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- Lutte ouvrière n°2293
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Dans les entreprises
France Télécom mis en examen : Sa responsabilité enfin reconnue
Privatisée à la fin des années 1990, France Télécom avait commencé par supprimer plus de 30 000 emplois en moins de 10 ans au travers d'un plan de départs en retraite anticipée. Entre 2006 et 2008, l'entreprise voulait en supprimer encore 22 000. L'un des buts était d'essayer de faire partir sélectivement les employés qui avaient le statut de fonctionnaire.
Les méthodes de la direction de l'époque ont été très brutales : changements d'affectations et mutations à répétitions, plusieurs fois dans une même année, pressions de la hiérarchie qui expliquait crûment aux salariés qu'il n'y avait pas d'avenir pour eux à France Télécom, salariés isolés dans leur bureau sans travail et sans téléphone...
Un stress important s'est alors développé dans l'entreprise. Un groupe de médecins du travail a lancé une alerte particulièrement virulente en 2008. Plusieurs médecins maison ont démissionné, mais la direction a continué sans en tenir compte, pas plus d'ailleurs que des alertes des caisses régionales d'assurance maladie. Et l'entreprise a connu une vague importante de suicides : plus d'une trentaine en deux ans.
L'annonce d'un trente-deuxième suicide fin 2009 a fait déborder le vase. Il a entraîné une réaction importante du personnel, qui a perturbé le fonctionnement de l'entreprise pendant plusieurs jours.
Du coup les médias ont dû parler du problème qu'ils avaient tu depuis des années. L'inspection du travail du 15e arrondissement a alors adressé un procès-verbal au Parquet pour « mise en oeuvre d'organisation du travail de nature à porter des atteintes graves à la santé des travailleurs », et pour des « méthodes de gestion caractérisant le harcèlement moral ».
Le syndicat Sud a aussi porté plainte contre la direction, mais il a fallu attendre trois ans pour voir un juge prendre la décision de mettre en examen pour « harcèlement moral », non seulement l'ancien PDG Didier Lombard, celui qui avait osé déclarer que les suicides étaient « une mode » -- et qui en rajoute aujourd'hui en expliquant qu'il ne « pouvait pas faire autrement pour faire face à la concurrence » -- mais aussi son directeur adjoint, Louis-Pierre Wenès, et le DRH de l'époque, Olivier Barberot. Le groupe lui-même est aussi mis en examen en tant que personne morale, ce qui est une première pour un groupe du CAC 40. Et tout ce beau monde se retrouve sous contrôle judiciaire.
Certes, cela ne rendra pas la vie aux salariés qui se sont suicidés, mais dans les services, c'est avec une certaine joie que ces mises en examen ont été accueillies, et personne ne se sentait solidaire de ceux qui leur avaient pourri la vie pendant des années.
Avec ces décisions, il ne s'agit plus seulement d'une malheureuse série de drames individuels comme la chose avait pu être présentée à l'époque. Au moins mettent-elles en cause aussi, globalement, la responsabilité de la politique d'exploitation de la direction dans cette multiplication dramatique de manifestations de désespoir.
Aujourd'hui, le nouveau patron de France Télécom, Stéphane Richard, explique que la situation a bien changé et que, maintenant, on écoute les salariés. Mais en réalité, dans les services, si la pression a baissé un peu pendant quelque temps, depuis quelques mois c'est reparti. Entre autres sous prétexte de l'arrivée de Free sur le marché, la direction veut reprendre sa politique de rentabilisation, avec de nouvelles suppressions d'emplois annoncées. Et il est à nouveau question de restructurations dans les services, et de pressions pour par exemple mettre en place une surveillance des techniciens avec un système de géolocalisation qui permettrait de surveiller tous leurs déplacements. Dans les plates-formes d'appels, autant côté commercial que service après-vente technique, la direction essaye de mettre en place une polyvalence, imposant que chaque employé sache régler les problèmes du téléphone fixe, d'Internet, de la télé, du mobile, et même de la fibre, alors que ce sont des techniques complètement différentes !
Bref, cette mise en examen est une bonne chose, mais si nous voulons nous faire respecter, il faudra une réaction collective pour imposer les emplois nécessaires, pour avoir des conditions de travail correctes sans être sous pression permanente !