Les riches pleurent la bouche (et le coffre-fort) : Pleins26/12/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/12/une2317.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Les riches pleurent la bouche (et le coffre-fort) : Pleins

Après le départ de Gérard Depardieu vers des cieux fiscalement plus cléments, la polémique s'est enflée. D'autres vedettes s'en sont mêlées, la plupart réclamant le droit de pouvoir faire ce qu'on veut de son argent, qui récompenserait, disent-ils, les talents de chacun. Se sont exprimés depuis, des politiciens de droite, des hommes d'affaires, pour abonder dans ce sens. Par exemple, le lunetier Alain Afflelou qui, dans une dérisoire tentative de voir plus loin que le bout de son nez, a déclaré qu'il avait l'impression que régnait en France un climat proche de celui à la veille de la Révolution de 1789. Rien de moins !

Cette comparaison, un tantinet excessive, n'est pas si fausse que cela, si l'on considère le comportement de la noblesse d'avant 1789 et celui des aristocrates de la fortune d'aujourd'hui.

Ils considèrent eux aussi avoir tous les droits. Et en premier, celui de ne pas accepter des lois qui, nous apprend-on sur les bancs de l'école, s'appliquent à tous. Ils peuvent, on le voit en ce moment, placer et déplacer leur argent où ils veulent et quand ils veulent ; ouvrir ou fermer une usine du jour au lendemain, quitte à laisser dans le besoin des milliers de gens, quitte à provoquer la ruine de régions entières. Les lois sont faites en leur faveur. Et quand l'une d'entre elles entrave quelque peu leurs trafics et leurs combines, ils peuvent se payer les services de comptables, de fiscalistes et d'avocats, qui sauront trouver les ficelles leur permettant de s'en sortir.

Quant à leurs talents, parlons-en ! On peut discuter de celui de tel artiste, de tel metteur en scène, de tel sportif, même si on a le droit d'estimer que cela ne mérite pas les sommes extravagantes qu'ils touchent. Mais quel est le talent de la famille Mulliez, propriétaire des magasins Auchan, de Decathlon, ou d'un Bernard Arnault, d'un Lakshmi Mittal, d'un Dassault, d'un Peugeot, sans même parler d'un Bernard Tapie, qui refait surface aujourd'hui et qui a fait l'essentiel de sa fortune en rachetant pour trois sous des entreprises dont il jetait ensuite les salariés à la rue ? Ils ont tous construit leur fortune sur l'exploitation de centaines de milliers de travailleurs, en France et dans le monde entier, en bénéficiant des multiples aides des gouvernements de tout bord. De solides coups de main qui n'ont rien à voir avec les minables coups de pouce que l'on a accordés aux smicards, aux handicapés ou aux retraités.

Oui, c'est cette aristocratie de l'argent qui domine en France comme dans d'autres pays. Elle n'est pas à plaindre, et pourtant c'est elle que l'on entend à longueur de journées geindre et se présenter comme victime. N'avait-on pas entendu, il y a quelques semaines, un membre de la famille Peugeot se lamenter de la situation de son groupe, qui se trouvait, à l'écouter, au bord de la faillite, pour quémander une garantie de 7 milliards à l'État afin de sauver la banque de ce groupe ? Lakshmi Mittal n'a-t-il pas osé déclarer qu'il était à tort accusé de n'obéir qu'à la logique du profit, alors qu'il ne songeait qu'au bien-être de tous ? Ces milliardaires fossoyeurs d'emplois utilisent l'affaire Depardieu pour joindre leur voix au choeur des riches pleureuses des deux sexes qui se lamentent sur l'abominable sort qui, selon eux, serait réservé aux très riches en France.

Ne nous laissons pas abuser par cette campagne médiatique -- car c'en est une -- qui voudrait nous faire croire que nos exploiteurs ne devraient leur situation qu'à leur talent. À les entendre, il faudrait leur dire merci de nous donner un travail pour un salaire de plus en plus maigre et, dans cette même logique, se résigner et se taire quand ils suppriment cet emploi.

Rassurons les Afflelou et autres Depardieu de tout acabit : sans doute ne sommes-nous pas, malheureusement, à la veille de la prise des bastilles actuelles. Mais la colère est là, qui monte, alimentée par les agissements de tous ces féodaux modernes, par leur cynisme et leur arrogance. Et cette colère, elle éclatera, tôt ou tard.

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