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- Lutte ouvrière n°2396
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Il y a 100 ans, 1914, la marche à la guerre : Des millions de morts pour le profit capitaliste
Alors que l'on commémore le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, la plupart des commentaires de presse préfèrent rester dans le flou sur les causes de la guerre. Beaucoup même nient les responsabilités du système capitaliste dans cette effroyable boucherie qui fit 20 millions de morts.
Ainsi dans un article titré « 14-18, la guerre inattendue ? », Le Figaro suggérait que des coïncidences malheureuses, dont les dirigeants de l'époque étaient aussi les victimes, auraient mené au massacre des tranchées. Quant au quotidien Le Monde, il s'attaquait à « Dix idées reçues sur la guerre » sous la signature de l'historien Nicolas Offenstadt, récusant les « interprétations marxistes [qui] allouent une place centrale aux rivalités économiques » entre grandes puissances.
Et pourtant, ce sont bien les rivalités entre États capitalistes qui ont jeté le monde dans la guerre, détruit des pays, saigné des peuples. Jaurès voyait juste quand, cinq jours avant son assassinat, il déclarait : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. » Et, pour que le caractère de classe de la guerre soit bien souligné, il précisait dans le même discours : « Il n'y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces, qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, et que nous demandions à ces millions d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leur coeur écarte l'horrible cauchemar. »
La France et la Grande-Bretagne étaient, au début du 20e siècle, des nations bourgeoises repues. Elles avaient mené bien des guerres sur toute la planète pour bâtir leur empire colonial et assurer à leurs industriels des accès aux matières premières et des débouchés pour leurs marchandises. En 1898, ces deux pays en étaient presque venus à se déchirer pour le contrôle du Soudan, avant de s'allier dans une Entente cordiale essentiellement dirigée contre la bourgeoisie allemande qui, de son côté, poussait son État à étoffer son empire colonial. En 1905 et 1911 c'est à propos de la domination sur le Maroc que la France et l'Allemagne s'étaient opposées.
Les heurts entre ces trois puissances s'accrurent, à mesure que les territoires d'Afrique et d'Asie pouvant être colonisés se raréfiaient. Il ne restait plus à chacune qu'un seul moyen d'accroître encore son domaine colonial : prendre les colonies des autres, y compris par la guerre.
En Europe même, la domination sur la région moins développée des Balkans devenait un enjeu majeur. C'est d'ailleurs de cette région que vint l'étincelle à l'origine de l'embrasement. Après l'attentat de Sarajevo, le 28 juin 1914, on s'achemina vers la conflagration générale.
Les rivalités de toutes sortes, et en particulier économiques avaient engendré depuis longtemps une course aux armements. Les dépenses militaires françaises avaient ainsi augmenté de moitié entre 1905 et 1914, à la plus grande satisfaction des capitalistes de l'armement.
En opposition directe avec l'Allemagne pour lui reprendre le contrôle de l'Alsace et de la Moselle, et avec l'espoir de lui arracher la rive gauche du Rhin, les généraux français préparaient la guerre depuis longtemps. Leur plan stratégique de 1914 était le 17e à être élaboré, preuve de la continuité de leurs idées guerrières. Il en allait évidemment de même du côté de l'état-major allemand.
Toute une machinerie de transports, tout un ensemble de dépôts, d'arsenaux, étaient mis en place, prêts à fonctionner dès le déclenchement de la guerre. Chaque réserviste pouvait être mobilisé sitôt l'ordre donné et affiché dans le moindre hameau. Une dizaine d'années avant 1914, l'affiche de mobilisation était déjà prête.
Le gouvernement français, alors qu'il exigeait déjà deux ans de service militaire, fit passer en 1913 la loi des trois ans. Cette décision provoqua des réactions hostiles dans la classe ouvrière : le Parti socialiste (SFIO) organisa pour s'y opposer une grande manifestation réunissant près de 100 000 personnes en banlieue parisienne. Dans les casernes, l'agitation s'empara une semaine durant des conscrits qui devaient rentrer chez eux. De Toul à Rodez, ils bousculèrent les officiers, chantèrent l'Internationale et tentèrent de sortir en ville. L'état-major rétablit l'ordre par la répression. De son côté le gouvernement lança la police contre la CGT, accusée de diffuser de la propagande anarchiste et antimilitariste.
Les militants ouvriers déterminés à empêcher le massacre, qu'ils soient socialistes, syndicalistes ou anarchistes, étaient fichés par la police dans le carnet B. Ils pouvaient être arrêtés et jetés en prison lors du déclenchement de la guerre.
Tous ces préparatifs, visant à faire des ouvriers et des paysans la chair à canon pour les profits de « leur » bourgeoisie nationale, était dénoncés par les organisations du mouvement ouvrier européen. Le manifeste adopté à Bâle en 1912, au congrès de l'Internationale ouvrière socialiste, mettait en garde les peuples contre la menace imminente de guerre impérialiste. Il soulignait les buts de brigandage des coalitions guerrières qui se formaient et appelait les socialistes de tous les pays à opposer « à l'impérialisme capitaliste la puissance de la solidarité internationale du prolétariat ».
Mais, au moment décisif de l'été 1914, les principaux dirigeants de ces partis - la SFIO en France, le SPD en Allemagne, le Labour Party en Grande-Bretagne - allaient renier leurs discours internationalistes pour se mettre au service de leur bourgeoisie nationale respective ; à l'exception du Parti bolchevik russe et aussi du Parti socialiste italien, il est vrai avec une position plus ambiguë, d'autant plus que l'Italie n'allait entrer en guerre qu'en mai 1915. Cette trahison des principaux partis socialistes, au nom de la défense de la patrie, allait contribuer à gommer la responsabilité du capitalisme dans la guerre.
Ce sont bien les rivalités engendrées par le système capitaliste qui ont entraîné cette première boucherie mondiale. Tout comme aujourd'hui l'impérialisme continue d'engendrer une multitude de conflits pour maintenir par la force un ordre mondial injuste. Seul le renversement de ce système mettra la société à l'abri du danger de sombrer une fois encore dans un conflit similaire à ceux qui ont ensanglanté le 20e siècle.