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Leur société
Mayotte : incurie, mépris de classe et poison xénophobe
À Mayotte, trois semaines après le passage dévastateur du cyclone Chido, puis les visites successives de Macron, Bayrou, Retailleau, Borne, Valls, la situation reste catastrophique. Pour dissimuler les vrais responsables du chaos, tous usent de la même ficelle grossière : viser les migrants, pourtant premières victimes du cyclone.
Reprenant les mêmes mots que les ministres qui l’ont précédée, Marine Le Pen a déclaré dès son arrivée sur l’île par avion militaire le 5 janvier : « Sans régler le problème de l’immigration clandestine, rien ne sera utile. » Mais s’il manque de tout à Mayotte, non seulement de l’eau potable et de l’électricité, mais aussi de la nourriture, du riz et plus encore des produits frais, ce n’est pas la faute des étrangers mais des défaillances de l’État français. Quand les Comores voisines ont envoyé de l’eau et des produits frais, ils ont même été refusés au prétexte qu’ils n’étaient pas aux normes de l’Europe. La députée Youssoufa a même déclaré que le seul geste qu’elle attend des Comores est qu’elles reprennent leurs ressortissants pour lutter contre l’émigration vers Mayotte.
Détruire, reconstruire : un cycle infernal
Tous les politiciens qui se succèdent à Mayotte annoncent d’une même voix l’interdiction de reconstruire les bangas, les maisons en tôle. Pourtant les coups de marteau se font entendre partout car pour les habitants, « l’urgence, c’est de s’abriter pour faire face à la saison des pluies, puisqu’il n’y a pas de solutions proposées par l’État », même si les abris rebâtis dans la précipitation sont moins résistants et plus dangereux.
Quatre logements sur dix à Mayotte étaient en tôle et la seule action de l’État, sous prétexte de réduire l’habitat précaire, a été de le détruire en en expulsant les habitants. Alors que le parc de logements sociaux est très insuffisant – moins de 3 % des logements contre 16 % en moyenne dans l’hexagone – et reste inaccessible pour une bonne partie des travailleurs trop mal payés, le principal objectif des opérations médiatisées de « décasages » était de dresser une fraction de la population contre les immigrés. Or selon une enquête de l’Insee, 27 % des habitants des bangas sont français et la moitié des adultes recensés sont en situation régulière, qu’ils soient Français ou étrangers.
Pour empêcher les reconstructions, le préfet de Mayotte a interdit la vente de tôles aux particuliers s’ils n’ont pas un justificatif d’identité et de domicile, ou aux professionnels s’ils ne sont pas inscrits au Registre national des entreprises. Le communiqué de la préfecture est d’un cynisme sans nom : « Cette mesure vise à protéger les Mahoraises et les Mahorais, alors que lors du passage du cyclone Chido, (…) les tôles ont constitué des projectiles, occasionnant un risque pour la vie humaine et la sécurité des biens et des personnes. » Après avoir été victimes du cyclone, les pauvres seront victimes du marché noir qui va fleurir, tandis que les margoulins se rempliront les poches.
Quelle rentrée scolaire ?
Interpellée par des enseignants sur l’état désastreux des écoles, Borne, désormais ministre de l’Éducation, leur a brutalement tourné le dos en affirmant « ne pas être une spécialiste des sujets éducatifs ». Pourtant, Bayrou l’a affirmé, la rentrée prévue le 13 janvier devra avoir lieu coûte que coûte. Mais dans quels locaux puisque beaucoup d’écoles sont éventrées ? Avec quels matériels ? Et que faire des 15 000 personnes encore réfugiées dans les écoles ? Aux ordres des ministres, le préfet a lancé un plan d’évacuation « pour qu’entre le 5 et le 13 janvier on puisse récupérer ces centres pour leur vocation première qui est l’école. » Cela veut dire jeter les familles à la rue.
Déjà avant le cyclone, les cours du primaire se faisaient par rotation du fait du manque de classes. En 2022, le recteur lui-même estimait que pour stopper les rotations « il faudrait 800 à 900 salles de classe supplémentaires ». Cette défaillance n’est pas due à Chido mais à l’incurie et au mépris colonialiste. Cela n’empêche pas, sur cette question aussi, les politiciens de désigner les étrangers comme boucs-émissaires. Ainsi la députée Youssoufa vient d’écrire à la Présidence pour réclamer de mettre fin à la scolarisation obligatoire des enfants étrangers présents à Mayotte !
Tout repose sur la population
Cette xénophobie tranche avec la réaction de nombreux habitants attachés à la remise en route des écoles et à la scolarisation de tous les enfants. Ainsi certains ont réagi aux disparitions de matériel dans des bâtiments scolaires éventrés, notamment des chaises, des tables et diverses fournitures scolaires. Car si ces pillages ont été montés en épingle par les médias, ils sont réels et fragilisent un peu plus les villages sinistrés.
Avec la participation des imams, certains habitants ont mis en place un comité de vigilance. Ainsi le 5 janvier, les mosquées de Kawéni ont lancé par haut-parleurs une prière collective… pour menacer de malédiction ceux qui ont pillé les écoles du village. Crainte de l’enfer ou de la réprobation des voisins, tout au long de la matinée, le matériel a été rendu par de jeunes enfants, envoyés par de plus grands semble-t-il. En même temps, une marche blanche appelait « à voir tout ce qui ne va pas dans le village,... quelles solutions on peut donner ». Quelqu’un ajoutait : « Si un habitant du village fait des conneries, c’est la population qui va le juger et ce qu’on va décider ici sera transmis au tribunal, à la mairie et à la préfecture. » Le désastre engendré par Chido pousse la population à trouver des solutions concrètes par elle-même, même s’il lui manque la conscience que la justice ou le préfet ne sont pas à son service.
La population ne peut compter que sur elle-même, et cela dans tous les domaines. Ainsi, des montagnes de déchets, ordures ménagères, tôles, branches arrachées… empoisonnent l’atmosphère, propagent des bactéries dans l’eau et font craindre le retour du choléra et de la leptospirose. Les secteurs les plus affectés étant les quartiers populaires, la préfecture a dû avouer que « cela commence seulement à être traité ». Les 4 et 5 janvier, les habitants étaient appelés à se rassembler sur les places publiques de plusieurs villages, point de départ « d’un effort collectif... pour restaurer la propreté et la sécurité dans leurs quartiers » dans lesquels il seraient encadrés par les agents municipaux. Les autorités, incapables d’investir de vrais moyens dans des opérations de salubrité publique sont obligées de faire appel aux capacités de la population qu’elles méprisent.
Si Mayotte est encore debout, c’est parce que sa population, les travailleurs avec ou sans papiers, multiplie les efforts et les initiatives. Si un bilan humain encore plus terrible semble avoir été évité, c’est grâce à la solidarité entre pauvres qui a joué à plein. En dépit de la xénophobie déversée par les dirigeants politiques, qu’ils soient mahorais ou métropolitains, les travailleurs ont des intérêts communs. Il est vital que leur voix se fasse entendre et qu’ils ne se laissent pas diviser.