Loi Macron : huit mots contre deux siècles de luttes ouvrières25/02/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/02/2430.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Loi Macron : huit mots contre deux siècles de luttes ouvrières

Noyée au milieu des 106 articles de la loi Macron adoptée par défaut par le Parlement, trois pages après le début de l’article 83 de cette loi, dans la partie consacrée à la justice prud’homale, une ligne a été insérée où il est décrété à propos du Code civil : « Le second alinéa de l’article 2064 est supprimé. » Ce sont seulement huit mots, mais ils ouvrent la voie à la remise en cause de garanties issues d’une lutte qui remonte au début du capitalisme, qui avait obligé à considérer les travailleurs non comme des marchandises, mais comme des femmes et des hommes ayant des droits spécifiques.

Ce tour de passe-passe délibéré concerne la possibilité, qui existe dans le Code civil, de régler par des conventions spécifiques toutes les relations entre deux parties, dans tous les domaines de la vie de la société. Jusqu’ici, la seule exception concernait les contrats de travail, et en général l’emploi des salariés. Ceux-ci ne pouvaient être réglés que par les lois spécifiques du Code du travail et par les tribunaux spécialisés, les Prud’hommes. Or la loi Macron a ainsi fait sauter l’alinéa qui décrétait : « Toutefois aucune convention ne peut être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du Code du travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. » Le résultat ce n’est rien moins que la négation même de cette notion de contrat de travail.

Dorénavant, un employeur pourra en toute légalité imposer au salarié qui cherche un emploi, ou même à un de ses salariés déjà embauché, s’il veut rester, de signer une convention qui réglera les conditions de son emploi. Elle pourra être complètement en dehors des règles du Code du travail, avec la rémunération voulue par l’employeur, les horaires, les conditions de la suspension de ladite convention, etc. Les seules obligations de l’employeur seraient alors celles qui auraient été signées « d’un commun accord » entre lui et le salarié. Celui-ci serait donc « libre », c’est-à-dire libre de rester sans emploi. C’est une liberté le couteau sous la gorge dans le contexte de chômage de masse aujourd’hui.

Cela ouvre la voie, comme l’ont dit certains syndicalistes et un des critiques les plus déterminés de cette innovation, Gérard Filoche, à un retour au Code Napoléon de 1804 ou à la loi Le Chapelier de 1791. C’est-à-dire que les travailleurs, face aux patrons, devraient marchander de gré à gré leur situation et leurs droits. En clair ils seraient soumis à la dictature patronale. C’est contre cette liberté-là que depuis près de deux siècles le mouvement ouvrier s’est battu. Il s’agissait d’imposer que les relations entre un salarié et son employeur ne soient pas considérées comme un marchandage commercial, mais comme impliquant des droits spécifiques et des garanties s’imposant à tous les employeurs, et valables pour tous les salariés quels qu’ils soient.

Cette disposition est le prolongement de toutes les remises en cause mises en œuvre par les gouvernements, dans un domaine où les dirigeants socialistes, alliés ou pas à d’autres, ont brillé. Bien sûr, l’application de ce formidable retour en arrière, même s’il est ouvert par la nouvelle loi, dépendra avant tout du rapport de force entre la classe ouvrière et le patronat. Mais on peut imaginer ce qu’il pourrait en être quand on voit comment, dans d’autres pays dits avancés, on a fait reculer les conditions de vie et d’emploi de millions de salariés. C’est le cas en Grande-Bretagne avec les contrats à zéro heure, ou en Italie avec des centaines de milliers d’ouvriers qui sont obligés de se transformer en autoentrepreneurs, en lieu et place de salariés.

Les travailleurs n’ont pas à se sentir liés par ces lois d’exception propatronales, même si jusqu’à ce jour les confédérations syndicales sont restées bien timides sur le sujet. Dans les luttes qui viendront, il faudra faire sauter ces mesures d’exception imposées dans la guerre que le patronat et ses sbires gouvernementaux mènent contre les travailleurs.

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