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Dans le monde
Ukraine : Après le référendum prorusse en Crimée
Les médias occidentaux ont parlé d'un résultat sans surprise. Auditeurs et téléspectateurs avaient pourtant de quoi être surpris car on n'avait cessé de leur présenter ce scrutin comme illégal, manipulé par le Kremlin et forçant la main à la population locale qui, selon Le Monde du 6 mars, « s'émancipe de Kiev sans se résoudre au mariage avec Moscou ».
Depuis des mois, les médias chantent tous à peu près la même rengaine : ceux que les États impérialistes soutiennent en Ukraine seraient des modèles de démocratie, tandis que le camp d'en face, la Russie et ses alliés locaux, serait « l'empire du mal », comme avait dit Reagan à propos de l'Union soviétique.
Cette quasi-unanimité de l'information vire parfois au comique de répétition. « Après le référendum en Crimée, jusqu'où ira Vladimir Poutine ? » a titré en une Le Monde du 18 mars. « Jusqu'où ira Poutine ? » se demandait déjà en grand Le Journal du Dimanche du 2 mars. « Jusqu'où ira-t-il ? » titrait Le Parisien du 3 mars. Les semaines passent, les publications diffèrent, mais pas la campagne qu'elles mènent et qui épouse la politique du gouvernement français et de ses homologues européens et américain.
Ce n'est bien sûr pas par souci de satisfaire les souhaits des habitants de la Crimée que Poutine a mobilisé les militaires russes sur place et toute une série de responsables – maires de Sébastopol et de Simféropol, Premier ministre de Crimée, etc. – qui ont appelé la population à plébisciter le rattachement à la Russie. Et personne ne peut avoir oublié comment le même Poutine a mené une guerre effroyable, dans le Caucase, aux Tchétchènes qui souhaitaient se séparer de la Russie.
Que Poutine se contrefiche du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'empêche pas que les Obama, Hollande, Merkel, etc., ne valent guère mieux, eux qui dénient ce droit aux habitants de la Crimée ou de l'est de l'Ukraine. Et ils ne manquent pas de culot quand ils s'indignent que Poutine déclare protéger ses compatriotes en Ukraine, alors qu'ils ont tant de fois usé d'un tel prétexte pour envoyer des troupes aux quatre coins de la planète...
Reste comme un fait que la grande majorité des Criméens préfère dépendre de Moscou que de Kiev, et pour bien des raisons.
Elles sont historiques, culturelles, linguistiques et politiques : la Crimée a été russe jusqu'en 1954, sa population est majoritairement russe et, comme la plupart des habitants de l'est et du sud de l'Ukraine, elle se méfie des nationalistes arrivés au pouvoir à Kiev dans la foulée de la mobilisation du Maïdan.
À cela s'ajoutent des motivations sociales. En Ukraine, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le salaire moyen ne dépasse pas 250 euros, le chômage est massif, les retraites misérables : 90 euros en moyenne. Alors, malgré Poutine et son régime, la Russie avec son niveau de vie deux ou trois fois plus élevé qu'en Ukraine peut paraître attirante à certains. Et d'autant plus qu'on ne peut se faire d'illusion sur les mesures draconiennes que le gouvernement de Kiev, mandant des grandes puissances occidentales, s'apprête à imposer aux classes laborieuses ukrainiennes.
Au prétexte de sauver le pays de la faillite, ce sont les travailleurs, les petites gens que les dirigeants locaux, couverts par leurs parrains américains et ouest-européens, entendent précipiter dans la misère.
Après ce référendum qui est un succès pour le Kremlin, Poutine va intégrer la Crimée à la Russie. Mais à quel rythme et à quel degré ? Attisera-t-il les tensions séparatistes dans l'est de l'Ukraine, comme d'un moyen de pression dans des négociations avec Kiev et ses protecteurs occidentaux ? Ou bien voudra-t-il obtenir la neutralisation militaire de l'Ukraine et des avantages pour les entreprises russes dans ce pays ?
Soucieux de trouver un arrangement qui n'hypothèque pas leurs affaires avec la Russie, les États occidentaux gardent aussi des cartes dans leur manche, dans cette partie de poker menteur. Ainsi, quand ils annoncent des sanctions contre Moscou qui ne visent que quelques individus. Et si Fabius, ministre des Affaires étrangères, affirme que la France pourrait ne pas livrer les deux navires de guerre que la Russie fait fabriquer à Saint-Nazaire, il précise que c'est à condition que les « Britanniques bloquent les avoirs des oligarques russes à Londres », ce dont la City ne veut entendre parler à aucun prix.
Alors, jusqu'où iront Poutine et les dirigeants des grandes puissances occidentales dans leur bras de fer ? Nul ne le sait. Mais ce que l'on voit déjà à l'œuvre, c'est une partition du pays qui se profile et une situation qui continue à se dégrader pour la population dans toutes ses composantes.
La minorité tatare de Crimée, que Staline avait fait déporter et qui n'a pu rentrer chez elle qu'au compte-gouttes après la fin de l'Union soviétique, a bien des raisons de se défier de la bureaucratie russe, mais aussi ukrainienne. Dans l'ouest du pays, il ne fait pas bon être russophone, pas plus que parler ukrainien en Crimée ou dans l'est du pays. Partout des milices de l'un ou l'autre bord se forment contre « ceux d'en face ». La veille du référendum en Crimée, à Kharkov, deuxième ville d'Ukraine, des manifestants prorusses ont été tués par des nervis d'extrême droite ; à Donetsk, un centre industriel de l'Est, des partisans du rattachement à la Russie ont été arrêtés, et certains ont été blessés par des nationalistes opposés.
Juste avant le référendum de Crimée, les autorités de Kiev ont constitué une force spéciale de 40 000 hommes, la garde nationale, en prévision de la répression de mobilisations prorusses de la population des grandes villes de l'est et du sud de l'Ukraine. Et le 19 mars, en Crimée même, l'armée russe a pris le contrôle, non sans résistance, de l'état-major et de bases de la marine ukrainienne.
Nul ne peut dire si cette escalade sur fond de décomposition sociale va se poursuivre. Mais le sens dans lequel évoluent les choses ne promet rien de bon aux travailleurs et aux pauvres de ce pays, quelles que soient la région où ils résident et la langue dans laquelle ils s'expriment.