EDF : public, privé, les deux bouts du bâton26/03/20252025Journal/medias/journalnumero/images/2025/03/une_2956-c.jpg.445x577_q85_box-17%2C0%2C3294%2C4244_crop_detail.jpg

Leur société

EDF : public, privé, les deux bouts du bâton

Vendredi 21 mars, Macron a nommé par communiqué un nouveau PDG à EDF, renvoyant de ce fait, sans même mentionner son nom, celui qu’il avait nommé deux ans plus tôt.

Ce renvoi sans fleur ni couronne, rare dans les sommets de l’appareil d’État où les rapports sont d’ordinaire feutrés et de bon aloi, est la conclusion d’une lutte d’influence autour de la gestion du producteur et distributeur d’électricité.

EDF a été créé par la nationalisation des producteurs d’électricité et de gaz en 1946. Sous la dénomination de « service public », il s’agissait, dans un pays en ruine, de fournir la puissance électrique dont les entreprises, l’État et la population, dans cet ordre, avaient besoin. Le grand capital n’entendant pas se lancer dans de coûteux investissements, la nationalisation et la prise en charge par les fonds publics s’imposaient.

Pendant les cinquante années suivantes, EDF assura un triple rôle : fournir du courant à bas prix aux industriels ; procurer des marchés à ces mêmes industriels pour la construction des centrales et leur fonctionnement ; raccorder toute la population au réseau. Puis, en 1996, arriva le changement de statut d’EDF suivi de son introduction en Bourse, la déréglementation du marché de l’électricité, la possibilité de s’étendre dans d’autres pays, etc. Les gouvernements et les milieux financiers calculaient qu’il était désormais possible de faire de l’argent en vendant de l’électricité, et même en spéculant sur sa valeur, éventuellement en dépeçant et en privatisant l’entreprise nationale.

C’est ainsi que, depuis trente ans, EDF, ses dirigeants, les gouvernements et l’ensemble de la classe dominante sont tiraillés entre deux nécessités : l’industrie a toujours besoin de courant bon marché, donc EDF doit non seulement le produire, mais faire les investissements nécessaires au maintien en fonction et au renouvellement de son parc de centrales ; EDF, en tant qu’entreprise cotée, même si l’État détient en ce moment la totalité du capital, doit faire du profit, des investissements rentables, être capable de lutter contre la concurrence, spéculer elle-même sur les marchés internationaux, gérer son parc pour l’entreprise et pas pour faire plaisir à ses fournisseurs, à ses clients ou aux ministres du moment.

Pendant toute une période, les petits malins de la spéculation, qui revendent avec profit le courant qu’EDF est obligé de leur vendre pour pas cher, ont tenu la corde. Certains ont même fait fortune sans avoir investi un centime dans la production d’électricité, son transport et sa répartition. Mais, après plusieurs crises et la renationalisation de fait de l’entreprise, les lois inventées pour spéculer sur le courant, la guerre en Ukraine et l’utilisation de la situation par les producteurs américains d’énergie ont fait exploser les tarifs.

Macron avait nommé Luc Rémont en 2022 avec mission de rentabiliser EDF, de relancer la production, de dégager les marges nécessaires pour assumer de lourds investissements. Dans une entreprise, cela ne peut se faire qu’en faisant payer les clients, les petits d’abord, les gros si nécessaire. Rémont avertissait donc depuis un mois les industriels que leur facture allait immanquablement augmenter. Ces derniers, appuyés par leurs banquiers, viennent d’obtenir sa tête et le retour, espèrent-ils, à des tarifs profitables, pour eux évidemment.

Les deux politiques, EDF service public ou EDF entreprise privée, sont conduites par le même État au service d’une même classe sociale ou, plus précisément, de la très mince et très puissante couche qui détient les plus grandes entreprises. Inutile de dire que les travailleurs d’EDF, qui ont depuis longtemps vu s’estomper et se dissoudre le statut censé les protéger, n’ont pas à prendre parti dans cette question. Ils ont subi, comme tous les autres, les baisses d’effectif, le recours à la sous-traitance, la valse des salariés précaires, au point que l’entreprise, au moment de faire repartir des centrales, manquait de travailleurs qualifiés. Ils ne peuvent pas lier leur sort à une direction plutôt qu’à une autre, aux besoins changeants du grand capital, voire à la dernière spéculation à la mode chez les gouvernants et les financiers.

Quant aux consommateurs populaires, la seule lecture de leur facture devrait leur suggérer qu’un réel service public est impossible tant que le capital domine l’État et la société.

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