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Dans le monde
Guerre en Ukraine : les enjeux d’une contre-offensive
Le président ukrainien, Zelensky, disait depuis des mois vouloir chasser l’armée russe du pays. Mais il reportait sans cesse sa contre-offensive. Ces jours-ci, elle semble avoir débuté.
Côté russe, Poutine se félicite déjà de son échec. Zelensky, lui, vante « l’héroïsme de nos soldats » et claironne qu’ils ont repris quatre villages autour de Bakhmout, récemment conquis par les Russes.
Cela, c’est la guerre des communiqués, celle où chaque camp s’adresse à son opinion publique pour la persuader qu’il marche à la victoire. Les sacrifices consentis, en fait imposés aux populations, ne l’auraient donc pas été en vain. Mais, derrière la guerre des mots, il y a la guerre tout court. C’est une réalité dont ils ne parlent jamais, car il leur faudrait alors avouer par combien de morts, d’estropiés à vie, de destructions de bâtiments et d’autres horreurs se solde leur guerre.
La destruction, probablement par l’armée russe, du barrage de Kakhovka l’illustre une nouvelle fois : avec les villageois noyés dans leur bourgade recouverte par les eaux et les corps de soldats russes ayant dérivé sur plus de cent kilomètres, jusqu’à la mer Noire où se jette le Dniepr. La contre-offensive et les contre-mesures venues d’en face ne font pourtant que commencer. Chaque camp fera tout pour tenir ses positions et en gagner, y compris en se lançant dans une terrible escalade militaire. Car c’est bien ce qui se profile si l’armée de Kiev tente, comme elle en a l’intention, de reprendre le contrôle de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, celle de Zaporijia, située en amont de l’immense réservoir de Kakhovka.
Après les ratés en série de son « opération spéciale » (échec à prendre Kiev en quelques jours, puis à s’emparer de la russophone Kharkov, seconde ville du pays, perte de Kherson, etc.) Poutine ne peut plus se permettre de reculer sur le terrain. Il y va de sa survie à la tête de l’État russe, voire de sa vie, quand certains des hiérarques de la bureaucratie russe n’hésitent plus à critiquer violemment la façon dont il piétine en Ukraine.
En face, Zelensky joue aussi sa place, lui qui a adopté la posture du chef de guerre qui saura libérer tout le territoire. Alors que des représentants civils et militaires de l’impérialisme américain suggèrent régulièrement que Kiev devrait céder du terrain en Crimée et dans le Donbass pour mettre un terme au conflit avec la Russie, Zelensky n’a pas le choix. Il lui faut encore et toujours convaincre ses parrains de l’OTAN qu’il est l’homme de la situation : le « père la victoire » ukrainien, celui qui saura défaire cette Russie qui veut s’opposer à la progression vers l’est du camp impérialiste occidental.
Les États-Unis et leurs alliés européens pourraient voir d’un bon œil une telle démonstration de force, qui serait la leur car, sans leurs armes et leurs milliards, l’État ukrainien n’aurait pas tenu longtemps. Mais toute la question pour les dirigeants occidentaux est de savoir si Zelensky a les moyens politiques des déclarations va-t-en guerre qu’il multiplie au fil de ses rencontres avec eux, en leur réclamant toujours plus d’argent et d’armement. Un des problèmes est que ces armes ont besoin de militaires pour fonctionner. Or l’armée ukrainienne peine à trouver de nouveaux soldats. En seize mois de combats, elle a perdu autant d’hommes que la Russie, mais avec une population trois fois et demie moindre dans laquelle puiser de la chair à canon. Et, à la nécessité d’apprendre aux combattants à utiliser les armements sophistiqués livrés par l’Occident, ce qui prend du temps, s’ajoute un facteur pas moins décisif : la motivation des recrues.
Après l’attaque du Kremlin en février 2022, une volonté de la repousser animait nombre de soldats et de volontaires territoriaux, et cela a contrebalancé la disproportion des forces. Mais aujourd’hui, le gouvernement Zelensky ne peut plus guère en jouer : à la fois parce qu’il n’a pas tardé à se montrer comme il est : corrompu jusqu’à la moelle, aux mains d’oligarques prédateurs n’ayant rien à envier à leurs homologues russes ; et aussi, les médias ukrainiens le constatent, parce qu’une partie de la population ne considère plus – ou plus autant qu’auparavant – cette guerre comme la sienne. On vient de le voir quand, trois habitants de Kiev sont morts de n’avoir pu entrer dans un abri antiaérien lors d’un bombardement. Les réseaux sociaux ont accusé Klitchko, le maire de la capitale, et Zelensky de ne pas entretenir ces abris, voire de laisser détourner les fonds destinés à cela.
Bien sûr, cela ne dit rien sur ce que sera la contre-offensive, ni sur quoi elle peut déboucher. Mais une chose est certaine : ceux qui en payent le prix sans avoir rien à y gagner sont les civils et les conscrits ukrainiens, ainsi que les soldats russes que Poutine leur oppose, issus eux aussi, dans leur immense majorité, des classes laborieuses et populaires de leur pays.