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- Lutte ouvrière n°2249
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Leur société
La lettre-programme de Martine Aubry : « je veux vous parler de la France » ... pas des travailleurs
Martine Aubry, candidate au scrutin organisé par le Parti socialiste pour désigner son champion à la prochaine élection présidentielle, fait distribuer à un million d'exemplaires une lettre-programme.
Après quelques pages pour détailler l'idée qu'elle se fait de la France, elle conclut : « Il faudra aussi faire des choix car tout ne sera pas possible tout de suite », avant d'affirmer ses quatre priorités : « L'emploi -- tout pour l'emploi --, le pouvoir d'achat, l'éducation et la sécurité ».
L'emploi... pour la saint-glinglin !
« Donner la priorité à l'emploi, c'est d'abord mobiliser toutes les énergies pour produire en France et en Europe, et produire durable ». C'est le discours tenu par tous les gouvernements depuis quarante ans... avec le succès que l'on sait. Sous prétexte de favoriser l'emploi, le gouvernement fera encore des cadeaux supplémentaires au patronat. Lorsque Martine Aubry était ministre du Travail dans le gouvernement Jospin, sa loi sur les 35 heures avait déjà été l'occasion d'une véritable pluie de milliards pour le patronat. Cette fois, Aubry prône la « compétitivité-qualité », elle veut « rehausser l'effort de recherche et d'innovation privée comme publique », « soutenir les industries stratégiques et exportatrices, développer les filières d'avenir, aider les PME ». Elle « réduira le taux de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réinvestissent leurs profits » et créera même une banque publique d'investissement pour distribuer l'argent public au patronat. Celui-ci empochera comme toujours les aides et subventions, sans créer d'emplois pour autant.
En fait de priorité, Martine Aubry renvoie l'emploi aux calendes grecques, dès lors qu'elle avertit d'ailleurs « qu'il n'y aura pas de rétablissement durable de l'emploi sans une nouvelle croissance ». Les chômeurs devront donc faire preuve de patience en attendant la fin hypothétique de la crise ! Aubry se fait fort de les aider en créant « une sécurité sociale professionnelle », « permettant à chacun de reprendre des études et de rebondir après un licenciement ». Mais comment rebondir, s'il n'y a pas d'emplois ? Tous les gouvernements ont mis en avant la formation pour lutter contre le chômage... sans la moindre efficacité.
La seule mesure précise et chiffrée promise par Aubry, c'est la création de 300 000 emplois d'avenir pour les jeunes. Ces créations seront sans doute étalées sur la durée du mandat, car Aubry précise qu'il n'y en aura que 100 000 dans les six premiers mois, une misère par rapport aux 640 000 jeunes de moins de 25 ans inscrits à Pôle emploi ! C'est dire que l'avenir de la jeunesse restera lui aussi bien bouché.
Quant aux anciens, ils continueront à trimer au-delà de 60 ans, car si Martine Aubry promet de rétablir « le droit de prendre sa retraite à 60 ans », elle précise bien que seuls « ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé un emploi pénible » pourront partir alors avec un taux plein, les autres devront attendre d'avoir cotisé 41 ans et demi puis 42 ans... ou partir à 60 ans avec une retraite amputée.
Le pouvoir d'achat... toujours en berne !
Martine Aubry jette encore de la poudre aux yeux avec sa deuxième « priorité » : le pouvoir d'achat. Elle évoque « la répartition équitable des fruits de la croissance »... alors que la croissance est en berne. En fait de fruits, les salariés se partagent les pépins de la crise et ce n'est pas la « conférence salariale annuelle qui réunira l'État, le patronat et les syndicats » qui va y changer quoi que ce soit. On peut multiplier les parlotes autour du tapis vert : les NAO, les négociations annuelles obligatoires, montrent amplement qu'en l'absence de mobilisation des salariés, ce sont les patrons qui dictent leur loi.
D'ailleurs Aubry ajoute : « Parce que les Français ne peuvent pas attendre, j'instaurerai un rayon de prix citoyens dans les grandes surfaces. » Il y aura là, dit-elle, « une large gamme de produits » dont les prix seront « encadrés par une convention annuelle entre l'État et la grande distribution ». C'est la même idée que celle mise en pratique par Sarkozy avec ses « essentiels de la rentrée ». En fait de fruits de la croissance, les salariés auront droit à des patates citoyennes toute l'année.
Aubry demandera au gouvernement d'encadrer les loyers. Elle taxera les surprofits (pas les profits) des compagnies pétrolières pour financer des tarifs dégressifs pour l'eau, le gaz, l'électricité. Des déclarations vagues qui se traduiront par des mesures tout aussi symboliques que les précédentes, si tant est qu'elles connaissent un début de réalisation.
Quant aux écarts de salaires entre hommes et femmes, Aubry ne s'engage pas à exiger du patronat qu'il respecte enfin les innombrables lois déjà adoptées sur le sujet. Elle ose demander aux patrons de négocier avec les syndicats la suppression de cet écart dans les trois ans. Mais qu'est-ce qu'il y a donc à négocier ? Faudrait-il encore que les travailleurs concèdent quelque sacrifice en échange de l'application de la loi ?
En ce qui concerne les deux préoccupations majeures du monde du travail, l'emploi et les salaires, il n'y a rien, mais rien du tout, dans le programme de Martine Aubry. Sa lettre ne s'adresse pas aux travailleurs, si ce n'est pour les prévenir qu'ils ne se fassent aucune illusion, si elle est élue, et qu'il leur faudra encore prendre patience.
Les autres priorités électorales de Martine Aubry
« Priorité à l'école primaire », « lutte contre l'échec au collège », « repenser les rythmes scolaires » : tout le catalogue de slogans mis en avant par tous les gouvernements y est. Par contre, il n'y a aucun chiffre sur les recrutements indispensables, et surtout pas la promesse de revenir d'urgence sur les dizaines de milliers de postes supprimés ces dernières années. D'ailleurs elle a confirmé sur TF1 le 5 septembre qu'il n'était pas question de les rétablir. Alors, quand Aubry dit vouloir « refonder » le système éducatif et instaurer un « nouveau pacte éducatif entre la nation et l'ensemble des professionnels de l'éducation », sans autre précision, les professionnels en question et les parents d'élèves peuvent s'inquiéter.
Reste la sécurité, pour laquelle 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires seront embauchés, dont 1 000 en 2012. Cet engagement chiffré, auquel ni les instituteurs ni les infirmières n'ont eu droit, suffira-t-il à assurer la sécurité électorale de Martine Aubry en lui apportant quelques voix ?
Il faudra une très grosse loupe pour distinguer ce qui sépare les propositions de Martine Aubry de celles de ses concurrents socialistes ; et beaucoup d'aveuglement, ou de mauvaise foi, pour croire que le Parti socialiste et son candidat peuvent ou même veulent faire quoi que ce soit pour protéger les travailleurs des conséquences de la crise économique. Une fois au pouvoir, ils devront satisfaire les exigences du grand capital, qui ne veut pas payer la crise. Et c'est la raison pour laquelle ils se gardent bien de prendre des engagements précis envers la population laborieuse, pas même pour gagner des voix.