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Leur société
Mayotte : recensement et mépris de la population
L’Insee a lancé à Mayotte une opération de recensement exhaustif d’une ampleur inédite. Du 27 novembre au 10 janvier, 700 agents doivent frapper à toutes les portes pour collecter les informations sur tous les habitants de l’île.

En janvier 2025, Manuel Valls et François Bayrou, ministre des Outre-Mer et Premier ministre du moment, ont mis en doute le décompte officiel, qui estimait la population de l’archipel à 320 000 habitants. Après le passage du cyclone Chido, qui l’a ravagé en décembre 2024, incapables de mettre des moyens suffisants face aux destructions, ils ont alimenté les discours fétides accusant les immigrés comoriens et africains de « submerger Mayotte ».
Un an plus tard, alors que les budgets se font toujours attendre pour des travaux urgents, le gouvernement a su débloquer 4 millions d’euros pour ce recensement, qui doit établir non seulement le nombre d’habitants mais aussi la proportion d’étrangers et le nombre de sans- papiers. Il promet ainsi de « clore le débat sur la taille de la population ». À l’inverse, ce recensement permettra d’alimenter la surenchère anti-immigrés. Avant même leur publication, les chiffres sont contestés par des élus locaux et les collectifs citoyens qui accusent l’État de minorer la réalité de l’immigration.
L’Insee tente d’obtenir l’adhésion des habitants avec le slogan : « Vos réponses aujourd’hui pour construire Mayotte demain. » Les agents recenseurs expliquent que l’on doit répondre « pour donner une école et un hôpital aux enfants » ! Mais les plus pauvres savent que ce sont là des mots en l’air. Comme l’a dit une habitante d’un bidonville : « Ils parlent de faire des aires de jeux pour les enfants, nous, on n’a même pas de route. » Ces habitants, qui ont dû reconstruire eux-mêmes leurs abris de fortune après Chido, qui voient que les travaux de l’école de leurs enfants n’avancent pas et que des baraques de chantier font office de salles d’attente à l’hôpital, n’attendent rien de l’État.
Ce n’est certes pas le recensement qui permettra de répondre aux besoins essentiels de la population. Si les dotations de l’État aux communes sont en théorie proportionnelles au nombre d’habitants recensés, un chiffre actualisé ne suffira pas à rattraper des décennies d’absence d’investissement. Dans certaines villes, il manque plus de mille places en école maternelle ! Pour les créer, il faudrait des bâtiments supplémentaires, des embauches massives d’enseignants, de personnel de ménage… Il en est de même pour les transports publics, quasi inexistants, pour le nombre de lits à la maternité, le développement du réseau d’eau.
Alors que l’État fait des coupes massives dans les dépenses publiques, les moyens ne seront pas à la hauteur des besoins d’une population qui grandit. La petite ressource supplémentaire, si elle arrive, ira sans doute alimenter la corruption et le clientélisme. Ces maux minent Mayotte, comme bien des pays pauvres, et l’État laisse faire, entretenant ainsi à peu de frais une petite couche de notables locaux acquis à sa cause.
Par contre, on peut prévoir que la révision, attendue à la hausse, du nombre d’habitants, avec une proportion importante d’étrangers, sera utilisée par le gouvernement pour durcir les attaques contre les immigrés. Les travailleurs sans papiers sont bien conscients que ce recensement va, d’une manière ou d’une autre, se retourner contre eux. Certains pensent que la cartographie établie à cette occasion va inspirer de prochaines destructions d’habitat précaire, les « décasages », et que leurs coordonnées pourront être transmises à la police en vue d’une expulsion. L’Insee assure que les informations resteront confidentielles mais, à Mayotte, tous savent que dans sa chasse à l’homme, l’État n’hésite pas à bafouer les règles.
À Mayotte, les moyens indispensables à une vie digne devront être imposés par la population travailleuse, de nationalité française ou non, face à un État qui la méprise et la maintient dans la misère.