responsable, puisqu'elle avait demandé à la population civile d'évacuer le Sud-Liban. Comme si c'était si facile quand les routes sont mitraillées en permanence, les ponts détruits, et plus encore quand on est pauvre et sans aucun moyen de transport.
Mais les dirigeants des grandes puissances qui, non seulement ne sont pas prêts à intervenir, mais n'ont même pas voté à l'ONU un texte condamnant ce massacre, ne valent pas mieux. Il est vrai qu'ils n'ont pas voté non plus, quelques jours auparavant, la condamnation du raid qui avait entraîné la mort de quatre de leurs observateurs. Certes, de telles condamnations n'auraient rien changé. Mais le fait de s'y refuser montre bien qu'Israël bénéficie du soutien de toutes les grandes puissances impérialistes. Des États-Unis et de la Grande-Bretagne, bien sûr, qui ont soutenu sans réserves les opérations menées au Liban depuis trois semaines. Mais aussi de pays, qui comme la France, ne réclament l'application des résolutions de l'ONU que lorsqu'elles vont dans le sens des intérêts israéliens, et se gardent bien de parler de celles qui demandaient l'évacuation par Israël des territoires palestiniens occupés depuis trente-neuf ans.
Chirac, comme le gouvernement des USA, se prononce pour le désarmement des milices du Hezbollah, comme si c'était cela qui pouvait régler les problèmes du Proche-Orient. Mais tout parallèle entre les bombardements israéliens et les roquettes tirées par le Hezbollah relève d'une parfaite hypocrisie.
Lancer des fusées sur les villes israéliennes, y tuer des civils, des femmes, des enfants, est certes une politique qui peut satisfaire le désir de vengeance de ceux qui se trouvent sous les bombardements israéliens. Mais c'est malgré tout une politique contraire aux intérêts des populations libanaises comme palestiniennes, parce que cela ne peut qu'amener la population israélienne à se ranger derrière son gouvernement (tout comme la politique du gouvernement israélien ne fait qu'amener une fraction toujours plus grande des peuples arabes à se tourner vers les islamistes).
Mais quand bien même le voudraient-ils, les dirigeants du Hezbollah ne peuvent pas se montrer aussi odieux que les dirigeants israéliens: ils n'en ont pas les moyens. Ils sont peut-être aidés par l'Iran et la Syrie, mais ce n'est rien à côté de l'aide massive, politique et matérielle, que le gouvernement israélien reçoit des grandes puissances impérialistes et en particulier des USA, qui comptent sur eux pour jouer le rôle de gendarme de l'impérialisme dans cette partie du monde.
Le Proche-Orient représente pour l'impérialisme américain un enjeu politique et économique considérable. Pour y imposer sa loi, il a déjà créé en Irak une situation explosive, dont nul ne voit l'issue. Que l'intervention israélienne au Liban ait été téléguidée par les USA, ou que ceux-ci se soient contentés d'appuyer une initiative israélienne, importe peu. La politique des frappes militaires a sa logique, qui peut entraîner ses partisans bien plus loin qu'ils ne souhaitaient aller au départ. Les menaces formulées depuis des mois par Bush contre l'Iran et la Syrie peuvent préluder à un embrasement de toute la région.
«Le capitalisme porte la guerre en lui comme la nuée porte l'orage», disait Jaurès il y a déjà longtemps. Les faits ne l'ont pas démenti, bien au contraire.
Ne nous réjouissons pas que les sirènes ne résonnent aujourd'hui qu'au Liban ou à Gaza. Elles pourraient bien retentir demain beaucoup plus près de nous.