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Football : la Super Ligue, stade suprême de la course au fric
Dimanche 18 avril, douze clubs européens de football avaient l’intention de former une Super Ligue, en sécession d’avec l’Union européenne des associations de football (UEFA). Cette Super Ligue se voulait essentiellement fermée, c’est-à-dire que quinze de ses vingt membres s’étaient assurés d’être présents chaque année, quels que soient leurs résultats sportifs.
L’annonce a été suivie d’un tollé, avec des protestations de l’UEFA, des autres clubs, des joueurs de clubs concernés, des supporters et de nombreux gouvernements. Macron et Boris Johnson eux-mêmes ont protesté. « Ce mouvement va à l’encontre de l’esprit même du jeu », a déclaré, sans rire, le ministre britannique des Sports, tandis que le Premier ministre italien Mario Draghi rappelait « les valeurs méritocratiques et les fonctions sociales du sport ».
Mardi 20 au soir, la moitié des clubs concernés faisaient machine arrière. Leur projet n’en était pas moins révélateur.
Aujourd’hui, le football européen est régi par un système de qualification. La compétition la plus prestigieuse, la Ligue des champions, oppose chaque année des clubs qui ont fini en tête de leurs championnats nationaux respectifs. Aucune équipe, quel que soit son budget, n’est à l’abri d’une élimination rapide, voire d’une non-qualification ; à l’inverse, une équipe bien moins dotée peut se qualifier, grâce aux mérites de ses joueurs.
Un club dont le budget est de 500 millions d’euros peut être éliminé par un club dix fois moins riche. En réalité, cela arrive rarement, car un budget élevé permet d’acheter les meilleurs joueurs, entraîneurs, etc. Mais cette incertitude, aussi appelée aléa sportif, est devenue insupportable aux investisseurs qui rachètent les grands clubs européens depuis quelques années, et qui veulent être sûrs d’en avoir pour leur argent. Leur idéal est celui des ligues américaines de basket-ball, de football américain, où des équipes paient un droit d’accès, sans risque de relégation. Moyennant un investissement important, les droits de retransmission télévisuels sont assurés à ces clubs pour des années. Les douze équipes à l’origine de la Super Ligue visaient un système similaire dans le football européen, excluant 99 % des clubs mais leur garantissant une place et leur part des 5 milliards d’euros de droits escomptés.
Si ces douze clubs scissionnistes font preuve d’une cupidité sans vergogne, dénoncée par les supporteurs voire par les joueurs, les instances du football et les gouvernements ne manquent pas d’hypocrisie. La Super Ligue poussait à l’extrême une logique que l’UEFA et les ligues nationales ont suivie depuis des décennies. En trente ans, la Ligue des champions s’est transformée en une vaste machine à cash. Chacun sait que les salaires des footballeurs ont augmenté, mais en réalité ce sont d’abord les budgets des clubs qui ont explosé : par exemple, 635 millions d’euros pour le PSG en 2020, contre 50 millions au milieu des années 1990. Le prix des tickets a explosé, et les téléspectateurs doivent payer des abonnements coûteux pour regarder les matchs. Les recettes les plus importantes, les droits de retransmission, sont négociées chaque année au prix fort, et les clubs fortunés ne supportent plus qu’une partie en revienne à de petits clubs.
Loin de s’opposer à cette course à l’argent, les instances nationales et européennes du football l’ont encouragée. Dans un nouveau projet de Ligue des champions qui serait mis en œuvre en 2024, l’UEFA propose ainsi d’augmenter le nombre de matches, et donc les droits télévisuels à commercialiser. Peu importe si les joueurs, épuisés par des saisons à rallonge, sont plus souvent blessés ! L’essentiel, c’est la pompe à fric. La Super Ligue, qui concurrençait l’UEFA, n’est au fond que son monstrueux rejeton.
Si les promoteurs de la Super Ligue, qui caressaient ce projet depuis des années, avaient réussi leur coup, ils auraient réduit la Ligue des champions à une compétition sans enjeu, puisque privée de ses têtes d’affiche, Liverpool, Manchester United, Real Madrid, Barcelone, Juventus de Turin… Mais la sécession n’était peut-être qu’un moyen de pression sur l’UEFA, pour qu’en guise de compromis celle-ci adopte un modèle plus lucratif pour les clubs les plus riches. Dans tous les cas de figure, dans ce sport de haut niveau qui vénère tant les lois de la jungle capitaliste, à la fin ce sont les plus riches qui sortiront gagnants.