Brésil : Pour les victimes la vérité, pour les bourreaux l'impunité18/12/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/12/2420.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : Pour les victimes la vérité, pour les bourreaux l'impunité

Le 10 décembre, la Commission nationale de la vérité a remis à la présidente Dilma Rousseff son rapport sur les crimes de la dictature militaire (1964-1985). Les 3 000 pages du rapport, étayées par 1 121 témoignages, énumèrent les tortures, assassinats, disparitions, enlèvements, viols et persécutions de toute sorte, citent 434 victimes, donnent une liste des responsables de la répression, des lieux d'interrogatoires, des prisons clandestines.

La présidente, elle-même emprisonnée trois ans et torturée, s'est montrée très émue. Mais, alors que le rapport recommandait des poursuites contre les criminels, elle s'est félicitée que le pays « se réconcilie avec lui-même » et a défendu la loi d'amnistie de 1979, qui a selon elle permis le retour à la démocratie.

Pour Dilma Rousseff comme pour Lula et les présidents civils qui se sont succédé depuis 1985, il n'est pas question de s'en prendre aux militaires et policiers tortionnaires ou assassins, pas plus qu'à leurs chefs hauts gradés, à leurs complices civils et à leurs commanditaires nationaux et étrangers. Malgré les lois d'amnistie, l'Argentine et le Chili ont jusqu'à un certain point mis en cause, et parfois en prison, leurs dictateurs. Rien de tel au Brésil, où l'armée a constamment fait pression pour défendre son impunité.

En 2010 encore, alors que le pays était condamné par une cour interaméricaine de justice à faire la lumière sur la disparition du journaliste Vladimir Herzog ou la disparition de 70 militants d'une guérilla maoïste, le tribunal suprême fédéral a soutenu que la loi d'amnistie empêchait de juger tout fait commis pendant le régime militaire. Quant à la Commission nationale de la vérité, elle n'a même pas obtenu que les archives militaires lui soient remises.

Car, même trente à cinquante ans après, l'ouverture des archives et la mise en cause des responsables non seulement ébranleraient les sommets de l'armée et de la police, mais encore démasqueraient nombre de politiciens et d'hommes d'affaires complices. C'est toute la bourgeoisie brésilienne qui a mis en place la dictature et qui a profité du terrorisme d'État pour s'enrichir et pour imposer à la classe ouvrière le silence, une exploitation renforcée et des bas salaires.

La dictature a légué au régime démocratique actuel un état-major militaire dont les désirs sont des ordres pour les politiciens civils et une police à la détente facile (autour de 2 000 morts chaque année), qui se croit tout permis contre les pauvres, en particulier s'ils sont jeunes et noirs.

Vincent Gelas

À VOMIR

La séance de remise du rapport a été marquée par un incident. À une députée du Parti des travailleurs (PT) qui se félicitait de la dénonciation des crimes et des viols de la dictature, le député Jair Bolsonaro a répondu qu'il ne la violerait pas, « qu'elle ne le mérite pas, parce qu'elle est très méchante, très laide, pas du tout mon genre ».

Bolsonaro est le plus connu du groupe des défenseurs de l'armée à la Chambre des députés brésilienne. Cet ex-capitaine appartient au Parti progressiste, qui regroupe tout ce qu'il y a de plus réactionnaire dans le pays et qui par ailleurs est un fidèle appui du gouvernement PT. À ce titre, au début de l'année, il s'en est fallu de peu qu'il ne soit nommé à la tête de la commission des droits de l'homme et des minorités.

Bolsonaro est coutumier de ce genre de dérapage. Défenseur de la dictature, ennemi des Noirs, des homosexuels, antiféministe primaire, c'est ce qu'en Amérique du Sud on appelle un gorille - sauf le respect dû à ces singes anthropoïdes qui sont nos cousins.

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