Italie : politique anti-migrants et bonnes affaires11/09/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/09/une_2928-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : politique anti-migrants et bonnes affaires

À la tête du gouvernement italien depuis deux ans, la dirigeante d’extrême droite Giorgia Meloni a fait la preuve qu’elle s’en tenait à une politique conforme aux intérêts de la grande bourgeoisie. Restait à faire passer la pilule de cette « normalisation » auprès de son électorat, alors que le parti néofasciste de Meloni, Fratelli d’Italia, se présentait comme le seul exempt de tout renoncement et de toute compromission.

Pour cela, Meloni a misé sur son habituelle démagogie anti- migrants, qui présente le double avantage de plaire à la fraction raciste de son électorat tout en contribuant à diviser les exploités. Depuis la campagne des européennes, Meloni a donc remis en avant l’accord conclu en novembre 2023 avec le gouvernement albanais pour la construction de deux centres de rétention de migrants. Elle a visité le centre d’identification des réfugiés en construction dans le port albanais de Shëngjin, où elle dit vouloir transférer un tiers des migrants qui débarquent aujourd’hui dans le sud de l’Italie. Cet accord, présenté comme « gagnant-gagnant » entre deux pays amis, vise en réalité à sous-traiter à l’Albanie, moyennant finances et promesse d’appuyer son entrée dans l’UE, le sale boulot d’une gestion inhumaine des réfugiés.

Cette politique n’est ni spécifique à l’Italie ni particulière au gouvernement Meloni. En 2017, c’est Minniti, ministre de l’Intérieur d’un gouvernement de centre gauche, qui avait signé des accords honteux avec la Libye, y prévoyant la construction de centres de rapatriement ou encore la suppression du droit d’appel des migrants dont la demande était rejetée. Des accords secrets furent également passés entre le gouvernement italien et des chefs de bande contrôlant une partie du territoire libyen. Le gouvernement « de gauche » finançait ainsi directement le trafic d’êtres humains, la mise en esclavage et l’exploitation des réfugiés.

L’accord avec l’Albanie est un argument politique pour Meloni, qui veut ainsi montrer à son électorat qu’elle trouve des réponses efficaces à la crise migratoire. Mais au-delà de la démagogie politicienne, la construction des deux centres est aussi une bonne affaire pour des patrons à la réputation sulfureuse.

Le chantier du futur centre de rétention à Gjadër, dans le nord-ouest de l’Albanie, a pris des mois de retard et l’addition n’a cessé de grimper. Des 39 millions d’euros prévus au départ, on est vite passé à plus de 66 millions. Une partie de cette manne a fini dans les caisses d’une entreprise italienne, RI Group, dont le nom ne figurait dans aucun des documents publiés par le gouvernement. Il faut dire que Salvatore Tafuro, le patron de RI Group, qui produit et installe des préfabriqués, a une longue histoire de mises en examen pour appels d’offres truqués et corruption d’hommes politiques et de fonctionnaires. Cela n’a visiblement pas refroidi le gouvernement Meloni, qui lui a confié un contrat à six millions d’euros pour les préfabriqués du futur camp de Gjadër.

La gestion des deux futurs camps a quant à elle été confiée à une coopérative dite « sociale », Medihospes, qui a proposé un rabais de quasi 5 % sur les 134 millions d’euros proposés par l’État. Cette « coopérative » est en réalité une grande entreprise sous-traitante, spécialisée dans l’aide à la personne et la gestion de structures étatiques. Elle émane directement d’une autre coopérative, « La Cascina », qui a été accusée de corruption et falsification de marchés publics lors de l’enquête sur le réseau mafieux « Mafia- Capitale », connu pour avoir organisé, avec la complicité d’hommes politiques, le détournement d’une partie du budget destiné à l’accueil des migrants.

Cela n’a pas empêché le gouvernement italien de faire confiance à Medihospes pour les futurs centres de rétention qu’elle gérera en Albanie. Le chiffre d’affaires de l’entreprise s’élevait à 26 millions en 2015, année de l’enquête contre Mafia- Capitale. Il est aujourd’hui de 126 millions, qui proviennent aux trois quarts de contrats publics, réalisés grâce à ses liens privilégiés avec les autorités romaines qui se trouvent être – le hasard fait bien les choses ! – les donneurs d’ordre des chantiers d’Albanie.

Devant ces révélations, qui ont également mis au jour les liens entre mafias italienne et albanaise, Meloni a joué les indignées et s’est offusquée de l’insulte faite « au peuple albanais » par des journalistes « de parti pris ».

Pendant cette envolée lyrique, au nom de l’honneur des Albanais, des militants associatifs de ce pays ont tenu à rappeler que « la longue amitié entre les deux pays » était en réalité la longue histoire d’une politique coloniale italienne, et à dénoncer cet arrangement sordide aux dépens des migrants.

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