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Leur société
Hôpitaux : une pénurie méthodiquement organisée
Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique mis en place par Macron au début de la pandémie, a jeté un pavé dans la mare en affirmant que, dans les hôpitaux publics, 20 % des lits seraient actuellement fermés faute de personnel soignant.
Le rapport Delfraissy, un grand ponte de la médecine qui sert de caution scientifique au gouvernement depuis dix-huit mois, a été relayé par les médias et immédiatement minimisé par Véran, le ministre de la Santé, gêné aux entournures. « La dernière donnée qui m’est remontée, c’est 5 % de lits de médecine temporairement fermés. On serait donc assez loin de 20 % du parc hospitalier général », a-t-il affirmé. Ne lui en déplaise, la direction de l’AP-HM annonce par exemple qu’il manque 120 infirmières à Marseille, où 448 lits sur 2 700 sont fermés, soit 16 %. Des chefs de service, comme celui des Urgences du CHU de Lille, ont exprimé leur inquiétude : « Je ne sais pas comment on va passer l’hiver. Nous sommes au bord du précipice. » Véran a dû reconnaître qu’il y a 33 % de postes vacants supplémentaires par rapport à 2019.
Cette pénurie de personnel a deux causes, qui se renforcent et s’alimentent : les suppressions délibérées de lits, au fil des ans, avec les postes qui leur sont liés, pour réaliser des économies ; les absences non remplacées de travailleurs des hôpitaux, suite aux multiples démissions, arrêts pour maladie ou accident du travail, départs en retraite anticipés et, le plus choquant, suspensions de ceux qui ont refusé la vaccination obligatoire, soit 15 000 personnes en comptant les services médicaux-sociaux.
Les « héros » méprisés et maltraités
Si les départs définitifs et les absences temporaires explosent depuis quelques mois, c’est parce que les conditions de travail se sont dégradées. Ceux qui étaient applaudis comme des héros au printemps 2020 n’ont eu droit, depuis dix-huit mois, qu’aux discours creux et au mépris du pouvoir. Les augmentations de salaire concédées lors du Ségur de la Santé ont été dérisoires et ne concernaient pas tous les métiers. Surtout, aucun recrutement massif n’a été programmé. Pire, selon la Drees, la Direction des statistiques dépendant du ministère des Solidarités et de la Santé, le rythme des suppressions de lits s’est amplifié au cours de l’année 2020, avec 5 700 lits fermés. Sur cette même année 2020, 1 152 postes d’infirmiers et 816 d’aides-soignants n’ont pas été remplacés après un départ à la retraite.
Outre la dégradation des conditions de prise en charge des malades, ces froides statistiques se traduisent en galère quotidienne, en fatigue accumulée et finalement en écœurement pour les travailleurs des hôpitaux. Partout, la hiérarchie fait du bricolage pour cacher la pénurie : déplacement des soignants d’un service à l’autre, multiplication des postes en 12 heures, modifications des horaires pour permettre le chevauchement des équipes, pressions pour les heures supplémentaires. C’est bien sûr un cercle vicieux : plus il manque de personnel, plus augmente le nombre de patients dont chaque infirmier ou aide-soignant doit s’occuper. Les changements de service quotidiens et le recours à des intérimaires, avec les adaptations que cela impose, aggravent encore la fatigue, usent le dévouement et suscitent de nouveaux départs.
Les mensonges du gouvernement
« Nous n’avons pas de personnel caché dans les placards », a déclaré Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, pour justifier son incapacité à remplacer ces départs. C’est un grossier mensonge, car le recrutement de personnel soignant a été méthodiquement limité. En juin 2021, plus de 680 000 lycéens ont postulé sur Parcoursup pour rejoindre les écoles d’infirmiers... pour 34 000 places disponibles, à peine plus que les 31 000 des années précédant la pandémie. Ce ne sont donc pas les vocations qui manquent, mais les places en formation ! Quant au personnel non soignant, les brancardiers, les ouvriers, les agents de services, les administratifs, qui manquent tout aussi cruellement dans les hôpitaux, il pourrait être recruté en quelques jours, parmi les millions de chômeurs déjà formés.
Le refus d’embaucher, de payer correctement, en proposant des conditions de travail dignes, est un choix conscient de tous les gouvernements depuis des décennies. La pandémie n’a pas modifié leurs plans. Elle a accéléré l’épuisement des travailleurs des hôpitaux. Pour enrayer la catastrophe, la seule solution est d’imposer les embauches massives vitales.