Hiver 1924 : la grève des Penn Sardin04/12/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/12/une_2940-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Hiver 1924 : la grève des Penn Sardin

Il y a 100 ans, le 21 novembre 1924, les ouvrières de Douarnenez commençaient une grève qui allait durer sept semaines et avoir un retentissement national.

De nouvelles concentrations ouvrières étaient nées le long de la côte Atlantique, où des usines avaient été implantées pour mettre les sardines en conserve dès le retour de la pêche. À Douarnenez, les ouvrières étaient surnommées les Penn Sardin – « têtes de sardines » en breton.

L’exploitation était féroce. Les Penn Sardin commençaient très jeunes à l’usine, parfois à 8 ou 10 ans, pour y être employées jusqu’à la fin de leur vie. Il fallait travailler avec le sel qui crevasse les mains, dans les odeurs de viscères, de friture. Le travail commençait à toute heure du jour et de la nuit, une fois le poisson arrivé. Il pouvait durer 15, 18 heures d’affilée. Les paies étaient les plus basses du pays. Souvent, elles chantaient pour se donner du courage, pour ne pas s’endormir – des chants religieux, des chants d’amour, et aussi des chants dénonçant l’exploitation comme « Saluez, riches heureux ». Si le patron entendait ce chant-là, on risquait le licenciement.

La révolution russe, en 1917, avait soulevé un immense espoir d’émancipation. Fondé en France fin décembre 1920, le jeune Parti communiste attirait à lui les partisans de la révolution comme en Russie. Dès 1921, un maire communiste avait été élu à Douarnenez.

La grève démarre

Le 21 novembre 1924, les ouvrières d’une usine de la ville se mirent en grève, leur patron ayant refusé de les augmenter. Elles se rendirent à la mairie, sûres d’y trouver un appui. Le maire communiste, Daniel Le Flanchec, les encouragea à aller voir les ouvrières des autres usines. En trois jours, elles réussirent à étendre le mouvement aux 2 000 Penn Sardin des 21 conserveries de la ville, mettant également à l’arrêt la fabrique de filets et la scierie.

La joie de relever la tête, de dépasser les divisions quotidiennes dans un combat commun, éclatait. Les militants du PC et de la CGTU, qui rassemblait les militants expulsés de la CGT par la majorité réformiste, arrivés entre-temps, proposèrent d’élire un comité de grève qui rassembla des grévistes et des militants.

Chaque jour, des meetings, des assemblées, puis une manifestation avaient lieu, regroupant parfois 5 000 personnes dans cette ville d’environ 12 000 habitants. Les ouvrières réclamaient que le taux horaire augmente et passe de 70 ou 80 centimes à 1,25 franc de l’heure, la majoration des heures supplémentaires au-delà de dix heures, ainsi que des heures de nuit et le droit de se syndiquer.

Emmenés par Béziers, un des plus gros patrons de conserverie, ceux- ci refusèrent toute concession. Quand des maires proposèrent une négociation, Béziers répondit qu’ils étaient… à la chasse dans le département voisin !

L’organisation de la grève

Le comité de grève fut, pendant tout le mouvement, l’état-major de la grève, qui faisait valider ses décisions par l’assemblée des grévistes. Il tenta d’étendre la grève aux conserveries des ports voisins, mais en envoyant les gendarmes, en accordant des augmentations partielles, les patrons réussirent à l’empêcher.

Cependant la solidarité se développait. Des ports de pêche alentour, de l’arrière-pays, les grévistes revenaient avec des vivres. Les pêcheurs faisaient la « part de la grève » sur ce qu’ils ramenaient. Les militants du PC et de la CGTU faisaient connaître la grève et organisaient le soutien. Un bal et un meeting de solidarité eurent lieu en région parisienne. Le comité put ouvrir deux cantines servant des centaines de repas par jour. Le maire Le Flanchec, de tout cœur avec les grévistes, apportait son soutien moral et matériel, à commencer par les locaux pour les cantines et les réunions du comité, fournis par la mairie.

L’opinion bascule pour les Penn Sardin

La grève tenait. Sa durée, sa popularité croissante, l’intervention des militants communistes posaient problème au gouvernement. Le ministre du Travail proposa donc un arbitrage, à Paris, le 15 décembre. Les grévistes envoyèrent une délégation. Mais une fois de plus les patrons des conserveries refusèrent tout.

Le comité gagna encore en autorité. Il contrôlait la ville, avec l’assentiment de la grande majorité de la population. En janvier, la saison de la pêche revenant, il organisa l’achat du poisson et son transport pour les cantines, mais aussi pour une coopérative et des municipalités communistes en région parisienne.

Les patrons tentèrent alors la méthode terroriste. Ils firent venir des hommes de main. Dans la soirée du 1er janvier, ayant repéré Le Flanchec, les bandits lui tirèrent dessus. Le Flanchec fut blessé à la gorge, et son neveu à la tête. Enragés, les Penn Sardin et les pêcheurs coursèrent les meurtriers, qui furent protégés par les gendarmes.

Dans le pays entier, il était évident que les patrons avaient commandité l’attaque. Le préfet menaça de les inculper s’ils ne négociaient pas. La grève commençant à poser un problème général à la bourgeoisie, l’État fit pression pour que Béziers et ses comparses fassent des concessions. Après quelques dernières manœuvres, ils finirent par accepter de payer 1 franc de l’heure pour les ouvrières, ainsi que le reste des revendications. Une manifestation de 10 000 personnes eut lieu dans les rues de Douarnenez pour célébrer ce succès.

En fait, du gouvernement aux gendarmes en passant par le préfet et la justice, l’État s’était rangé tout au long de la grève du côté des patrons et de la bourgeoisie en général. Malgré les preuves évidentes, les patrons ne furent pas inquiétés pour la tentative d’assassinat de Le Flanchec.

Parmi les leçons de la grève

La grève fut, à son échelle, un exemple de combat de la classe ouvrière. Les Penn Sardin avaient su s’organiser et associer d’autres couches de la population, entraînant les pêcheurs et certains paysans des campagnes environnantes. Tenaces et dignes face à leurs patrons méprisables, elles avaient fait basculer l’opinion de leur côté. Le Parti communiste, alors clairement révolutionnaire, avait aussi joué son rôle, en sachant appuyer la détermination des travailleurs. Au niveau municipal, le maire communiste avait soutenu pleinement les Penn Sardin, comité de grève et mairie ne faisant pratiquement qu’un.

Au printemps 1925, deux décennies avant que les femmes n’obtiennent le droit de vote, pour les élections municipales, le PC présenta des femmes sur ses listes, revendiquant l’égalité des droits électoraux avec ceux des hommes. À Douarnenez, il s’appuya sur la grève et présenta Joséphine Pencalet, sardinière et gréviste. Élue conseillère, elle siégea plusieurs mois avant que son élection soit invalidée.

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