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Dans le monde
Chili : un succès de l’extrême droite préparé par la politique de la gauche
Avec 7,2 millions de voix, soit 58 %, José Antonio Kast l’a emporté largement sur Jeannette Jara, l’ancienne ministre du Travail du gouvernement de gauche sortant, qui n’en a recueilli que 5,2 millions (42 %).
Le gouvernement de Trump de même que le président argentin Milei ont immédiatement salué l’élection d’un personnage proche de leurs idées. Kast est d’extrême droite, fils d’un ancien soldat de la Wehrmacht membre du parti nazi, et toute sa famille a été liée au régime de Pinochet. En 2017, lors de sa première tentative électorale, il s’était placé dans la continuité de ce régime, parlant même de gracier les tortionnaires de la dictature incarcérés. Puis il a dénoncé l’explosion sociale de 2019 comme « criminelle ». Lié au mouvement d’extrême droite Vox en Espagne ou à l’Argentin Milei, il a pris position contre l’avortement, la « théorie du genre », les droits des femmes en général.
Pour cette campagne, Kast a voulu mettre de côté sa sympathie pour l’ancienne dictature et a axé sa campagne sur la lutte contre la criminalité et l’immigration. Il est allé admirer la méga prison de Nayib Bukele, le président autoritaire du Salvador, où 40 000 détenus sont enfermés dans des cages comme des animaux. Il a promis des expulsions massives de migrants, parlé d’installer grillages et fossés à la frontière nord. Il a prévenu qu’il couperait drastiquement dans les budgets publics.
Comme malheureusement dans bien des pays, les idées réactionnaires progressent donc au Chili. Mais la cause de la défaite de la gauche est surtout à chercher du côté… de la gauche elle-même. Sa candidate, Jeannette Jara, est membre du Parti communiste. La droite s’en est servie pour agiter la peur du rouge, alors que Jeannette Jara n’avait vraiment rien pour effrayer la bourgeoisie. À la tête d’une coalition allant jusqu’au centre, elle a même déclaré lors d’une interview que, si elle était élue, elle suspendrait son adhésion au parti. De l’autre côté, aux yeux des couches populaires, elle a incarné surtout la continuité avec le gouvernement précédent qui, élu dans la foulée de la révolte sociale de 2019, a déçu toutes les attentes. En effet sous ce gouvernement rien n’a vraiment changé : la pauvreté n’a pas diminué et la crise du logement s’est amplifiée. Même le système de retraite par capitalisation individuelle, haï par la population, et dont les manifestants exigeaient l’abrogation, est toujours en place. Ce système qui profite aux groupes financiers avait été instauré par la dictature de Pinochet.
Dans ces élections, la gauche a accepté que l’essentiel du débat politique porte sur les thèmes mis en avant par les grands médias et par l’extrême droite : l’immigration, surtout d’origine vénézuélienne, et la délinquance. Jeannette Jara a accusé les médias d’avoir « inventé une peur collective, contrôlé l’esprit des gens », mais elle a suivi le mouvement. Lors du dernier grand débat télévisé face à Kast, la candidate « communiste » s’est placée sur le même terrain, proposant, si elle était élue, d’organiser cent opérations policières massives dès les cent premiers jours de son mandat et de construire cinq nouvelles prisons. Concernant la crise du logement, dramatique pour toute une partie de la classe ouvrière, les deux candidats sont tombés d’accord sur la « solution » : mettre fin par la force aux occupations illégales.
La révolte sociale de 2019 s’était prolongée par un mouvement massif d’occupation de grandes propriétés foncières par des familles sans solution. On compte aujourd’hui au Chili près de 1 500 lieux d’occupation « illégale » de terrains, soit 50 % de plus qu’en décembre 2019. Sur cette question, quelques jours encore avant le scrutin, le gouvernement de gauche a montré, de quel côté il se plaçait. À la demande des propriétaires fonciers, un tribunal ayant décidé l’expulsion de 4 000 familles qui occupaient 215 hectares de terrains privés sur une colline à côté de la ville de San Antonio, au sud de Valparaiso, le gouvernement de gauche a accepté cette décision. Ces familles, arrivées après 2019, s’étaient organisées en une quarantaine de coopératives et le bidonville originel avait pris peu à peu l’apparence d’une vraie ville de 14 000 habitants. Suite à cela, le gouvernement s’est borné à exproprier – contre indemnisation aux propriétaires – une centaine d’hectares pour construire, plus tard, des logements destinés à une partie des familles expulsées.
Après le mouvement populaire de 2019 qui avait débouché sur l’installation du gouvernement Boric, cette gauche au pouvoir a mené les aspirations populaires dans l’impasse et, en fait, ouvert un boulevard à la droite et à des nostalgiques de la dictature. Il faut constater aujourd’hui que le mouvement populaire, s’il se renouvelle, devra se méfier comme de la peste de ce genre de faux amis et se donner les moyens de s’opposer aux vrais maîtres du pays pour leur disputer le pouvoir.