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Italie : un pont par-dessus le scandale
Lundi 3 août, moins de deux ans après la catastrophe de l’écroulement du pont Morandi, à Gênes, le gouvernement italien a inauguré le nouveau pont à grand renfort de déclarations sur la prouesse technique que représente cet ouvrage et sa réalisation dans des délais aussi rapides, qui seraient le symbole d’un nouveau départ pour l’Italie et son économie.
Il y a là de quoi faire resurgir la colère des proches des 43 personnes ayant perdu la vie le jour où 200 mètres du pont se sont écroulés, entraînant les véhicules et leurs occupants 40 mètres plus bas et les écrasant sous les débris des piles en béton. Il faut y ajouter celle des occupants des immeubles situés à proximité qui ont dû en urgence évacuer leur appartement.
Surplombant un torrent, une voie ferrée et des quartiers populaires, le viaduc Morandi était le passage obligé pour relier Gênes et la côte ligure aux grandes villes du nord de l’Italie, dont Turin et Milan, mais aussi à la France. C’était aussi par là que passait la plus grande partie des marchandises en provenance du port de Gênes, le plus actif du pays. Le trafic y était donc intense, et son état déplorable était largement connu. Son écroulement a entraîné d’énormes difficultés de circulation.
« On nous vante aujourd’hui le génie constructeur italien. Mais tout le monde connaissait les dangers du pont Morandi, non seulement le manque d’entretien, mais ses défauts structurels. Ils n’ont rien fait à l’époque pour éviter ces dizaines de victimes et il faudrait les applaudir aujourd’hui et les croire quand ils disent “plus jamais ça” ? », s’insurgeait la mère de l’un des automobilistes mort dans la catastrophe, expliquant ainsi le refus des familles d’assister à l’inauguration.
Tous les dirigeants politiques et institutionnels présents à la cérémonie ont bien sûr affiché des mines de circonstance en évoquant la tragédie. Mais rien n’a été fait contre les responsables de la catastrophe, à commencer par retirer la gestion des autoroutes et de leur entretien à la société ASPI (Autostrade per l’Italia), dont les manquements graves à l’entretien et aux contrôles de sécurité nécessaires ont été établis. Concessionnaire d’une grande partie des autoroutes dans le pays, ASPI a été privatisée en 1999 et a atterri dans l’escarcelle du groupe Atlantia, dont l’actionnaire principal est l’une des familles capitalistes les plus riches d’Italie, la famille Benetton.
Au lendemain de la catastrophe du 14 août 2018, le gouvernement, déjà présidé par Giuseppe Conte, avait promis de demander des comptes à ASPI, tandis que le Mouvement 5 étoiles (M5S), faisant partie de la coalition gouvernementale, réclamait que la gestion des autoroutes lui soit retirée. Deux ans plus tard, on peut constater que, si le gouvernement a mis les moyens pour que le chantier du nouveau pont avance au pas de charge, sans relâche, jours fériés et confinement compris, il n’a pas fait preuve du même acharnement contre ASPI, qui d’ailleurs menaçait d’exiger des dizaines de milliards si on lui retirait la concession. Lors de l’inauguration, Conte n’a pu qu’assurer qu’il « travaille aujourd’hui à redéfinir les termes de la concession ». Elle pourrait même rester entre les mains d’ASPI, contre des aménagements en capital, le retrait progressif de la famille Benetton et la promesse de baisser les tarifs, d’un meilleur entretien et de plus de contrôles de sécurité. Quant au procès contre les responsables du groupe mis en cause pour les criminelles économies réalisées sur l’entretien, il devrait, au mieux, commencer l’an prochain.
Il y a deux ans, le drame du pont Morandi mettait en lumière les effets catastrophiques d’une gestion des transports et des infrastructures au profit d’entreprises privées, inconciliable avec une circulation rationnelle et sécurisée des personnes et des marchandises. Les discours faits pour l’inauguration de son superbe et, espérons-le, plus sûr remplaçant, n’y changeront rien.