Dans l’esprit de Laurent Joffrin, directeur de Libération, cet appel n’est pas une pierre dans le jardin de Hollande, président sortant et candidat naturel à la réélection, mais pourrait finalement conforter ses chances. Il explique crûment que, pour être présent au second tour, le candidat de gauche doit faire le plein de voix dès le premier. La primaire pourrait servir à contraindre les candidats du PCF, des écologistes et autres à s’aligner derrière celui du PS avant même le premier tour. Ainsi la réélection de Hollande serait assurée et le miracle accompli.

Joffrin, comme les rédacteurs de l’appel, comme ceux qui commencent à s’y rallier, désignent tous la montée du FN comme le seul danger à combattre, sachant qu’ils jouent sur une corde sensible dans l’électorat de gauche. Mais aucun n’ose dire que la montée du FN est la conséquence directe de la politique du gouvernement Hollande-Valls, le couronnement de dizaines d’années de trahisons, de mensonges, de reniements, de propagande nationaliste et propatronale de la gauche de gouvernement. Ils ne proposent qu’un cent unième tripatouillage politicien, exonérant les politiciens menteurs de leurs responsabilités et les remettant en piste pour un nouveau tour, au nom du renouvellement de la politique, évidemment.

Pour que la farce se joue, il reste à trouver comment un président en exercice pourrait participer à une élection primaire, ou au moins s’y faire désigner. Mais on peut faire confiance à des gens qui ont découvert que la chasse aux étrangers est une politique de gauche et que faciliter les licenciements est la meilleure façon de lutter contre le chômage. Ils inventeront bien quelque chose, ils ont des intellectuels pour cela.

Les hérauts de la réinvention de la gauche, Pierre Laurent, dirigeant du PCF, Cécile Duflot, écologiste et ancienne ministre, et d’autres de la même farine se sont déclarés intéressés, prêts à participer à l’opération. On savait que leurs appels à renouveler la gauche, à revenir à une gauche vraiment de gauche, ne conduisaient nulle part. Car flétrir Hollande au nom de Mitterrand, c’est prétendre que la grenouille a trahi le têtard. On voit maintenant qu’ils sont prêts à vendre leur droit de critique pour la promesse d’un plat de lentilles.

La primaire de la gauche, si elle avait lieu, ne serait donc qu’une façon de travestir à bon compte le ralliement prématuré de la prétendue gauche de gauche au candidat du PS. Quant aux intérêts des travailleurs, à leur vie, à leurs problèmes, à leur avenir, il n’en est pas question. Ni les calculs politiciens des Joffrin et autres fins stratèges, ni les proclamations filandreuses des promoteurs de la primaire, ni les réponses enthousiastes des futurs battus de cette compétition n’en font mention. Il faudra que les travailleurs mettent eux-mêmes la question sur la table, sans compter sur les élections ni sur aucun sauveur suprême.